Introduction
L’engagement de la Russie en Afrique a évolué au cours de la dernière décennie, marquée par des initiatives stratégiques militaires, économiques et diplomatiques visant à étendre son influence sur le continent. Pendant l’ère soviétique, la Russie a noué des liens étroits avec diverses nations africaines, soutenant les mouvements de libération et favorisant les alliances idéologiques. Ces relations se sont affaiblies après l’effondrement de l’Union soviétique, mais elles ont été ravivées ces dernières années, la Russie cherchant à réaffirmer sa présence mondiale. Après l’annexion de la Crimée en 2014, la Russie a intensifié son intérêt pour l’Afrique, en tirant parti de ses liens historiques et en se positionnant comme une alternative aux partenaires occidentaux. Cette stratégie a impliqué une combinaison d’assistance militaire, d’investissements économiques et d’efforts diplomatiques.
Participation militaire et assistance à la sécurité
L’une des pierres angulaires de la stratégie russe a été le déploiement de sociétés militaires privées (SMP), notamment le groupe Wagner, pour fournir une assistance en matière de sécurité aux gouvernements africains. En échange, la Russie s’est assuré l’accès à des ressources naturelles précieuses et à des bases militaires stratégiques. Par exemple, en République centrafricaine, les agents de Wagner ont offert un soutien militaire et une formation, obtenant ainsi des droits sur des mines d’or et de diamants. Des engagements similaires ont été pris au Soudan, en Libye, au Mali et au Mozambique. En 2024, à la suite d’une restructuration interne, les opérations africaines de Wagner ont été intégrées dans le nouveau « Corps africain » sous le contrôle direct du ministère russe de la défense (en.wikipedia.org).
Investissements économiques et extraction des ressources
L’empreinte économique de la Russie en Afrique se manifeste par ses investissements dans les secteurs de l’exploitation minière et de l’énergie. En obtenant des contrats miniers et d’autres accords économiques, la Russie a renforcé ses liens économiques avec les nations africaines, souvent en échange d’un soutien militaire et politique. Cette approche est particulièrement visible dans les pays riches en ressources où les entités russes ont obtenu des concessions importantes (lemonde.fr).
Efforts diplomatiques et soft power
Sur le plan diplomatique, la Russie s’est efforcée de renforcer les relations bilatérales avec les pays africains, en mettant souvent l’accent sur la rhétorique anticoloniale et en se positionnant comme un partenaire du développement. Le sommet Russie-Afrique qui se tiendra à Saint-Pétersbourg en 2023 illustre cet effort, servant de plateforme pour discuter de la coopération et présenter l’engagement de la Russie en faveur du développement de l’Afrique (lemonde.fr).
Développements récents
Ces derniers mois, la Russie a continué à étendre son influence. En particulier, environ 200 instructeurs militaires ont été déployés en Guinée équatoriale pour soutenir la garde présidentielle, ce qui reflète la stratégie actuelle de la Russie consistant à fournir une assistance en matière de sécurité en échange d’alliances stratégiques (Reuters.com).
Cependant, l’influence croissante de la Russie en Afrique est de plus en plus liée à l’érosion des institutions démocratiques, à la montée de l’autoritarisme et à l’aggravation de la corruption. Cette tendance, facilitée par les partenariats stratégiques de Moscou avec des dirigeants africains qui privilégient le profit personnel aux intérêts nationaux, pose des défis importants à la gouvernance, à la stabilité et au développement économique du continent.
L’héritage de l’influence de l’ère soviétique
Pendant la guerre froide, l’Union soviétique a cherché à établir des alliances avec des nations africaines nouvellement indépendantes, en fournissant une assistance militaire et économique aux gouvernements socialistes et non alignés. Elle a notamment soutenu les mouvements politiques communistes et est intervenue militairement dans des conflits tels que ceux de l’Angola et de la République démocratique du Congo (RDC). L’Union soviétique a également noué des liens étroits avec le Congrès national africain (ANC) d’Afrique du Sud, une relation qui perdure aujourd’hui.
Après l’effondrement de l’Union soviétique en 1991, la présence de la Russie en Afrique a diminué, pour réapparaître ces dernières années avec une nouvelle approche qui combine la diplomatie et le déploiement de sociétés militaires privées (SMP), notamment le groupe Wagner. Ces groupes offrent au Kremlin une certaine flexibilité et un déni plausible, permettant à la Russie d’exercer une influence et de dicter des récits par le biais de campagnes de désinformation, sans implication directe de l’État (Centre d’études stratégiques pour l’Afrique, 2023).
Le rôle de la Russie dans le recul démocratique en Afrique
La Russie sape activement la démocratie en Afrique par des campagnes de désinformation, des ingérences électorales et le soutien à des prises de pouvoir anticonstitutionnelles. Selon l’Africa Centre for Strategic Studies, l’ingérence russe a été documentée dans au moins 28 pays africains, dont 22 sont visés par des campagnes de désinformation, 18 par des ingérences électorales et 15 par un soutien à des transitions de pouvoir anticonstitutionnelles. Ces interventions visent souvent à soutenir des régimes favorables à Moscou, à prolonger des régimes autoritaires et à légitimer des coups d’État.
Le schéma est clair : la Russie cible principalement les pays dont les institutions démocratiques sont faibles. Le score médian de Freedom House pour les pays africains où la Russie est la plus active est de 22 sur 100, ce qui est nettement inférieur au score médian de 43 pour les pays qui ne subissent pas d’ingérence russe. En outre, 13 des 28 pays africains touchés par l’influence russe sont engagés dans un conflit, ce qui souligne le rôle de Moscou dans la prolongation de l’instabilité en faisant obstacle aux solutions politiques issues de la médiation (Centre d’études stratégiques pour l’Afrique, 2023).
Études de cas sur la capture de l’État russe
République centrafricaine (RCA)
En RCA, le président Faustin-Archange Touadéra a obtenu le soutien militaire de la Russie en échange de l’accès à de précieuses mines de diamants et d’or. Le groupe Wagner, composé d’environ 2 000 mercenaires, n’a pas cherché à stabiliser le pays comme il le prétendait, mais plutôt à protéger ces ressources et à s’assurer que Touadéra reste au pouvoir. L’influence de Wagner a conduit à la manipulation des élections, à la suppression des figures de l’opposition et à des violations généralisées des droits de l’homme. La mission de maintien de la paix des Nations unies en RCA a été confrontée à l’hostilité des forces de Wagner, et les fonctionnaires qui remettent en question le rôle de la Russie risquent d’être licenciés ou persécutés. Pendant ce temps, les citoyens souffrent de l’insécurité, de la corruption et du déclin des libertés civiles (Africa Centre for Strategic Studies, 2023).
Soudan
La Russie a apporté un soutien politique et militaire crucial à la junte au pouvoir au Soudan, dirigée par le lieutenant-général Abdel Fattah al-Burhan, qui s’est emparé du pouvoir par un coup d’État et a perturbé la transition démocratique du pays. Des agents de Wagner auraient encouragé l’armée soudanaise à réprimer violemment les manifestations en faveur de la démocratie, ce qui a fait des centaines de morts depuis 2019. En outre, la Russie a noué des liens étroits avec Mohamed Hamdan Dagalo (Hemedti), une figure clé de la junte, facilitant les opérations de trafic d’or qui financent à la fois Wagner et le régime soudanais. En retour, la Russie a obtenu un bail de 25 ans pour l’accès au port naval de Port-Soudan, renforçant ainsi sa position stratégique sur la mer Rouge. Cet arrangement isole le Soudan de l’aide internationale cruciale et des programmes de relance économique, exacerbant ainsi sa crise financière (Africa Centre for Strategic Studies, 2023).
Pays du SEA
Au Mali, la désinformation russe a joué un rôle clé en attisant les manifestations antigouvernementales qui ont conduit au coup d’État de 2020 contre le président Ibrahim Boubacar Keïta. La junte militaire qui a pris le pouvoir s’appuie désormais sur les forces Wagner, qui reçoivent 11 millions de dollars par mois pour leurs services. Les médias d’État soutenus par la Russie dominent l’espace d’information du pays, tandis que les organes de presse internationaux qui critiquent Moscou ont été interdits. La junte malienne a également rompu ses liens avec la France et l’Union européenne, expulsant 5 000 soldats qui combattaient les insurgés djihadistes. Ce changement n’a fait qu’enhardir les militants islamistes, entraînant une aggravation de la crise sécuritaire. Comme en RCA, les agents de Wagner et les forces maliennes ont été impliqués dans de graves violations des droits de l’homme et dans la répression de l’opposition politique (Centre d’études stratégiques de l’Afrique, 2023).
Tout comme le Mali, le Niger et le Burkina Faso ont également rompu leurs liens avec la France, l’UE et l’Occident. Ils se sont rapprochés de la Russie et ont tissé des liens étroits avec le Kremlin. Les trois pays ont même formé l’Alliance des États du Sahel (AES), le noyau d’une confédération envisagée. Les trois pays de l’AES sont dirigés par des juntes qui ont renversé des gouvernements démocratiquement élus.
Dans ces pays, la Russie s’est assuré l’accès à des actifs miniers de grande valeur. Cette expansion est souvent facilitée par des accords en vertu desquels la Russie fournit une assistance militaire aux juntes au pouvoir en échange de droits miniers. Au Mali, des entités russes ont pris le contrôle de plusieurs opérations d’extraction d’or. L’implication du Kremlin dans l’extraction de l’or est un moyen de contourner les sanctions occidentales et de financer ses activités, notamment le conflit en cours en Ukraine. (Washington Institute). Le Niger, qui possède d’importants gisements d’uranium, a invité la Russie à investir dans son secteur minier. Cette démarche s’inscrit dans la stratégie de la Russie visant à renforcer sa position sur le marché mondial de l’énergie nucléaire en sécurisant les approvisionnements critiques en uranium (ICWA).
L’approche de la Russie au Sahel consiste à offrir un soutien militaire aux régimes en échange d’un accès aux ressources naturelles. Cette stratégie permet non seulement de renforcer les intérêts économiques de la Russie, mais aussi d’étendre son influence géopolitique dans la région (Washington Institute).
Si la Russie a fait des percées significatives, d’autres pays, notamment la Chine, étendent également leur influence dans le secteur minier du Sahel, ce qui crée un paysage géopolitique complexe (Le Monde).
Propension à la corruption
L’enracinement croissant de la Russie dans les structures de gouvernance africaines a des conséquences désastreuses pour la responsabilité démocratique, la souveraineté nationale et la stabilité économique. Les dirigeants séduits par le soutien de la Russie contournent souvent les normes démocratiques, sapant ainsi les institutions qui pourraient les tenir pour responsables. Les pays les plus vulnérables à l’influence russe ont tendance à avoir des niveaux élevés de corruption, comme le montre leur classement dans l’indice de perception de la corruption de Transparency International. (Centre africain d’études stratégiques, 2023).
L’Afrique du Sud est un exemple édifiant de la manière dont les institutions démocratiques, même relativement solides, peuvent être prises pour cible. L’accord sur l’énergie nucléaire conclu en 2014 par l’ancien président Jacob Zuma avec la Russie, estimé à 76 milliards de dollars, a été largement perçu comme une tentative d’enrichissement des élites politiques aux dépens du public. Bien que l’accord ait été annulé par la suite, les campagnes de désinformation russes continuent de semer la division au sein de l’ANC au pouvoir, soulignant la menace persistante de l’influence de Moscou (Africa Centre for Strategic Studies, 2023).
Conclusion
La présence croissante de la Russie en Afrique accélère l’érosion démocratique, renforce les autocrates et aggrave la corruption. En soutenant des régimes autoritaires, en prolongeant les conflits et en exploitant les ressources naturelles, Moscou renforce l’instabilité et entrave les aspirations des citoyens africains à une gouvernance démocratique et au développement économique. Alors que la Russie cherche à contrer son isolement international suite à l’invasion de l’Ukraine, son engagement en Afrique est susceptible de s’intensifier, mettant encore plus en péril la trajectoire démocratique du continent.
Pour contrer cette influence, il faut renforcer les partenariats internationaux afin de promouvoir la transparence, la bonne gouvernance et l’État de droit dans les pays africains. Sans de telles mesures, les autocrates soutenus par la Russie continueront à privilégier les gains personnels et géopolitiques au détriment des libertés et des droits fondamentaux de leur peuple.
Tout en souhaitant contrer toute influence négative de la Russie en Afrique, il convient de noter que les pays du monde entier souhaitent entretenir des relations et des partenariats qui servent leurs intérêts nationaux. L’Afrique doit assurer un équilibre respectable et se tourner davantage vers l’intérieur, en utilisant des mécanismes tels que la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA) pour favoriser une coopération plus étroite et une plus grande indépendance.
Pour l’avenir démocratique de l’Afrique, le défi à long terme consistera à équilibrer les relations avec les puissances extérieures, en particulier la Russie. Il convient toutefois de noter que ses activités en Afrique ne sont pas régies par la bienveillance, mais par son intérêt national. L’Afrique doit se concentrer sur la mise en place de systèmes démocratiques autochtones transparents, responsables, afrocentriques et répondant aux besoins de la population. Une focalisation sur l’autoritarisme et l’accent mis sur la souveraineté de l’État au détriment des valeurs démocratiques pourraient avoir des conséquences négatives sur les perspectives de démocratie en Afrique.
Références :
Centre africain d’études stratégiques. (2023). L’influence russe en Afrique : Une menace pour la démocratie et la stabilité. Extrait de https://africacenter.org
Freedom House (2023). La liberté dans le monde 2023 : Democracy under siege. Extrait de https://freedomhouse.org
Le Monde. (2024, 21 août). Le retour gagnant de Moscou en Afrique. Extrait de https://www.lemonde.fr/en
Le Monde. (2024, 21 août). L’Afrique, nouvelle ligne de front entre l’Occident et la Russie. Extrait de https://www.lemonde.fr/en
Reuters. (2024, 12 novembre). La puissance russe s’étend en Afrique de l’Ouest avec la mission en Guinée équatoriale. Extrait de https://www.reuters.com
Wikipédia. (n.d.). Activités du groupe Wagner en Afrique. Extrait de https://en.wikipedia.org
Transparency International. (2023). Indice de perception de la corruption 2023. Extrait de https://www.transparency.org