Introduction
L’Alliance des États du Sahel (AES) est un bloc formé en septembre 2023 par le Mali, le Burkina Faso et le Niger en réponse aux préoccupations croissantes en matière de sécurité et au mécontentement à l’égard de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). L’alliance a été établie par la Charte de Liptako-Gourma, signée à Bamako, afin de renforcer la coopération politique, économique et sécuritaire. Les trois pays, qui ont tous connu des coups d’État militaires, ont estimé que la CEDEAO et les partenaires internationaux ne répondaient pas de manière adéquate aux menaces croissantes du terrorisme et de l’instabilité dans la région du Sahel. En conséquence, en janvier 2024, ils ont annoncé leur retrait de la CEDEAO, citant les influences extérieures, en particulier de la France, comme une préoccupation majeure.
L’AES est structurée autour d’un conseil des chefs d’État, qui sert d’organe décisionnel suprême et est composé des présidents des États membres. Elle comprend également un comité de défense et de sécurité, chargé de coordonner les efforts militaires conjoints, une unité des affaires étrangères et de la diplomatie, qui gère les relations extérieures, et un comité économique et de développement, qui se concentre sur le commerce et la croissance régionale. Bien qu’elle n’en soit qu’à ses débuts, l’alliance évolue rapidement et son élargissement à d’autres pays, tels que le Togo, pourrait influencer de manière significative son orientation et son efficacité en Afrique de l’Ouest.
L’AES est confronté à un certain nombre de défis, considérés comme complexes et interconnectés. Il s’agit notamment du terrorisme, de l’instabilité politique due à l’insurrection djihadiste, des crises humanitaires résultant des attaques des insurgés, du stress environnemental, des migrations et des difficultés économiques. En outre, les trois pays sont des États enclavés et n’ont donc pas d’accès direct à la mer. Une part importante de tous les échanges modernes de marchandises s’effectue via les ports maritimes, ce qui limite considérablement leur capacité d’action. L’accès à la mer revêt donc une importance stratégique pour les pays de l’AES. L’accès maritime régional serait un moteur essentiel de la croissance économique et fournirait un lien avec tous les États côtiers de la CEDEAO dont ils se sont retirés et permettrait d’améliorer la connectivité mondiale.
L’annonce récente selon laquelle le Togo, un État côtier au sein de la CEDEAO, partageant des frontières avec le Ghana et le Bennin, envisage d’adhérer à l’AES est intéressante. Cela mérite d’être analysé car il n’est pas clair si le Togo a l’intention de quitter la CEDEAO ou de devenir le pont qui rapproche les deux organisations.
Le ministre des affaires étrangères du Togo, Robert Dussey, a récemment déclaré dans un message sur les médias sociaux que le Togo envisageait d’adhérer à l’alliance. Il a souligné qu’il s’agissait d’une « décision stratégique qui pourrait renforcer la coopération régionale et offrir aux pays membres un accès à la mer » (Daily Post, 2024).
M. Dussey a ajouté que la décision revenait au président Faure Gnassingbé, mais il a laissé entendre que l’opinion publique semblait favorable à cette décision.
L’intérêt du Togo à rejoindre l’Alliance des États du Sahel (AES) est probablement motivé par un ensemble de facteurs sécuritaires, économiques et géopolitiques. Voici quelques-unes des principales motivations :
1. Préoccupations en matière de sécurité et de stabilité régionale
La région du Sahel est confrontée à des menaces croissantes de terrorisme et d’insurrection de la part de groupes tels que le JNIM, l’ISIS et les affiliés d’Al-Qaïda. Bien que le Togo n’ait pas été aussi sévèrement touché que le Burkina Faso, le Mali et le Niger, la propagation de la violence extrémiste dans le nord du Togo et du Bénin est une préoccupation majeure. La CEDEAO a été critiquée pour ses interventions militaires tardives, alors que les pays de l’AES ont adopté une approche plus directe de la sécurité en coordonnant leurs forces pour lutter contre la violence extrémiste (Goukouni & Tchie, 2023). Cela fait de l’AES un partenaire de sécurité plus attrayant pour le Togo. S’ils rejoignent l’AES, le Togo pourrait renforcer sa coopération militaire avec ces pays et bénéficier de l’échange de renseignements, d’opérations de sécurité conjointes et d’efforts coordonnés de lutte contre le terrorisme.
2. Position géopolitique stratégique
Le Togo a toujours maintenu une position diplomatique équilibrée, coopérant à la fois avec les initiatives occidentales et africaines. Cependant, avec le Mali, le Burkina Faso et le Niger qui s’éloignent de la CEDEAO et s’alignent davantage sur la Russie pour l’assistance à la sécurité, le Togo pourrait voir une opportunité de se positionner en tant qu’acteur clé dans ce nouveau bloc régional. L’adhésion à l’AES pourrait donner au Togo plus de poids dans la politique ouest-africaine et réduire sa dépendance à l’égard de la France et des institutions soutenues par l’Occident comme la CEDEAO.
3. Avantages économiques et commerciaux
Contrairement aux membres actuels de l’AES, qui sont tous enclavés, le Togo a accès à l’océan Atlantique et dispose d’un port important à Lomé. Si le Togo adhère à l’AES, il pourrait servir de point de transit clé pour :
- Importation de marchandises pour le Mali, le Burkina Faso et le Niger.
- L‘exportation des ressources naturelles des pays de l’AES vers les marchés mondiaux.
- Faciliter les accords commerciaux entre l’AES et les partenaires non africains.
Les États membres de l’AES dépendent actuellement des ports du Ghana, de la Côte d’Ivoire et du Sénégal, tous membres de la CEDEAO. Si les relations entre l’AES et la CEDEAO se détériorent davantage, le Togo pourrait remplacer ces ports en tant que principal point d’entrée et de sortie pour le commerce de l’AES. Cela pourrait se traduire par des gains économiques, une augmentation des investissements étrangers et une amélioration des accords commerciaux bilatéraux avec les pays de l’AES.
4. Mécontentement à l’égard de la CEDEAO
La CEDEAO a été critiquée par ses propres États membres pour sa gestion des crises politiques au Mali, au Burkina Faso et au Niger. Suite aux coups d’État militaires dans ces pays, la CEDEAO a réagi par des sanctions sévères, notamment des embargos économiques et un isolement politique (Korsah & Ntewusu, 2024). Bien que le Togo n’ait pas été confronté à de tels conflits directs avec la CEDEAO, il est possible qu’il reconsidère son rôle à long terme au sein de l’organisation. Si le Togo perçoit que la CEDEAO est trop influencée par les intérêts occidentaux, l’alignement sur l’AES pourrait être perçu comme une évolution vers un bloc ouest-africain plus indépendant.
5. Renforcer les liens diplomatiques avec les gouvernements dirigés par la junte
Le Togo a maintenu de bonnes relations diplomatiques avec le Mali, le Burkina Faso et le Niger, jouant souvent le rôle de médiateur entre ces pays et la CEDEAO. En rejoignant l’AES, le Togo pourrait approfondir ses partenariats avec ces pays et s’assurer une influence régionale plus forte, en particulier si l’AES continue de s’étendre à des pays côtiers comme le Bénin ou la Guinée. L’adhésion rapide du Togo pourrait le positionner en tant que leader au sein de l’alliance, influençant les décisions politiques futures et garantissant que ses intérêts nationaux sont prioritaires.
Conclusion
Bien que le Togo ne soit pas géographiquement au cœur de la région du Sahel, il pourrait tirer profit de son adhésion au SEA, principalement en raison des avantages immédiats et à long terme que cela pourrait lui apporter. Cependant, il pourrait y avoir d’autres défis connexes qui n’ont pas été pris en compte. Si le Togo devait rejoindre l’AES, cela pourrait avoir un impact négatif sur la CEDEAO et affaiblir sa détermination à garantir l’enracinement de la démocratie en Afrique de l’Ouest.
Alors que le Sahel est confronté à une instabilité et à des défis croissants, une approche commune de ces problèmes doit être développée par la CEDEAO dans le contexte plus large de l’influence croissante de la Russie dans la région. Tout d’abord, le Togo n’est pas un pays réputé pour son respect des droits et des principes démocratiques. Le président et sa famille dirigent le pays depuis de nombreuses années et pourraient trouver l’AES accommodante, car il n’y aurait pas de rappel de la bonne gouvernance, de l’État de droit et de la démocratie. En outre, l’AES et ses dirigeants, en particulier Traore du Burkina Faso, semblent attirer les jeunes. Il pourrait en être ainsi jusqu’à ce que le vent tourne et que la brutalité sans recours à la loi commence à émerger.
Pour la CEDEAO, il est important de rompre avec les tendances néo-colonialistes et d’être indépendante, en se concentrant sur la croissance et le développement de la région au lieu de se plier aux exigences des puissances occidentales. Si la CEDEAO n’est pas perçue comme étant véritablement ouest-africaine, elle risque de perdre d’autres nations au profit du bloc AES, avec le soutien tacite de la Russie.
Références
Daily Post. (2025). Le Togo fait un pas vers l’intégration : La possibilité d’adhérer à l’Alliance des États du Sahel comme choix stratégique pour la région. Extrait de https://dailypost.ng/2025/03/15/togo-takes-a-step-towards-integration-the-possibility-of-joining-the-alliance-of-sahel-states-as-a-strategic-choice-for-the-region/
Goukouni, H., & Tchie, A. (2023). Sécurité et transitions politiques au Sahel : le rôle des alliances militaires. Revue africaine de sécurité.
Korsah, K. et Ntewusu, S. (2024). La CEDEAO et la stabilité régionale : Leçons du Mali, du Burkina Faso et du Niger. Journal of African Studie.