Le paysage sécuritaire au Sahel continue de se détériorer dans un contexte d’interaction de plus en plus complexe entre les défis de gouvernance locale, l’instabilité régionale et les rivalités géopolitiques mondiales. Depuis le début de la crise au Mali en 2012, le terrorisme et les efforts pour le contrer se sont profondément enchevêtrés avec les changements d’alliances, les ressentiments post-coloniaux et les nouvelles projections de puissance, en particulier de la part de la Russie et de la Chine (Institute for Economics and Peace [IEP], 2025). L’indice mondial du terrorisme 2025 révèle comment ces facteurs remodèlent l’ordre sécuritaire de la région, souvent au détriment de la stabilité.
Mali : Souveraineté, sentiment et fin des partenariats occidentaux
Le Mali reste l’épicentre de la crise sécuritaire au Sahel. Les efforts menés par la France, notamment l’opération Serval, Barkhane et la MINUSMA, visaient initialement à contrer les menaces djihadistes et à soutenir les institutions de l’État. Pourtant, ces missions ont été de plus en plus critiquées pour leur incapacité à produire des gains durables en matière de sécurité. De nombreux Maliens, en particulier les jeunes générations, ont commencé à considérer les actions de la France comme intéressées (Foreign Policy, 2024).
Les coups d’État de 2020 et 2021 au Mali ont marqué un tournant. Sous la direction du colonel Assimi Goita, le Mali a adopté une position « souverainiste », rejetant la présence militaire étrangère et se ralliant à de nouveaux alliés comme la Russie. Le retrait de l’opération Barkhane et des forces de maintien de la paix de l’ONU (MINUSMA) a laissé un vide critique (Conseil de sécurité de l’ONU, 2023). Celui-ci a été rapidement comblé par des groupes djihadistes tels que Jama’at Nasr al-Islam wal Muslimin (JNIM) et l’État islamique dans le Grand Sahara (IS-Sahel), ainsi que par des factions touaregs armées (IEP, 2025).
La détérioration a été évidente à la fin de l’année 2023, avec des affrontements violents autour des anciennes bases de l’ONU et l’effondrement de l’Accord de paix d’Alger au début de l’année 2024. Le JNIM a notamment élargi ses opérations et lancé des attaques audacieuses, dont une en septembre 2024 contre une académie militaire et une base aérienne à Bamako (BBC News Africa, 2024).
Alors que la Russie, par l’intermédiaire de son Africa Corps rebaptisé, est devenue le principal partenaire du Mali en matière de sécurité, son efficacité a été remise en question. D’abord salué pour ses tactiques anti-insurrectionnelles agressives, le Corps a depuis réduit ses opérations en raison du nombre élevé de victimes et de la réticence croissante du personnel russe (Reuters, 2024). Malgré une image publique positive au début de l’année 2024, son impact à long terme reste incertain (Africa Center for Strategic Studies, 2024).
Burkina Faso : L’épicentre du terrorisme
En 2024, le Burkina Faso a été, pour la deuxième année consécutive, le deuxième pays le plus touché par le terrorisme dans le monde (IEP, 2025). Avec plus de 1 000 morts et de nombreuses attaques à grande échelle – notamment le massacre de 600 civils et soldats par le JNIM – les régions du nord et du centre-est du pays sont devenues des épicentres de la violence insurrectionnelle (BBC News Africa, 2024).
La junte du capitaine Ibrahim Traoré, après son coup d’État de 2022, s’est distanciée de la France et a accepté l’aide russe en matière de sécurité. Pourtant, l’engagement russe au Burkina Faso reste limité, les troupes se concentrant principalement sur la protection du régime plutôt que sur le combat actif (Africa Center for Strategic Studies, 2024). Les opérations d’influence, en revanche, ont été robustes. La Russie a déployé un appareil massif de désinformation et de propagande, façonnant des récits pro-russes et anti-occidentaux par le biais des médias sociaux et de partenaires locaux (Carnegie Endowment, 2024).
Le rôle de la Chine est davantage axé sur l’économie, mais de plus en plus soucieux de la sécurité. Depuis que le Burkina Faso a rompu ses liens avec Taïwan en 2019, la Chine a obtenu des droits d’exploration pour des minéraux stratégiques et s’est engagée à fournir une aide militaire dans le cadre de son Initiative de sécurité globale (China Daily, 2023).
Niger : La montée du terrorisme après le coup d’État et le réalignement stratégique
La stabilité relative du Niger s’est effondrée après le coup d’État de juillet 2023. Suite à la prise de pouvoir par le général Abdourahmane Tchiani, le pays a rompu ses liens militaires avec la France et les États-Unis (U.S. Department of Defense – AFRICOM, 2024). Le retrait des forces occidentales, y compris la fermeture des bases aériennes américaines 101 et 201, marque un tournant stratégique.
Les attaques terroristes se sont multipliées par la suite. En 2024, le Niger a enregistré un nombre record de 930 morts, les décès de militaires dépassant les chiffres mondiaux (IEP, 2025). Le JNIM s’est rapidement développé, tandis que l’IS-Sahel est resté actif. L’instabilité a permis aux djihadistes d’établir un contrôle territorial, en particulier dans les régions de Tillaberi et de Tahoua (International Crisis Group, 2023).
La Russie s’est empressée de combler le vide en livrant des armes et des instructeurs (Africa Center for Strategic Studies, 2024). Alors que les liens diplomatiques avec la Russie étaient inexistants avant le coup d’État, ils s’approfondissent aujourd’hui rapidement. La Chine, quant à elle, étend son empreinte dans le secteur de l’uranium, profitant de la révocation des licences minières occidentales (China Daily, 2023).
La montée du populisme anti-colonial et les changements d’alliances
Dans l’ensemble du Sahel, le sentiment négatif à l’égard de la France est monté en flèche. C’est au Mali et au Burkina Faso que cette évolution a été la plus spectaculaire, alimentée par des perceptions d’exploitation et d’interventions ratées (Foreign Policy, 2024). Ces sentiments ont été habilement exploités par les chefs militaires qui se positionnent comme des protecteurs anticoloniaux de la souveraineté nationale.
L’influence de la Russie et de la Chine s’est accrue en conséquence. Les opérations médiatiques russes et l’Africa Corps ont réussi à présenter Moscou comme le champion de la souveraineté et de l’anti-impérialisme (Carnegie Endowment, 2024). Simultanément, les sondages Gallup indiquent une baisse des taux d’approbation des États-Unis et de la France dans les États clés, bien que le soutien aux États-Unis reste fort dans les pays non touchés par le coup d’État, comme la Côte d’Ivoire et le Bénin (Gallup, 2024).
La fragmentation de la lutte contre le terrorisme et la voie à suivre
Le retrait des forces occidentales et la fragmentation de l’alliance du G5 Sahel (avec le retrait du Mali, du Burkina Faso et du Niger) ont fragmenté les efforts de lutte contre le terrorisme (IEP, 2025). En réponse, les trois pays ont formé une nouvelle force militaire conjointe de 5 000 hommes. Cependant, le défi régional est transnational et une lutte efficace contre le terrorisme nécessite une collaboration qui transcende l’alliance sahélienne.
Des acteurs extérieurs comme le Nigéria, l’Algérie et la Libye, ainsi que les États-Unis et l’UE, resteront des acteurs essentiels dans la lutte contre les réseaux de financement, les flux d’armes et les mouvements djihadistes régionaux (Carnegie Endowment, 2024). Si la Russie et la Chine renforcent leur engagement, leur objectif semble davantage axé sur le positionnement géopolitique et l’accès aux ressources que sur une protection civile durable ou la construction d’un État (Africa Center for Strategic Studies, 2024).
Conclusion : Des perspectives sombres dans une lutte multipolaire
La crise sécuritaire du Sahel n’est plus seulement un problème local ou régional, c’est un microcosme de rivalités plus larges entre puissances mondiales. Avec le déclin de l’influence occidentale, l’implication croissante de la Russie et de la Chine et l’expansion persistante des djihadistes, l’avenir de la région reste très incertain. À moins que les acteurs régionaux et internationaux ne trouvent un moyen de surmonter les divisions idéologiques et stratégiques, le terrorisme au Sahel est susceptible de s’intensifier, alimenté par un mélange volatile de gouvernance fracturée, de concurrence entre grandes puissances et de populations désillusionnées (IEP, 2025).
Références
- Institut pour l’économie et la paix (IEP). (2025). Indice mondial du terrorisme 2025 : Mesurer l’impact du terrorisme. Sydney : IEP.
- Source principale pour les statistiques sur le terrorisme, les tendances régionales et le contexte géopolitique au Mali, au Burkina Faso et au Niger.
- Conseil de sécurité des Nations unies. (2023). Rapport final du groupe d’experts sur le Mali créé en vertu de la résolution 2374 du Conseil de sécurité (2017).
- Source de détails sur la montée d’IS-Sahel et le retrait de la MINUSMA.
- Gallup, Inc. (2024). Sondage d’opinion mondial : Perceptions des grandes puissances au Sahel.
- Fournit des données sur l’évolution du sentiment public à l’égard de la France, de la Russie et des États-Unis dans la région.
- Centre africain d’études stratégiques. (2024). Influence russe et engagement militaire en Afrique : Une évaluation stratégique.
- Analyse des activités d’Africa Corps (anciennement Groupe Wagner) au Mali et au Burkina Faso.
- International Crisis Group. (2023). Le risque d’escalade au Niger après le coup d’État.
- Informations contextuelles sur les conséquences du coup d’État de 2023 au Niger et son impact sur le terrorisme.
- Département de la défense des États-Unis – AFRICOM. (2024). Changements de posture stratégique dans la région du Sahel.
- Détails sur le retrait militaire américain du Niger et les ajustements stratégiques qui en ont découlé.
- Maintien de la paix des Nations unies. (2023). MINUSMA Faits et chiffres.
- Fournit des informations sur la mission MINUSMA au Mali et ses défis.
- Reuters. (2024). « Le Corps d’armée russe pour l’Afrique subit des revers au Mali, les troupes se retirant dans leurs bases ». Reuters Africa Desk, juillet 2024.
- Couverture des pertes de troupes et des problèmes opérationnels auxquels sont confrontées les forces russes au Mali.
- Politique étrangère. (2024). « Le rôle décroissant de la France en Afrique de l’Ouest : De l’allié à l’adversaire ». Foreign Policy Magazine, août 2024.
- Article analytique sur le déclin de l’influence de la France et la montée du sentiment anticolonial au Sahel.
- China Daily. (2023). « L’engagement de Pékin en faveur de la sécurité de l’Afrique dans le cadre de l’Initiative de sécurité globale ». China Daily, décembre 2023.
- Décrit l’engagement de la Chine à apporter un soutien militaire aux pays africains, y compris le Burkina Faso.
- BBC News Africa. (2024). « Attentat le plus meurtrier au Burkina Faso en 2024 : JNIM Claims Responsibility ». BBC Africa Service, mars 2024.
- Reportage sur l’attentat terroriste ayant fait de nombreuses victimes au Burkina Faso.
- Fondation Carnegie pour la paix internationale. (2024). Alliances et influence post-coup d’État au Sahel.
- Contextualise le réalignement des alliances au Mali, au Burkina Faso et au Niger.
- Al Jazeera. (2023-2024). Couverture des coups d’État en Afrique de l’Ouest, de l’engagement militaire russe et du retrait des forces de maintien de la paix de l’ONU.