Le Mali, le Niger et le Burkina Faso ont confirmé en juillet leur décision de tourner le dos au bloc régional, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), après l’avoir annoncée en janvier. Les trois nations sahéliennes dirigées par les chefs de junte Assimi Goita (Mali), Ibrahim Traore (Burkina Faso) et Abdourahmane Tchiani (Niger) se sont réunies sous le nom de Confédération des États du Sahel et ont signé quatre documents à cet effet. Ils se sont réunis juste à la veille du sommet des dirigeants de la CEDEAO en juillet 2024 et ont confirmé leur décision de quitter le bloc.
Lors de leur réunion parallèle, le général nigérien Abdourahamane Tchiani a appelé à la création d’une « communauté éloignée de l’emprise des puissances étrangères » (AFP). « Notre peuple a irrémédiablement tourné le dos à la CEDEAO », a déclaré M. Tchiani lors de la réunion du groupe Sahel à Niamey, le samedi 6 juillet 2024.
Lors de la réunion de la CEDEAO le lendemain, dimanche 7 juillet, le chef de la Commission, Omar Alieu Touray, a mis en garde : « Notre région est confrontée à un risque de désintégration », ajoutant que la triade risquait « l’isolement politique », la perte de millions de dollars de financement et l’entrave à la liberté de circulation (AFP). En outre, M. Touray craint que la scission n’aggrave l’insécurité au Sahel, qui subit déjà de graves attaques terroristes et djihadistes, le Burkina Faso étant aujourd’hui l’épicentre de cet extrémisme.
Par ailleurs, selon France24, le capitaine Ibrahim Traore, chef du Burkina Faso âgé de 36 ans, a déclaré à son auditoire lors du sommet : « Nous avons le même sang qui coule dans nos veines : « Nous avons le même sang qui coule dans nos veines. Dans nos veines coule le sang de ces valeureux guerriers qui ont combattu et gagné pour nous cette terre que nous appelons le Mali, le Burkina et le Niger. Dans nos veines coule le sang de ces valeureux guerriers qui ont aidé le monde entier à se débarrasser du nazisme et de bien d’autres fléaux. Dans nos veines coule le sang de ces valeureux guerriers qui ont été déportés d’Afrique vers l’Europe, l’Amérique, l’Asie… et qui ont aidé à construire ces pays en tant qu’esclaves. Dans nos veines coule le sang d’hommes dignes, d’hommes robustes, d’hommes debout. Et pour cela, nous devons être fiers et reconnaissants d’être ressortissants de l’AES ».
M. Traoré a condamné la « Françafrique », c’est-à-dire le système dans lequel l’ancien maître colonial, la France, continue d’exercer une influence prépondérante et d’avoir son mot à dire dans tout ce que fait l’Afrique de l’Ouest francophone. Ces impérialistes n’ont qu’un seul cliché en tête : l’Afrique comme un empire d’esclaves », a souligné M. Traoré, ajoutant : « C’est ainsi qu’ils voient l’Afrique » : « C’est ainsi qu’ils voient l’Afrique. « Pour eux, l’Afrique leur appartient. Nos terres leur appartiennent. Notre sous-sol leur appartient. Ils n’ont jamais changé ce cadre, même aujourd’hui », a-t-il souligné.
Le président par intérim du Mali, le colonel Assimi Goïta, a quant à lui déclaré que la confédération garantissait la liberté de circulation des biens et des citoyens des trois pays qui comptent 72 millions d’habitants. « Nous allons au-delà des identités nationales individuelles. Au lieu d’être des citoyens du Mali, du Burkina Faso ou du Niger, nous nous appellerons des citoyens de l’AES. Dans cette alliance, un Burkinabé ou un Nigérien se sentira chez lui au Mali, et vice versa, sans rencontrer de barrières administratives », rapporte France24.
Le nouveau président sénégalais, Bassirou Diomaye Faye, a été désigné par la CEDEAO comme émissaire pour sortir de l’impasse. M. Faye, qui a presque le même âge que les trois dirigeants, a déclaré : « Nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour éviter le retrait de ces trois frères : « Nous devons tout faire pour éviter le retrait de ces trois pays frères de la CEDEAO » et a souligné la nécessité d' »adapter la CEDEAO aux réalités de notre temps ».
Pourquoi les trois pays dirigés par la junte quittent-ils la CEDEAO ?
1. Instabilité politique et coups d’État militaires : Les trois pays ont connu récemment des coups d’État militaires, ce qui a entraîné des relations tendues avec la CEDEAO, qui a pour politique de promouvoir la démocratie. À la suite de ces coups d’État, la CEDEAO a imposé des sanctions et exigé un retour rapide à un régime civil, ce à quoi les gouvernements militaires se sont opposés (BBC)(DW) (SABC News).
2. Problèmes de sécurité : La région du Sahel est confrontée à de graves problèmes de sécurité de la part de divers groupes militants. Les gouvernements de ces pays estiment que la CEDEAO n’a pas réussi à répondre efficacement aux menaces sécuritaires et à fournir le soutien nécessaire pour lutter contre le terrorisme et les insurrections liées à Al-Qaïda et à ISIS (BBC) (DW) (SABC News).
3. Souveraineté et influence extérieure : Les régimes militaires soutiennent que les interventions de la CEDEAO portent atteinte à leur souveraineté et accusent le bloc d’être influencé par des puissances extérieures. Ils ont également pris leurs distances avec la France, ancienne puissance coloniale, et ont cherché à obtenir le soutien de la Russie en matière de sécurité (SABC News).
4. Perception d’une dérive par rapport aux idéaux fondateurs : Les dirigeants du Niger, du Mali et du Burkina Faso affirment que la CEDEAO s’est éloignée de ses idéaux initiaux et de l’esprit du panafricanisme. Ils expriment leur déception face à ce qu’ils perçoivent comme l’incapacité de l’organisation à soutenir leur lutte existentielle contre le terrorisme et l’insécurité (DW) (SABC News).
En quoi consiste le CES ?
La création de la Confédération des États du Sahel (CES), selon le Critical Threats Project, marque une expansion significative de la portée opérationnelle de l’Alliance des États du Sahel (AES). Formée à l’origine en septembre 2023 par les juntes comme un pacte de défense mutuelle pour dissuader l’intervention militaire de la CEDEAO, l’AES, selon le Centre d’études stratégiques et internationales (CSIS), a évolué en une alliance multisectorielle par le biais de la CES. La confédération coordonne les politiques diplomatiques, économiques et militaires de ses États membres et introduit de nouvelles institutions telles qu’une présidence tournante et un parlement pour mettre en œuvre ces objectifs (TechCabal) (Digital Frontiers Institute).
Au cours des derniers mois, les responsables au niveau du cabinet ont discuté de diverses initiatives et changements, ce qui a conduit à la formation de la CES. La presse malienne a rapporté que la nouvelle confédération partageait des objectifs similaires à ceux de la CEDEAO, malgré les critiques des juntes sur l’inaction de la CEDEAO en matière de sécurité régionale. Selon le Critical Threats Project, la CES vise à mettre en place une force de sécurité unifiée et un plan d’action militaire commun, en s’appuyant sur les discussions antérieures du mois de mars visant à renforcer les opérations conjointes de contre-insurrection.
Depuis sa création, le SEA a mené des opérations conjointes limitées, comme une patrouille d’une semaine effectuée par des soldats burkinabés et nigériens en juin 2023. Cependant, elle a maintenu des frappes de drones coordonnées à travers les frontières des États membres. La SCE prévoit d’intégrer davantage les économies de ses États membres, de réduire la dépendance à l’égard des partenaires extérieurs et de faciliter la libre circulation des personnes, des biens et des services. La confédération vise également à mettre en commun les ressources dans des secteurs stratégiques tels que l’agriculture, l’eau, l’énergie et les transports, et à créer une banque d’investissement et un fonds de stabilisation (TechCabal) (CSIS) (Digital Frontiers Institute).
Les dirigeants de l’AES présentent la Conférence comme un élément de leur lutte pour la souveraineté, défiant la CEDEAO, qu’ils accusent d’être un organisme dominé par l’étranger et servant les intérêts occidentaux. Cette position découle des sanctions de la CEDEAO et des demandes de retour à un régime constitutionnel à la suite des coups d’État dans les pays de l’AES. Les juntes ont réitéré leur retrait de la CEDEAO, la citant comme faisant partie de leur effort pour se libérer de l’influence étrangère (TechCabal) (Digital Frontiers Institute) (CSIS).
Quelle était l’importance des trois pays au sein de la CEDEAO ?
Mali
Économie et commerce : L’économie du Mali a été fortement influencée par son appartenance à la CEDEAO. Le pays a bénéficié des accords commerciaux régionaux et de la collaboration économique. Cependant, à la suite des coups d’État de 2020 et 2021, la CEDEAO a imposé des sanctions économiques, qui ont été levées en 2022 pour soutenir la transition du Mali vers un régime civil. Ces sanctions ont pesé sur l’économie malienne, soulignant l’interconnexion de la stabilité politique et de la vitalité économique au sein du bloc(Africanews).
Géopolitique : Sur le plan géopolitique, les relations du Mali avec la CEDEAO ont été turbulentes. L’instabilité politique résultant des coups d’État militaires a conduit le Mali à se retirer de la CEDEAO en janvier 2024, en même temps que le Burkina Faso et le Niger. Cette décision a mis en évidence un éloignement des alliances traditionnelles, en particulier avec la France, et un rapprochement avec la Russie. Le Mali, ainsi que les autres pays qui se sont retirés, ont formé l’Alliance des États du Sahel (AES), signalant un nouvel alignement géopolitique dans la région(Africanews).
Lutte contre le terrorisme : L’implication du Mali dans la lutte contre le terrorisme au sein de la CEDEAO a été cruciale en raison des défis sécuritaires actuels dans la région du Sahel. Le pays a été à l’avant-garde des efforts régionaux de lutte contre le terrorisme, collaborant avec les membres de la CEDEAO pour combattre les groupes extrémistes. Malgré son retrait récent de la CEDEAO, la position stratégique du Mali et ses préoccupations en matière de sécurité font qu’il reste un acteur clé dans les initiatives régionales de lutte contre le terrorisme(Africanews).
Le rôle du Mali au sein de la CEDEAO a été multiple, profondément lié à la stabilité économique de la région, aux changements géopolitiques et aux efforts de sécurité collective.
Burkina Faso
Économie et commerce : le Burkina Faso est un partenaire économique essentiel dans le cadre de la CEDEAO. Il est un fournisseur important de produits agricoles pour les pays voisins, tels que le Ghana. Le Ghana importe environ 90 % de ses tomates fraîches et une grande partie de son bétail du Burkina Faso. Cette interdépendance a été facilitée par le programme de libéralisation du commerce de la CEDEAO, qui promeut une zone de libre-échange en Afrique de l’Ouest, permettant de réduire les droits de douane et les barrières non tarifaires. Toutefois, la récente décision du Burkina Faso, du Mali et du Niger de se retirer de la CEDEAO met en péril ces avantages économiques, ce qui pourrait entraîner une augmentation des coûts et des perturbations commerciales pour des États membres tels que le Ghana(DW)(The Business & Financial Times).
Géopolitique : Le paysage géopolitique de l’Afrique de l’Ouest a été considérablement influencé par les actions du Burkina Faso au sein de la CEDEAO. Le retrait du Burkina Faso, ainsi que du Mali et du Niger, marque un changement important dans la dynamique politique de la région. La décision de quitter la CEDEAO a été motivée par des influences extérieures perçues et par le mécontentement suscité par la réponse de l’organisation aux coups d’État militaires dans ces pays. Ce retrait est considéré comme un coup politique porté à la CEDEAO, qui affaiblit sa cohésion et risque de compromettre la stabilité régionale et les efforts d’intégration(DW)(Democracy Now !).
Lutte contre le terrorisme : Le Burkina Faso est au cœur des efforts régionaux de lutte contre le terrorisme en raison de sa situation au Sahel, un point chaud pour les activités terroristes. Le pays a participé à plusieurs initiatives conjointes de sécurité, telles que la Force multinationale mixte (MNJTF), le Groupe des cinq pour le Sahel (G5 Sahel) et l’Initiative d’Accra (AI). Ces initiatives se concentrent sur l’échange de renseignements, la formation du personnel de sécurité et les opérations militaires conjointes pour lutter contre le terrorisme. La sortie du Burkina Faso de la CEDEAO soulève des inquiétudes quant à l’efficacité future de ces efforts de collaboration en matière de sécurité. Le manque de confiance et de coopération qui pourrait s’ensuivre pourrait entraver le partage d’informations et les opérations conjointes, exacerbant ainsi la situation sécuritaire dans la région(DW)(The Business & Financial Times).
La participation du Burkina Faso à la CEDEAO a joué un rôle essentiel dans le renforcement des liens économiques, la promotion de la stabilité géopolitique et le soutien des efforts de lutte contre le terrorisme en Afrique de l’Ouest. La récente décision de se retirer de la CEDEAO introduit cependant des incertitudes et des défis importants pour le paysage économique et sécuritaire de la région.
Niger
Économie et commerce : l’économie du Niger dépend fortement de l’agriculture, de l’élevage et de l’exploitation minière, avec d’importantes exportations d’uranium. En tant que membre de la CEDEAO, le Niger a bénéficié d’accords commerciaux régionaux, permettant la libre circulation des biens et des services. Cependant, la stabilité économique du pays a été remise en question par des problèmes de sécurité interne et régionale, ce qui a eu un impact sur les flux commerciaux et le développement économique. Les sanctions imposées par la CEDEAO à la suite du coup d’État de 2023 ont mis à rude épreuve l’économie du Niger, affectant les dépenses du gouvernement et entraînant un défaut de paiement de la dette de plus de 500 millions de dollars(Voice of America)(CSIS).
Géopolitique : Le Niger a été un acteur stratégique en Afrique de l’Ouest, équilibrant ses relations avec les puissances occidentales et régionales. Il a été un partenaire clé des États-Unis dans la lutte contre le terrorisme, accueillant d’importantes bases militaires américaines et recevant une assistance militaire substantielle(Global). Toutefois, le paysage politique s’est profondément modifié après le coup d’État de 2023, entraînant des relations tendues avec les alliés occidentaux et rapprochant le Niger d’autres gouvernements de la région dirigés par des militaires, tels que le Mali et le Burkina Faso. Ces trois pays ont formé l’Alliance des États du Sahel, signalant un réalignement potentiel des alliances régionales par rapport à la CEDEAO(CSIS).
Lutte contre le terrorisme : Le Niger a été à la pointe de la lutte contre le terrorisme dans le Sahel. Il a été confronté à des menaces persistantes de la part de groupes tels que Boko Haram, ISIS et les affiliés d’Al-Qaïda. Le pays a collaboré étroitement avec des partenaires internationaux, en particulier les États-Unis et la France, pour renforcer ses capacités de lutte contre le terrorisme. Cette coopération comprenait l’établissement de bases de drones et de programmes de formation militaire. Cependant, le coup d’État et l’instabilité politique qui s’en est suivie ont perturbé ces efforts, suscitant des inquiétudes quant à l’efficacité future des stratégies antiterroristes du Niger(Global)(Voice of America).
Les bouleversements politiques qui ont suivi le coup d’État de 2023 ont conduit la CEDEAO à imposer puis à lever des sanctions à l’encontre du Niger, reflétant la lutte de l’organisation pour faire face à la vague de prises de pouvoir militaires dans la région. Cette instabilité menace les efforts d’intégration économique et politique de la CEDEAO et met en évidence les défis auxquels est confrontée l’organisation pour maintenir son influence et promouvoir la gouvernance démocratique dans ses États membres(Voice of America)(CSIS).
Le rôle du Niger au sein de la CEDEAO a été marqué par des contributions significatives à la sécurité régionale et à l’intégration économique, mais aussi par des défis récents qui ont tendu ses relations au sein du bloc et avec les partenaires internationaux.
L’impact de la sortie sur la Triade
La sortie de la CEDEAO présente des défis importants pour le Niger, le Burkina Faso et le Mali, ayant un impact sur leur stabilité économique, la dynamique politique régionale et la coopération en matière de sécurité.
Impact économique : Le retrait perturbe les avantages commerciaux dans le cadre du système de libéralisation du commerce de la CEDEAO, augmentant les coûts des importations et des exportations. Par exemple, le Ghana, un partenaire commercial important, est confronté à des pénuries potentielles et à des hausses de prix pour des produits de base tels que les tomates fraîches, le bétail et les oignons qui provenaient auparavant de ces pays. L’isolement économique pourrait également entraver l’accès aux marchés régionaux et aux partenariats internationaux, exacerbant ainsi les défis économiques(The Business & Financial Times).
Impact géopolitique : D’un point de vue géopolitique, la sortie signale un changement en faveur de la formation de l’Alliance des États du Sahel, qui se distancie de l’influence de la CEDEAO. Cette décision reflète le mécontentement à l’égard de la gestion par la CEDEAO des transitions politiques et des coups d’État militaires, ce qui pourrait entraîner une reconfiguration des alliances au sein de l’Afrique de l’Ouest. La confédération pourrait ainsi attirer d’autres pays de la région, tels que le Tchad, la Guinée et le Soudan, qui entretiennent tous des liens étroits avec la Russie et partagent les mêmes idées que l’AES. Si ces autres pays adhèrent, l’influence de la confédération s’accroîtra tandis que celle de la CEDEAO s’affaiblira dans la région. (ISW). Le réalignement pourrait affaiblir la cohésion politique et l’influence de la CEDEAO dans la région(The Business & Financial Times).
Impact sur la sécurité : La coopération en matière de sécurité risque d’en pâtir, en particulier dans le domaine de la lutte contre le terrorisme. La confiance nécessaire à l’échange de renseignements et aux opérations militaires conjointes pourrait être compromise, ce qui affecterait des initiatives telles que l’Initiative d’Accra et le Groupe des cinq pour le Sahel. La stabilité de la région pourrait être encore plus menacée par la réduction de la collaboration et l’augmentation des risques de terrorisme, en particulier dans les pays voisins comme le Ghana, qui partage une frontière avec le Burkina Faso(The Business & Financial Times).
L’impact de la sortie sur le bloc de la CEDEAO
Impact économique :
- Perturbations du commerce : Le départ de ces trois pays, qui sont tous enclavés et dépendent fortement du commerce régional, perturbera les flux commerciaux en Afrique de l’Ouest. Par exemple, le Ghana, qui importe des quantités importantes de tomates fraîches et de bétail du Burkina Faso et du Mali, ainsi que des oignons du Niger, sera confronté à des coûts plus élevés et à des pénuries potentielles en raison de la réintroduction des droits de douane et d’autres barrières commerciales(The Business & Financial Times).
- Investissement et stabilité financière : La sortie de la CEDEAO peut entraîner une baisse de la confiance des investisseurs et réduire l’accès aux prêts internationaux pour ces pays. Leur départ de la CEDEAO devrait retarder les élections et affaiblir la coopération en matière de sécurité et de réformes économiques, ce qui aura un impact supplémentaire sur leur stabilité financière et leurs perspectives de croissance(SP Global)(Stratfor).
Implications géopolitiques et sécuritaires :
- Lutte contre le terrorisme : Le retrait complique les stratégies régionales de lutte contre le terrorisme. La CEDEAO a joué un rôle crucial dans la coordination des efforts militaires et de renseignement pour lutter contre les insurrections djihadistes dans la région du Sahel. Le départ de ces pays pourrait compromettre les initiatives conjointes telles que l’Initiative d’Accra, qui se concentre sur le partage des renseignements et les opérations militaires conjointes(The Business & Financial Times)(Stratfor). Par exemple, le dossier Afrique du 11 juillet 2024 de l’Institute for the Study of War (ISW) note qu’alors que les États-Unis se retirent du nord du Niger, le gouvernement ivoirien a approuvé la construction d’une base américaine dans le nord-ouest de la Côte d’Ivoire. ISW explique que la nouvelle base « aura des limitations pratiques de portée pour les drones américains de renseignement, de surveillance et de reconnaissance par rapport à la base précédente dans le nord du Niger », et met en garde : « La nouvelle base risque de fomenter une réaction populaire anti-occidentale contre le gouvernement ivoirien et les États-Unis.
- Stabilité régionale : Cette décision risque d’aggraver l’instabilité dans la région. Le Mali, le Niger et le Burkina Faso étant parmi les pays les plus touchés par les activités terroristes, leur départ pourrait enhardir les groupes djihadistes, entraînant une augmentation des attaques et une insécurité régionale plus large(Stratfor).
Impact sur la CEDEAO :
- Perte d’influence : La capacité de la CEDEAO à influencer les développements politiques et sécuritaires au Sahel est diminuée sans ces trois pays. Les efforts du bloc pour maintenir la gouvernance démocratique et la stabilité régionale sont sapés, en particulier compte tenu de l’importance stratégique de ces nations dans la lutte contre le terrorisme et de leurs positions géographiques significatives(SP Global)(Stratfor).
- Cette sortie risque également de mettre en péril l’objectif de la CEDEAO de consolider la démocratie dans la région, car on ne sait pas exactement quand et comment les pays de l’AES passeront à la démocratie.
- Conséquences économiques : La sortie de ces pays affectera le commerce intra-régional et les politiques économiques. La CEDEAO devra réévaluer ses stratégies économiques et ses accords commerciaux, ce qui pourrait entraîner une fragmentation économique en Afrique de l’Ouest. En conséquence, la région pourrait connaître une hausse de l’inflation et de l’incertitude économique(The Business & Financial Times). Cela aura également un impact sur les efforts de la région en faveur d’une monnaie commune, l’Eco, étant donné que les pays de l’AES ont également exprimé leur intention d’avoir une monnaie commune au sein du groupe des trois blocs, appelé le Sahel.
Analyse
D’après ce qui précède, les pays sortants, d’une part, et le bloc régional, d’autre part, subiront des dommages dans cette situation. Elle perturbe le commerce, provoquant ainsi des perturbations économiques, affecte la lutte contre le terrorisme dans le Sahel et affaiblit la CEDEAO dans le grand schéma géopolitique. La crainte du commissaire de la CEDEAO que la sortie ne « désintègre » le bloc régional est donc bien réelle. En outre, plusieurs puissances étrangères pourraient potentiellement tirer profit de cette fragmentation :
- La Russie: La Russie a accru son influence dans la région du Sahel, notamment grâce à la présence du groupe Wagner au Mali et au Burkina Faso. L’éclatement de la CEDEAO pourrait renforcer l’influence de la Russie, car la nouvelle Alliance des États du Sahel (comprenant le Niger, le Mali et le Burkina Faso) est perçue comme étant plus alignée sur Moscou. Ce détachement de la France et de l’Occident offre à la Russie la possibilité d’étendre son empreinte stratégique dans la région, y compris ses engagements militaires et économiques(CSIS)(Crisis Group).
- La Chine: La Chine pourrait également y voir une opportunité de renforcer ses liens économiques et ses projets d’infrastructure en Afrique de l’Ouest. Avec l’affaiblissement de la CEDEAO, les États individuels pourraient être plus enclins à négocier des accords bilatéraux avec Pékin. Les investissements de la Chine dans les infrastructures et les ressources naturelles pourraient augmenter, car elle cherche à combler le vide laissé par l’influence occidentale(Voice of America).
- La Turquie: La Turquie cherche à étendre son influence en Afrique par le biais d’investissements économiques et d’une puissance douce. L’instabilité et la fragmentation de la CEDEAO pourraient être l’occasion pour la Turquie d’établir des relations bilatérales plus fortes avec certains pays d’Afrique de l’Ouest, en particulier ceux qui se sentent marginalisés par le bloc régional(JURISTnews).
- La France: Paradoxalement, alors que la France pourrait souffrir d’une perte d’influence au Sahel en raison du retrait de ses anciennes colonies de la CEDEAO, elle pourrait également bénéficier d’un scénario dans lequel la CEDEAO lutterait pour maintenir sa cohésion. Cela pourrait pousser les membres restants de la CEDEAO à rechercher des liens bilatéraux plus forts avec la France pour la sécurité et le soutien économique, contrebalançant ainsi l’influence des États sahéliens sécessionnistes(Crisis Group).
- Iran: The Critical Threats Project de l’American Enterprise Institute :« L‘Iran a manifesté son intérêt pour devenir un partenaire économique et de défense de l’AES depuis 2023 : « Les responsables iraniens ont rencontré leurs homologues de l’AES à de multiples reprises tout au long de l’année 2023. Le régime iranien et les médias qui lui sont affiliés ont à plusieurs reprises mis l’accent sur les questions économiques dans les relations entre l’Iran et l’AES. L’Iran a signé plusieurs accords sur l’énergie, l’exploitation minière et d’autres secteurs avec le Burkina Faso et le Niger en 2023 et 2024, ainsi que des accords de défense avec le Mali et le Burkina Faso en 2023 ».
La désintégration de la CEDEAO devrait conduire à un environnement géopolitique plus fragmenté et compétitif en Afrique de l’Ouest, avec diverses puissances étrangères cherchant à tirer parti de l’instabilité de la région et des changements d’alliances.
Selon le dossier Afrique du 11 juillet 2024 de l’Institute for the Study of War (ISW) sur la sortie des trois pays, « la nouvelle confédération élargit la portée opérationnelle de l’alliance des juntes et créera probablement plus d’opportunités pour les juntes de continuer à coordonner les efforts diplomatiques et à renforcer les liens avec des partenaires non occidentaux partageant les mêmes idées. La confédération pourrait chercher à ajouter de nouveaux membres, ce qui renforcerait encore son pouvoir et sa légitimité en tant que bloc régional alternatif. La détérioration de la sécurité au Burkina Faso, au Mali et au Niger constitue la plus grande menace pour les régimes respectifs et la confédération dans son ensemble. »