Introduction
La corruption est devenue une signature de la politique ghanéenne, un chancre si omniprésent qu’il imprègne la culture gouvernementale au point qu’il apparaît plus comme un élément structurel que comme une déviation (Agbodohu, 2014 ; Kwainoe & Boateng, 2024). Depuis 1992, chaque période électorale apporte de nouvelles promesses de réforme, de responsabilité et de transparence, mais l’histoire est toujours la même : les représentants politiques sont élus et, finalement ou inévitablement, il y a des allégations de corruption. L’opinion publique s’insurge, mais rien ne change vraiment. Pourquoi ? Cet article tente d’aller au-delà du jeu de blâme habituel qui consiste à rejeter la faute sur les politiciens. Il explore plutôt une vérité plus dure mais plus nécessaire : les politiciens ghanéens ne sont pas simplement une cabale d’individus corrompus agissant de concert les uns avec les autres, mais ils sont, à bien des égards, représentatifs de la société qui les élit. Cet article affirme que la culture du favoritisme, le sens du droit et la dépendance personnelle des dirigeants politiques, et en particulier des membres du Parlement, rendent la corruption non seulement probable, mais inévitable. Dès qu’un homme politique prête serment, il doit jouer le rôle de bienfaiteur en chef. Il doit financer les funérailles, payer les frais de scolarité, trouver des emplois, réparer les routes et fournir directement de l’argent aux électeurs. En l’absence de fonds privés ou de crédits gouvernementaux pour financer ces exigences, un certain nombre d’hommes politiques s’empareront des trésors publics ou se tourneront vers des pratiques illégitimes comme mécanismes de survie.
L’homme politique en tant que « Père Noël
Au Ghana, un député n’est guère jugé sur ses performances au Parlement ou sur sa contribution à l’adoption de la législation et au débat parlementaire. Au lieu de cela, ils sont censés jouer le rôle de responsables du développement local, de sponsors financiers et d’organisations d’entraide. Les individus mesurent la valeur d’un député non pas en fonction des projets de loi qu’il contribue à faire adopter ou des politiques nationales qu’il contribue à façonner, mais en fonction des funérailles auxquelles il assiste, des frais de scolarité qu’il paie et de la fréquence à laquelle il « se montre » au sein de la communauté en faisant des dons en espèces. Cette attitude est extrêmement culturelle et ancrée dans les valeurs de la communauté et de la famille élargie (Akpa-Inyang & Chima, 2021 ; Ekanem, 2020). Ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose, mais c’est le signe d’une société où l’État a parfois échoué à répondre aux besoins de base et où les individus doivent alors se tourner vers ceux qui « ont réussi ». Malheureusement, lorsqu’une personne est élue député, elle est « censée » avoir « réussi » et doit donc constamment et généreusement rendre la pareille. Mais où trouver l’argent nécessaire pour répondre à toutes ces attentes ? Le salaire d’un député, même s’il est plus élevé que le salaire ghanéen moyen, ne suffit pas à répondre aux exigences économiques croissantes et constantes imposées aux hommes politiques par leurs électeurs. Les hommes politiques sont amenés à agir de manière moralement discutable, voire illégale, afin de répondre à ces obligations sociales. Certains cherchent à conclure des accords avec des intérêts commerciaux en échange de faveurs futures. D’autres gonflent les contrats, exigent des pots-de-vin ou détournent des fonds publics destinés au développement. Les plus cyniques créent, pillent et partagent, traitant les fonds publics comme un compte bancaire personnel pour leur endurance politique. Ce choix n’est pas toujours motivé par l’appât du gain. Il s’agit souvent d’une stratégie de survie politique. Un homme politique qui refuse de donner peut être considéré comme avare, ingrat ou déconnecté et peut être éliminé, quelle que soit l’efficacité de son rôle législatif.
Les citoyens ne sont pas de simples victimes de ce système, ils y participent activement. Chaque cycle électoral est un marché où les votes sont échangés contre des faveurs. Les meetings de campagne sont inondés de promesses, non pas de politiques saines, mais d’avantages personnels : « Je vous trouverai des emplois », « Je paierai vos frais de scolarité », « Je parrainerai votre apprentissage ». Les politiciens savent ce que les gens veulent, et ils le leur donnent non pas en termes de gouvernance, mais en termes de biens et d’argent. Certains électeurs l’admettent ouvertement : « Nous prenons leur argent maintenant ; une fois qu’ils seront élus, ils nous oublieront ». Ce jeu cynique se poursuit parce que les deux grands partis qui ont le plus de représentants au Parlement sont complices. Les politiciens pillent pour financer leurs campagnes et obtenir des faveurs. Les citoyens acceptent et considèrent ce comportement comme normal. Puis, lorsque les conséquences de la mauvaise gouvernance deviennent évidentes – hôpitaux en panne, routes en mauvais état, taux de chômage élevé -, les mêmes électeurs crient au scandale.
Une culture du court terme
L’ensemble de ce cadre est sous-tendu par un dangereux court-termisme, un état d’esprit qui privilégie le gain personnel immédiat au détriment du progrès collectif à long terme. Un député qui construit une clinique peut être moins apprécié que celui qui distribue de l’argent lors d’un rassemblement communautaire. Un homme politique qui réforme la politique locale en matière d’éducation peut être puni s’il ne se présente pas à des funérailles avec un don. De nombreuses personnes votent souvent avec leur estomac et jugent les dirigeants en fonction du nombre de problèmes qu’ils résolvent personnellement, et non institutionnellement. Cette approche laisse peu de place aux dirigeants visionnaires et crée un terrain fertile pour la corruption. Si le Ghana veut vaincre l’emprise de la corruption politique, le changement doit commencer non seulement au sommet, mais aussi à la base. Les citoyens doivent cesser d’attendre des députés qu’ils jouent des rôles qui ne relèvent pas de leur mandat. Les parlementaires sont des législateurs, pas des philanthropes. Leur travail consiste à représenter les intérêts de leurs électeurs au niveau national, à élaborer la législation et à demander des comptes à l’exécutif. Au lieu d’exiger le paiement des frais de scolarité et des loyers, les électeurs devraient demander :
- Quelles lois avez-vous parrainées ?
- Comment avez-vous contribué aux débats nationaux ?
- Quelles politiques de développement préconisez-vous pour cette circonscription ?
Ce changement culturel ne se fera pas du jour au lendemain. Il nécessite une éducation civique, une réforme des médias, un leadership des autorités religieuses et traditionnelles et, surtout, une volonté politique. Mais si nous ne changeons pas la nature de notre engagement politique, le Ghana continuera à voir défiler les mêmes types de dirigeants, ceux qui volent pour survivre et qui survivent en volant.
Conclusion
Cet article ne cherche pas à justifier la corruption. Il vise plutôt à confronter les attentes sociétales qui l’alimentent. Si nous voulons construire un système politique plus responsable et plus efficace au Ghana, nous devons d’abord reconnaître le rôle que jouent les citoyens dans la création et le maintien des conditions qui favorisent la corruption. L’homme politique ghanéen n’est pas un extraterrestre qui entre en fonction avec la corruption dans les veines. Face à ces pressions, beaucoup font des compromis. Tant que nous ne changerons pas la nature de nos exigences, nous continuerons à reproduire les mêmes échecs, quelle que soit la personne que nous élisons. Si nous voulons vraiment des dirigeants responsables, visionnaires et honnêtes, nous devons commencer par nous confronter au miroir. Nous devons poser des questions difficiles non seulement à nos hommes politiques, mais aussi à nous-mêmes. Quel type de leadership exigeons-nous et que récompensons-nous ? La corruption au Ghana n’est pas seulement un problème de leadership. C’est un problème de société, et tant que l’électeur ghanéen ne changera pas, l’homme politique ghanéen ne changera jamais. Il incombe également aux hommes politiques de faire preuve d’audace et d’assurance et de relever ces défis en s’exprimant ouvertement sur les pressions qu’ils subissent. Le leadership consiste à prendre des décisions audacieuses et à s’y tenir.
Référence
Agbodohu, W. (2014). La corruption au Ghana : Causes, conséquences et remèdes. International Journal of Economics, Finance and Management Sciences, 2(1), 92. https://doi.org/10.11648/j.ijefm.20140201.20
Akpa-Inyang, F., et Chima, S. C. (2021). Valeurs et croyances traditionnelles sud-africaines concernant le consentement éclairé et les limites du principe de respect de l’autonomie dans les communautés africaines : A cross-cultural qualitative study. BMC Medical Ethics, 22(1). https://doi.org/10.1186/s12910-021-00678-4
Ekanem, S. A. (2020). La place des droits individuels dans l’Afrique communautaire. International Journal of Humanities and Innovation (IJHI), 3(2), 74-78. https://doi.org/10.33750/ijhi.v3i2.72
Kwainoe, M. E. E. et Boateng, P. J. A. (2024). Throes of Corruption in Ghana. Open Journal of Social Sciences, 12, 491-507. doi : 10.4236/jss.2024.1211034.