La guerre et les conflits armés ne sont pas de simples événements, mais des forces qui remodèlent les dimensions mêmes de l’existence humaine. Les répercussions s’étendent au-delà du champ de bataille immédiat, affectant les individus et les sociétés sur les plans physique, psychologique, moral et social. Au-delà des destructions et des victimes visibles, les conflits créent une crise silencieuse mais profonde qui s’attaque aux aspects les plus vulnérables de la vie humaine.
Sur le plan physique, la violence directe des combats, des bombardements et des attaques est à l’origine de pertes humaines dévastatrices et d’un taux élevé de blessures et d’invalidités. Cependant, le bilan physique indirect est souvent bien plus lourd. La destruction des infrastructures de santé publique, la rupture des chaînes d’approvisionnement et l’effondrement des systèmes d’assainissement entraînent une généralisation des maladies et de la malnutrition. Sur le plan psychologique, les combattants et les civils souffrent du traumatisme de la violence, du déplacement et de la perte, ce qui entraîne une forte prévalence du syndrome de stress post-traumatique (SSPT), de l’anxiété et de la dépression. Le tissu moral de la société est également ébranlé, car la déshumanisation de l' »ennemi » et les conditions extrêmes de survie peuvent entraîner un effondrement des normes éthiques. Sur le plan social, les conflits rompent les liens communautaires, déplacent les familles et érodent la confiance indispensable au bon fonctionnement de la société (Plümper & Neumayer, 2005). Ce qui précède illustre les défis auxquels est confrontée la région du Sahel. La région du Sahel est une zone de transition semi-aride en Afrique qui se situe entre le désert du Sahara au nord et les savanes plus fertiles au sud. Elle s’étend sur toute la largeur du continent africain, de l’océan Atlantique à l’ouest à la mer Rouge à l’est.
Le Sahel reste une région importante de l’Afrique pour de nombreuses raisons. Il est particulièrement vulnérable aux sécheresses, à l’insécurité alimentaire et aux migrations induites par le climat. En outre, cette région est le théâtre d’insurrections djihadistes et de terrorisme de la part de groupes tels que le JNIM, l’AQMI et Boko Haram. Tous ces éléments constituent des défis pour les États côtiers tels que le Ghana, le Nigeria, le Togo, le Bénin, la Côte d’Ivoire et la Guinée.
L’impact de la guerre sur les hommes et les femmes
Si la guerre touche tous les membres de la société, son impact n’est pas neutre du point de vue du genre. Les hommes et les femmes sont affectés de manière unique et disproportionnée, reflétant et renforçant souvent les rôles sexospécifiques préexistants. Historiquement, les hommes ont constitué la majorité des combattants et, par conséquent, la majorité des morts et des blessés directs au combat. Cependant, les femmes et les enfants constituent souvent la majorité des personnes déplacées et des réfugiés, subissant de plein fouet les conséquences indirectes des conflits, telles que la pénurie alimentaire, le manque de soins de santé et l’instabilité économique (Plümper & Neumayer, 2005).
Dans de nombreux contextes de conflit, les femmes et les filles sont également prises pour cibles dans le cadre d’une tactique de guerre délibérée. La violence sexuelle et sexiste est fréquemment utilisée pour terroriser les communautés, déstabiliser les familles et affirmer leur contrôle (Nations unies, 2025). Si cette forme de violence est essentiellement perpétrée à l’encontre des femmes et des filles, des études récentes ont également documenté son utilisation à l’encontre des hommes et des garçons, bien que ce problème ne soit pas suffisamment signalé en raison de la stigmatisation (Sivakumaran, 2010).
Les défis uniques pour les hommes et les garçons
Si les défis auxquels sont confrontées les femmes sont bien documentés, l’insurrection s’attaque également aux rôles sociaux et économiques des hommes et des garçons d’une manière unique et dévastatrice. Ils sont les premières cibles du recrutement forcé et de la radicalisation par les groupes armés. Les jeunes garçons sont souvent contraints de devenir des enfants soldats, soumis à un entraînement brutal et à un endoctrinement psychologique qui les prive de leur enfance et de leur humanité. Pour les hommes, la pression exercée pour défendre leur communauté et subvenir aux besoins de leur famille est exploitée par ces groupes, qui leur offrent une fausse promesse de sécurité, de pouvoir et d’objectif. Ils sont souvent contraints de choisir entre rejoindre le groupe ou risquer l’exécution, car ceux qui sont perçus comme faibles, dissidents ou incapables de se battre sont souvent tués. Cette expérience du combat forcé, l’immense pression exercée sur eux pour qu’ils se conforment à des rôles hyper-masculins et la violence dont ils sont témoins et auteurs contribuent à des troubles psychologiques graves et durables, tels que le syndrome de stress post-traumatique, la dépression et la perte d’identité.
L’insurrection islamiste au Sahel : un défi unique pour les femmes
L’insurrection islamiste dans la région du Sahel présente une étude de cas particulièrement sombre des impacts sexospécifiques des conflits. Des groupes comme Boko Haram, les affiliés de l’État islamique, et le JNIM, les affiliés d’Al-Qaïda, exploitent et amplifient les vulnérabilités préexistantes, en faisant du sexe féminin un élément de leur stratégie. L’enlèvement n’est pas un sous-produit du terrorisme, c’est une tactique essentielle. Les femmes et les filles sont enlevées à des fins d’esclavage sexuel, de mariage forcé, de travail domestique ou de bouclier humain. L’enlèvement des écolières de Chibok et de Dapchi au Nigeria par Boko Haram a attiré l’attention de la communauté internationale sur cette réalité brutale, bien que ces incidents soient loin d’être isolés. Les Nations unies ont signalé une augmentation significative des enlèvements de femmes et de filles, le nombre d’enlèvements au Burkina Faso ayant augmenté de plus de 218 % au cours de l’année écoulée (Nations unies, 2025).
L’insurrection a également visé directement les piliers fondamentaux du bien-être des femmes. Les attaques contre les écoles ont entraîné la fermeture de centaines d’établissements d’enseignement, laissant plus d’un million de filles non scolarisées au Niger, au Mali et au Burkina Faso. Cette situation les prive non seulement d’éducation, mais les rend également plus vulnérables aux mariages forcés et au recrutement (Nations unies, 2025). En outre, la violence oblige les femmes et les filles à parcourir des distances plus longues et plus dangereuses pour aller chercher de l’eau et du bois de chauffage, ce qui les expose à des risques accrus de violence sexuelle et sexiste (UNICRI, 2023).
La déconnexion de l’aide internationale
Alors que les organisations internationales se sont à juste titre inquiétées de l’accès limité des femmes du Sahel à l’éducation et à la participation aux processus de paix, une observation critique suggère que ces interventions bien intentionnées ne sont peut-être pas suffisantes ou adaptées à la réalité du terrain. L’hypothèse selon laquelle l’accès à l’éducation et aux plates-formes de prise de décision est la solution principale néglige souvent des problèmes plus fondamentaux et plus immédiats qui doivent être traités en premier lieu : la sécurité, la subsistance, la santé et l’assainissement.
La notion d’éducation comme panacée est remise en question par le simple fait brutal qu’il est difficile d’apprendre quand on n’est pas en sécurité. Pour de nombreuses femmes et filles du Sahel, les préoccupations quotidiennes les plus pressantes sont la survie et la protection contre la violence physique. Une intervention axée uniquement sur l’éducation peut ne pas trouver d’écho dans une communauté où les menaces les plus immédiates sont l’enlèvement, l’agression et la famine. Ce décalage apparent est illustré par la critique des ambassades de célébrités, comme celle d’Angelina Jolie en tant qu’ambassadrice des Nations unies. Bien que son action soit importante, pour une femme vivant dans un village sahélien isolé, confrontée à la terreur quotidienne de l’insurrection et au manque d’eau potable, il est peu probable qu’une célébrité avec laquelle elle n’a aucun lien social ou culturel lui apporte l’inspiration ou l’autonomisation nécessaires. La réalité locale est façonnée par des rôles sexospécifiques profondément ancrés et une lutte quotidienne pour les besoins de base, qui doivent être abordés dans leurs propres termes.
Recommandations : Une approche fondamentale de l’autonomisation
Pour une autonomisation réelle et durable, une approche plus holistique et plus stratifiée est nécessaire, une approche qui répond directement à la réalité du terrain. Les efforts les plus immédiats doivent se concentrer sur les couches fondamentales de la hiérarchie des besoins.
Sécurité et sûreté : Dans les zones à haut risque, une approche fondamentale exige d’aller au-delà des forces de sécurité traditionnelles. Elle doit donner la priorité aux initiatives de sécurité menées par les communautés, telles que la formation de comités de vigilance civils ou de groupes de surveillance de quartier, formés et équipés pour donner des alertes rapides et protéger les populations locales. Ces initiatives doivent être complétées par un renforcement des forces de sécurité locales grâce à une formation et à des ressources ciblées, afin de garantir qu’elles répondent aux besoins de la communauté et qu’elles sont en mesure de contrer efficacement les menaces terroristes. Ces mesures doivent toutefois être mises en œuvre avec précaution, en particulier dans les régions en proie à des conflits intercommunautaires ou interethniques.
Subsistance et réinstallation : Lorsque le déplacement forcé est nécessaire, les activités préalables à l’installation sont cruciales pour une transition en douceur et sans cruauté. Il s’agit notamment d’identifier des itinéraires de transit sûrs et d’établir des camps de transit temporaires avec un accès immédiat à la nourriture, à l’eau et aux fournitures médicales d’urgence. Il peut y avoir un problème car certains citoyens peuvent aussi avoir ce qu’ils considèrent comme un lieu et un itinéraire sûrs. Par conséquent, le fait d’annoncer et de rassurer la communauté avant le départ garantira la conformité.
Renforcer les capacités des populations locales : Soutenir les communautés pour qu’elles soient plus en sécurité nécessite une approche à multiples facettes qui va au-delà de la protection physique. Elle doit inclure des programmes de renforcement de la résilience qui aident les individus et les communautés à faire face aux cicatrices psychologiques du conflit. En outre, la formation professionnelle et le microfinancement peuvent permettre aux femmes et aux jeunes filles d’acquérir des moyens de subsistance indépendants, réduisant ainsi leur vulnérabilité économique et leur dépendance à l’égard d’autrui.
Conclusion
La guerre est une tragédie aux multiples facettes, mais son héritage le plus durable est la façon dont elle expose et exploite les vulnérabilités humaines. Alors que le monde continue de se débattre avec les complexités des conflits, en particulier dans des régions comme le Sahel, il est impératif d’aller au-delà des solutions simplistes et d’adopter une approche qui reconnaisse les besoins complexes et fondamentaux des deux sexes. Ce faisant, nous ne nous attaquons pas seulement aux symptômes des conflits, mais nous semons aussi les graines d’une société plus résiliente et plus équitable.
Références
Plümper, T., & Neumayer, E. (2005). The unequal burden of war : L’effet des conflits armés sur l’écart entre les sexes en matière d’espérance de vie. International Organization, 59(4), 723-747.
Sivakumaran, S. (2010). Sexual violence against men in armed conflict. European Journal of International Law, 21(1), 185-207.
Nations Unies. (2025, 7 août). L’escalade du terrorisme en Afrique de l’Ouest et au Sahel frappe plus durement les femmes, déclarent les orateurs au Conseil de sécurité. Couverture des réunions de l’ONU et communiqués de presse. https://press.un.org/en/2025/sc16138.doc.htm
UNICRI. (2023). Analyse des besoins en matière de genre pour la prévention de l’extrémisme violent au Sahel. UNICRI. https://unicri.org/sites/default/files/2023-11/Voices%20of%20Resilience%20EN.pdf