La région du Sahel est devenue un théâtre critique de la concurrence mondiale, où les intérêts stratégiques s’entrecroisent avec certaines des menaces terroristes les plus persistantes au monde. Alors que les puissances occidentales rééquilibrent leur engagement, la Russie, la Chine et, dans une moindre mesure, l’Ukraine, se sont engouffrées dans la brèche, chacune façonnant le paysage antiterroriste de la région de manière distincte et conséquente.
Russie : Guerre par procuration, armées privées et capital géopolitique
L’engagement croissant de la Russie au Sahel, en particulier au Mali, au Burkina Faso et au Niger, reflète un pivot plus large vers l’Afrique à la suite de son isolement géopolitique après l’invasion de l’Ukraine en 2022. Le déploiement de l’Africa Corps – anciennement Wagner Group – a positionné la Russie non seulement comme un partenaire militaire mais aussi comme un contrepoids aux interventions occidentales impopulaires(Global Terrorism Index 2025).
Au Mali, la Russie a fourni une assistance militaire directe par l’intermédiaire des troupes du Corps africain, qui sont arrivées à la fin de l’année 2021 pour participer aux opérations de contre-insurrection. Malgré leurs tactiques brutales, ces forces ont gagné la faveur d’une partie de l’opinion publique et de l’armée maliennes, désillusionnées par l’inefficacité des missions de maintien de la paix de la France et de l’ONU. Les sondages d’opinion réalisés au début de l’année 2024 ont révélé un taux d’approbation de 82 % pour l’implication de la Russie au Mali, bien que ce sentiment ait été mis à l’épreuve par des événements tels que l’embuscade tendue par les rebelles touaregs en juillet 2024, qui a tué au moins 84 membres du personnel russe(GTI 2025).
L’implication de la Russie n’est toutefois pas uniquement axée sur la sécurité. Le pays a stratégiquement tiré parti de l’engagement militaire pour extraire de la valeur économique, en particulier dans les transactions minières et d’infrastructure, tout en utilisant des campagnes de désinformation pour soutenir les récits anti-occidentaux. Des opérations d’influence coordonnées – diffusées via les médias sociaux, les influenceurs locaux et les médias soutenus par la Russie – ont réussi à modifier le sentiment public au Burkina Faso et au Mali, augmentant considérablement les perceptions négatives de la France(GTI 2025).
Néanmoins, le rôle de la Russie est en équilibre précaire. Ses opérations en Afrique sont de plus en plus tendues en raison des revers militaires en Ukraine et de la perte potentielle de son centre logistique en Syrie. L’effondrement du régime d’Assad a suscité des inquiétudes quant au maintien de l’accès aux bases méditerranéennes comme Tartous, ce qui a incité la Russie à repositionner plus de 100 véhicules militaires de la Syrie vers le Mali au début de 2025(GTI 2025). En outre, l’implication de l’Ukraine – par le biais d’un échange de renseignements et d’éventuelles fournitures de drones aux rebelles touaregs – laisse entrevoir un conflit par procuration naissant au Sahel, qui fait écho aux tensions plus larges entre l’Est et l’Ouest(GTI 2025).
La Chine : Intérêts économiques et implications pour la sécurité
La présence croissante de la Chine au Sahel est principalement motivée par des raisons économiques, mais elle adopte de plus en plus une posture sécuritaire pour protéger ses investissements. Au Burkina Faso, la Chine a étendu son empreinte après la rupture des relations avec Taïwan en 2019, en obtenant des licences minières et en renforçant ses liens avec le gouvernement militaire(GTI 2025).
Si l’engagement de la Chine reste largement non militaire, elle s’est engagée à verser 1 milliard de yuans (environ 136 millions de dollars) pour former 7 000 agents de sécurité africains dans le cadre de son initiative de sécurité mondiale, ce qui témoigne d’un engagement plus large en faveur de la stabilité régionale(GTI 2025). La décision de soutenir une force continentale en attente marque un changement dans la politique chinoise, laissant entrevoir de futurs rôles de maintien de la paix ou de contre-insurrection là où ses investissements sont menacés.
Au Niger, l’un des principaux fournisseurs d’uranium, les entreprises chinoises reprennent leurs activités et étendent leur influence dans le contexte de la vacance du pouvoir qui a suivi le coup d’État. Avec l’augmentation de la demande mondiale d’uranium, en particulier en Chine, l’intérêt de Pékin pour le Niger est appelé à croître, ce qui l’impliquera encore davantage dans la dynamique sécuritaire complexe de la région(GTI 2025).
Les États-Unis : Un repli stratégique face à une influence croissante
Malgré les revers enregistrés à la suite des coups d’État au Mali, au Burkina Faso et au Niger, les États-Unis ont conservé une influence considérable, notamment grâce à un engagement économique et diplomatique soutenu. Au Mali, par exemple, l’aide bilatérale américaine est passée de 132 millions de dollars en 2019 à plus de 156 millions de dollars en 2020, malgré la détérioration de la stabilité politique(GTI 2025). L’influence américaine s’est paradoxalement accrue alors même que l’engagement européen faiblissait.
Les restrictions imposées après le coup d’État ont limité le soutien militaire direct, mais les États-Unis se sont adaptés en réorientant leur lutte contre le terrorisme vers la coopération avec la Côte d’Ivoire et le Bénin, et ont récemment renvoyé des forces spéciales au Tchad(GTI 2025). Cette reconfiguration régionale vise à maintenir un accès stratégique tout en réduisant la visibilité des empreintes militaires américaines dans les pays politiquement instables.
Cependant, les États-Unis sont également confrontés à une baisse de l’approbation du public dans certaines parties du Sahel. Au Burkina Faso et au Mali, le soutien aux États-Unis a diminué de 9 % et 15 % respectivement, contrastant avec un sentiment croissant dans d’autres parties de la région(GTI 2025).
La France et l’Occident : Un héritage en perte de vitesse
La France, qui était autrefois l’acteur dominant en matière de sécurité au Sahel, a vu son influence s’effondrer de façon spectaculaire. Expulsée du Mali et du Burkina Faso, et confrontée à des révocations de licences minières au Niger, la capacité française à influencer les résultats en matière de sécurité s’est considérablement affaiblie. Ce déclin a été exacerbé par le sentiment anti-français, enflammé par la désinformation russe et les échecs des interventions passées(GTI 2025).
Le départ de 13 000 soldats français et de l’ONU a laissé un vide sécuritaire majeur, aujourd’hui partiellement comblé par les SMP russes et, de plus en plus, par des armées régionales enhardies par le soutien extérieur. Les efforts déployés par l’Occident pour maintenir son influence sont désormais essentiellement économiques ou diplomatiques, l’assistance militaire étant fortement réduite(GTI 2025).
Conclusion
Dans l’ensemble du Sahel, les régimes militaires du Mali, du Burkina Faso et du Niger ont présenté leur engagement avec des puissances non occidentales comme faisant partie d’un effort plus large de reconquête de la souveraineté. Le recours à des entreprises militaires privées permet aux gouvernements de contourner les conditions souvent imposées par l’aide occidentale et le soutien militaire.
Toutefois, ce nouveau modèle de coopération en matière de sécurité, dominé par le Corps africain de la Russie et la diplomatie économique de la Chine, soulève des inquiétudes quant au simple remplacement d’une forme de dépendance extérieure par une autre. En l’absence d’une véritable coopération régionale et de réformes internes, ces partenariats risquent d’enraciner l’autoritarisme tout en n’apportant pas d’améliorations durables en matière de sécurité. Le Sahel n’est pas seulement une zone d’instabilité : c’est désormais un champ de bataille pour l’influence mondiale, où convergent le terrorisme, l’effondrement des États et la rivalité des superpuissances. Les résultats de ces luttes se répercuteront bien au-delà de la région, façonnant l’architecture de la sécurité mondiale pour les années à venir. Alors que les puissances occidentales refont leurs calculs et que la Russie et la Chine se retranchent, les populations du Sahel restent prises dans le collimateur d’une tempête géopolitique qui ne montre aucun signe d’apaisement.
Référence
Indice mondial du terrorisme 2025. Institut pour l’économie et la paix. (2025).