Créée le 16 septembre 2023, l’Alliance des États du Sahel (AES), composée du Burkina Faso, du Mali et du Niger, n’a pas l’intention de mettre fin à son union après avoir claqué la porte de la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) le 28 janvier 2024. Les trois pays sont désormais face à leur propre destin, avec d’énormes défis à relever. Cependant, ils ont élaboré des initiatives pour renforcer leur coopération afin de proclamer leur « souveraineté ».
La lutte contre le terrorisme
Le principal défi auquel sont confrontés les pays de l’AES est la sécurité. Les trois dirigeants actuels de ces pays sont des militaires qui sont arrivés au pouvoir par des coups d’État dans le but de rétablir la paix. L’insécurité reste un véritable problème à résoudre.
Pour lutter contre le terrorisme, la confédération des États du Sahel envisage de mettre en place « une force unifiée de 5 000 hommes », comme l’a annoncé le ministre nigérien de la Défense, le général de corps d’armée Salifou Mody, dans une interview diffusée sur la télévision publique nigérienne le mardi 21 janvier 2025. Dans cet espace commun, nos forces pourront désormais intervenir ensemble avec cette force unifiée, qui est pratiquement prête, avec un effectif de 5 000 hommes. Elle disposera non seulement de ses propres personnels, mais aussi de ses propres moyens aériens, terrestres, de renseignement et, bien sûr, de son propre système de coordination. C’est une question de semaines avant qu’elle ne soit opérationnelle », a-t-il déclaré.
C’est un projet qui, dans sa forme, doit être salué car il devrait apporter une délivrance aux peuples meurtris par le terrorisme au cours des dix dernières années. Mais des questions se posent. Qui dirigera cette force unifiée ? Comment sera-t-elle financée ? Comment garantir son efficacité ? Comment innovera-t-elle, sous peine de reproduire les mêmes erreurs ? La Russie, de plus en plus présente dans l’AES, pourrait-elle être mise à contribution ? La Turquie, qui multiplie les accords de défense avec les pays du Sahel, pourrait-elle jouer un rôle ? Pour l’instant, aucune source de financement durable n’a été officiellement annoncée.
En Afrique, les forces mixtes ou multinationales n’ont pas manqué. Souvent annoncées en grande pompe, elles ont fini par montrer leurs limites. La dernière en date est le G5 Sahel, composé du Burkina Faso, du Tchad, du Mali, de la Mauritanie et du Niger. La France, qui était le principal partenaire du G5 Sahel, a été rejetée militairement par les quatre pays (à l’exception de la Mauritanie).
Si la force unifiée ne tire pas les leçons de ses erreurs pour rétablir la présence de l’État, fournir des services de base à la population et reconstruire un tissu social détruit par des années de guerre, ce ne sera qu’un nouveau recommencement.
L’économie
Sur le plan économique, les conséquences sont difficiles à estimer à l’avance, mais il faut noter que les trois pays de la Confédération ont le PIB par habitant le plus faible* : 882 USD pour le Burkina Faso, 877 USD pour le Mali et 629 USD pour le Niger. Ces chiffres sont parfois considérés comme insignifiants, mais ils sont significatifs en termes de déséquilibre régional lorsqu’on les compare à ceux de la Côte d’Ivoire (2 630 USD), du Ghana (2 331 USD), du Nigeria (2 316 USD) et du Sénégal (1 695 USD).
Il est clair que la signature du traité créant l’Alliance confédérale des États du Sahel (6 juillet 2024) va affaiblir la Cedeao. D’abord parce qu’elle perd un territoire de 2 758 000 km2, soit près de la moitié de la superficie de la Cedeao (6,1 millions de km2), et une population d’un peu plus de 70 millions d’habitants, soit seulement un tiers de la population de la communauté ouest-africaine (210 millions). La carte montre clairement l’ampleur de cette amputation.
Ces trois pays doivent maintenant se concentrer sur la coopération bilatérale avec certains pays membres de la CEDEAO. Le Ghana et le Togo semblent vouloir renforcer leur coopération avec l’AES. Grâce à leurs ports, les pays de l’AES, qui sont tous enclavés, peuvent renforcer leurs liens commerciaux avec le Ghana et le Togo. Si la coopération bilatérale avec les différents États de la CEDEAO suscite de l’intérêt, des défis subsistent. Les citoyens de ces trois pays auraient-ils besoin de visas pour traverser une région qui autorise la libre circulation ? La CEDEAO offre des avantages financiers, commerciaux et de circulation et, à moins que les accords bilatéraux proposés ne soient consolidés, les chaînes d’approvisionnement, les flux d’investissement et la croissance économique globale seraient perturbés ou, dans le meilleur des cas, freinés. En outre, les accords commerciaux existants qui couvrent le commerce régional pourraient poser des problèmes. Le développement de nouveaux systèmes commerciaux et le retrait des partenaires actuels de la Cedeao pourraient être problématiques. Le retrait pourrait également signifier une perte de soutien et d’assistance directs de la part de la Cedeao. Le statut des projets d’autoroutes traversant le Burkina Faso et le Niger et du projet de chemin de fer reliant le nord du Ghana à Ouagadougou est désormais incertain.
Culture
Le 4 février 2024 au Mali, les ministres de la culture des trois pays membres de la Confédération des États du Sahel ont signé un protocole d’accord sur la validation de la politique culturelle commune et de la stratégie artisanale commune de l’AES.
Cette signature s’inscrit dans la volonté des chefs d’Etat des pays membres de renforcer l’unité culturelle et de faire de la culture un levier de développement dans la région. Nos peuples, bien que divisés par des frontières héritées de la colonisation, partagent une histoire commune, des pratiques sociales similaires et un riche patrimoine culturel. La culture est le socle sur lequel nous devons construire notre unité », a déclaré le ministre de la culture et des arts du Burkina Faso, Gilbert Ouédraogo.
Isolement diplomatique
Comme nous l’avons souligné précédemment, les États de l’AES pourraient se retrouver isolés sur le plan diplomatique alors qu’ils s’efforcent d’obtenir une reconnaissance internationale. La CEDEAO a indiqué qu’elle souhaitait un retour à un régime démocratique, c’est-à-dire une situation où les dirigeants sont choisis par le peuple de manière libre et équitable. Sans le soutien du bloc de la CEDEAO, il serait difficile de faire des incursions dans l’Union africaine et dans d’autres organisations internationales ayant des liens étroits avec la CEDEAO.
Vulnérabilité aux influences extérieures
Le retrait a été considéré par les analystes de la CISA comme particulièrement difficile. Alors que l’approche de la Cedeao aurait pu être meilleure, la réaction impulsive au bloc régional rend les États de l’AES vulnérables aux puissances extérieures, telles que la Chine et la Russie. Il ne fait aucun doute que la France a perdu une part importante de son contrôle et de son pouvoir d’influence, et que l’opinion publique dans trois pays est contre elle. Toutefois, un coup d’État contre les dirigeants actuels pourrait entraîner un renversement des progrès réalisés, car un nouveau dirigeant pourrait chercher à établir une relation avec les puissances coloniales. Pour l’instant, un pays d’importance mondiale pourrait chercher à exercer une influence en l’absence du contrôle régional de la CEDEAO. Les trois pays sont plus vulnérables aujourd’hui sans l’union au sein de la CEDEAO.
Préoccupations humanitaires
L’impact humanitaire de la lutte contre les islamistes dans la région suscite des inquiétudes. La guerre contre les insurgés pose des problèmes de déplacement interne. Habituellement, les civils fuyant le conflit sont les bienvenus dans d’autres pays de la Cedeao. Leur retrait rend l’acceptation plus difficile car la coopération n’est plus basée sur une compréhension commune et l’intégration des informations relatives à l’immigration. En outre, en cas d’épidémie de méningite, d’Ebola, de COVID ou d’autres maladies hautement transmissibles, ils ne pourraient pas bénéficier de la CEDEAO.
Conclusion
Le développement et la croissance des nations sont similaires au développement et à la croissance des entreprises. Le défi réside dans l’échelle et le modèle de fonctionnement. Aucune nation n’est une île et la décision des États de l’AES de quitter la Cedeao, bien que populaire auprès de leurs citoyens, reste un défi. En effet, leurs succès et leur popularité actuels pourraient être de courte durée, étant donné l’interconnexion des pays africains entre eux.
Cette décision pourrait entraver de manière significative leur dynamique politique, économique et sécuritaire, les rendant plus vulnérables aux pressions internes et externes. Cela est dû en grande partie au fait qu’ils seraient exclus des programmes d’infrastructure à l’échelle de la Cedeao concernant les projets ferroviaires, routiers, énergétiques et de télécommunications qui devraient être entrepris. En outre, les principaux projets d’intégration de la Cedeao censés créer davantage d’opportunités pour tous les citoyens ne concerneraient pas les États de l’AES. Plus important encore, les avantages attendus de la zone de libre-échange continentale africaine seraient sévèrement limités, voire réduits à néant.