Avec 30 % des ressources minérales connues dans le monde, le continent africain n’est pas seulement riche en ressources, il est aussi au cœur de la transition mondiale vers des économies vertes et durables (Fondation Mo Ibrahim, 2022). Pourtant, malgré cet immense potentiel, l’Afrique continue d’occuper le dernier échelon de la chaîne de valeur mondiale, principalement en tant que fournisseur de matières premières pour les économies industrialisées de l’Ouest et de l’Est. Pour changer cette trajectoire, l’Afrique doit résolument passer du statut de fournisseur de ressources naturelles à celui de continent qui ajoute de la valeur à ses propres ressources. Ce changement n’est pas seulement un impératif économique, mais aussi une nécessité politique, sociale et de développement.
Un héritage d’extraction et de dépendance
La situation difficile dans laquelle se trouve actuellement l’Afrique est profondément enracinée dans son histoire coloniale. La colonisation européenne a restructuré les économies africaines pour les mettre au service de l’industrialisation de l’Europe. Les chemins de fer, les ports et les routes commerciales ont été conçus pour exporter les minéraux bruts de l’Afrique – l’or, le cuivre, les diamants et, plus tard, le pétrole – tandis que les produits finis circulaient dans la direction opposée (Mavhunga, 2023). Les industries locales ont été étouffées, les systèmes traditionnels de valeur ajoutée démantelés et les systèmes de connaissances indigènes érodés.
Même après l’indépendance, la plupart des pays africains ont hérité d’économies extractives conçues pour l’exportation et non pour la transformation. Les efforts postcoloniaux en faveur de la nationalisation et de la propriété locale des richesses minérales ont souvent échoué en raison de capacités techniques limitées, de contraintes de capitaux et d’une dépendance continue à l’égard des multinationales (Britwum & Saadi, 2020). Aujourd’hui, seuls 10 à 15 % de la valeur des ressources minérales africaines sont conservés sur le continent, ce qui reflète un déséquilibre persistant qui perpétue la dépendance (African Natural Resources Management and Investment Center, 2022).
Une opportunité verte de transformation
L’évolution mondiale vers les énergies renouvelables et les technologies vertes a ravivé l’intérêt pour les minéraux critiques de l’Afrique – cobalt, lithium, graphite, platine, bauxite et uranium – tous essentiels pour les véhicules électriques, les batteries et les systèmes d’énergie propre (Cloete et al., 2023). La République démocratique du Congo fournit plus de 70 % du cobalt mondial ; l’Afrique du Sud domine les métaux du groupe du platine ; la Guinée détient près d’un quart des réserves mondiales de bauxite ; et la Namibie est l’un des principaux exportateurs d’uranium (Fondation Mo Ibrahim, 2022).
Cette abondance place l’Afrique au cœur de la transition verte. Pourtant, sans un changement de gouvernance et d’orientation politique, le continent risque de répéter l’histoire – exporter des minéraux bruts essentiels tout en important des produits finis coûteux tels que des batteries, des panneaux solaires et des véhicules électriques. Il en résulterait un nouveau cycle de dépendance sous une nouvelle apparence verte (Boafo et al., 2024).
Pourquoi la valeur ajoutée est-elle essentielle ?
1. Indépendance économique et industrialisation
La valeur ajoutée en Afrique peut transformer les économies du continent en créant des industries, en générant des emplois et en augmentant le PIB. La transformation des minéraux en produits intermédiaires et finis multiplie leur valeur économique. Par exemple, le raffinage du lithium en matériaux de qualité batterie ou du cobalt en composants de cathode peut rapporter beaucoup plus que l’exportation du minerai brut (Agence internationale pour les énergies renouvelables, 2023).
2. Réduire la vulnérabilité aux chocs du marché mondial
La forte dépendance de l’Afrique à l’égard des exportations de matières premières l’expose à la volatilité des prix mondiaux. En développant leurs capacités de transformation et de fabrication, les économies africaines peuvent stabiliser leurs flux de revenus, diversifier leurs exportations et se prémunir contre les ralentissements mondiaux (Müller, 2023).
3. Renforcer l’effet de levier géopolitique
Dans la « nouvelle ruée » actuelle sur les minerais essentiels, la Chine et les pays occidentaux courtisent les États africains pour s’assurer un accès à long terme aux ressources. Au lieu d’être des fournisseurs passifs, les pays africains peuvent tirer parti de la concurrence entre les puissances mondiales pour obtenir de meilleures conditions commerciales, des transferts de technologie et des investissements dans les infrastructures liés à la valorisation locale (Cloete et al., 2023 ; Boafo et al., 2024).
4. Justice sociale et environnementale
Les communautés locales supportent souvent le poids de la dégradation de l’environnement et des perturbations sociales causées par l’exploitation minière sans bénéficier d’une compensation adéquate. L’ajout de valeur sur place garantit que davantage de bénéfices – emplois, infrastructures et investissements sociaux – restent dans les régions touchées, réduisant ainsi les inégalités et favorisant un développement inclusif (Beuter et al., 2024).
Changements de politique : Signes d’une nouvelle ère
Plusieurs pays africains ont commencé à prendre des mesures audacieuses pour reprendre le contrôle de leurs richesses minérales.
- Le Zimbabwe et la Namibie ont interdit l’exportation de lithium non traité afin d’encourager la transformation locale.
- Le Ghana a pris des mesures pour raffiner la bauxite, le lithium et le minerai de fer sur son territoire, tout en construisant une raffinerie d’or nationale.
- Le Botswana a renégocié avec succès son accord sur les diamants avec De Beers, en obtenant une plus grande part des bénéfices et en créant un fonds d’investissement de 75 millions d’USD.
- Les gouvernements post-coup d’État au Mali, au Niger et en Guinée ont augmenté la participation de l’État dans les projets miniers et ont rendu obligatoire la valorisation locale (Global Policy Watch, 2024).
Bien que certaines de ces mesures fassent l’objet d’une opposition – notamment parce qu’elles violent les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) – elles reflètent un consensus croissant sur le fait que l’Afrique ne doit plus être une source de matières premières bon marché (Fang, 2024).
Construire une chaîne de valeur africaine
Le passage du statut de fournisseur à celui de fabricant nécessite plus que des interdictions politiques ; il exige une action coordonnée à l’échelle du continent. L’Agenda 2063 de l’Union africaine, la Vision minière de l’Afrique (AMV) et l’Architecture africaine de gouvernance des ressources naturelles (ANRGA) fournissent des cadres pour une gestion inclusive et durable des ressources (Adeniran & Onyekwena, 2020). Toutefois, la mise en œuvre doit être accélérée par les moyens suivants
- Intégration industrielle régionale : Des initiatives telles que la zone de libre-échange continentale africaine (AfCFTA) et le corridor de Lobito (reliant l’Angola, la Zambie et la RDC) devraient faciliter le traitement et la logistique transfrontaliers afin de créer des chaînes d’approvisionnement continentales (Chabala, 2024).
- Investissement dans le capital humain et le transfert de technologie : L’Afrique doit développer les compétences et les institutions nécessaires pour raffiner, fabriquer et commercialiser ses propres produits à base de minerais.
- Financement et propriété conjoints : Plutôt que de dépendre de prêts étrangers, les États africains peuvent mettre en commun leurs ressources par l’intermédiaire d’institutions telles que la Banque africaine de développement pour financer des projets d’infrastructure, de recherche et d’industrialisation (Songwe & Adam, 2023).
- Transparence et responsabilité : Le renforcement de la gouvernance est essentiel. La nature opaque des accords miniers bilatéraux, en particulier avec les puissances extérieures, doit céder la place à la transparence et à l’examen public pour garantir que les revenus des ressources profitent aux citoyens (Beuter et al., 2024).
Se réapproprier le récit de l’Afrique
L’évolution de l’Afrique vers la création de valeur ajoutée est plus qu’une stratégie économique – c’est la continuation de la lutte anticoloniale pour la souveraineté et l’autodétermination. L’Afrique ne doit plus être considérée comme un continent d’extraction, mais comme un centre d’innovation, de production et de croissance durable.
L’histoire précoloniale de la métallurgie africaine – de la fonte du fer dans l’ancien Zimbabwe au raffinage de l’or en Afrique de l’Ouest – nous rappelle que la valeur ajoutée n’est pas nouvelle sur le continent ; elle a été perturbée par le colonialisme (Chirikure, 2018 ; Green, 2023). La redécouverte et la modernisation de cet héritage peuvent permettre à l’Afrique de tracer une nouvelle voie qui concilie croissance économique, durabilité environnementale et justice sociale (Mavhunga, 2023).
Conclusion
La transition mondiale vers les énergies vertes offre à l’Afrique une opportunité sans précédent, à condition qu’elle prenne le contrôle de son destin minéral. Rester un fournisseur de matières premières perpétuerait la dépendance et le sous-développement ; adopter la valeur ajoutée débloquerait la prospérité et la résilience.
En investissant dans les industries de transformation, en encourageant la coopération régionale et en exigeant des partenariats équitables avec les puissances mondiales, l’Afrique peut transformer sa richesse en ressources en une base pour un développement inclusif et durable.
Le message est clair : l’Afrique ne doit pas exporter son avenir. Elle doit l’affiner, le fabriquer et le construire chez elle.
Références
Adeniran, A. et Onyekwena, C. (2020). L’AfCFTA et le potentiel d’industrialisation de l’Afrique. Brookings Institution.
Centre africain de gestion des ressources naturelles et d’investissement. (2022).
Beuter, P., Bhuee, R., Gabadadze, L., Gnanguênon, A., & Hofmeyr, J. (2024). Transparence dans les accords miniers critiques de l’Afrique. Fondation Mo Ibrahim.
Boafo, J., Odobai, E., Stemn, E. et Nkrumah, P. (2024). Geopolitics of critical minerals in Africa (Géopolitique des minéraux essentiels en Afrique). Policy Insights Journal, 12(3), 1-3.
Britwum, A. et Saadi, I. (2020). Extractive industries and dependency in postcolonial Africa (Industries extractives et dépendance en Afrique postcoloniale). Journal of African Political Economy, 47(2), 55-72.
Chabala, M. (2024). L’intégration régionale et le corridor de Lobito : Un catalyseur pour le commerce des minéraux en Afrique. Revue économique africaine, 18(1), 44-58.
Chirikure, S. (2018). Les métaux dans l’histoire africaine : Métallurgie et technologie précoloniales. Cambridge University Press.
Cloete, A., Müller, C. et Fang, T. (2023). Critical minerals, Africa, and the global energy transition. African Policy Review, 11(2), 12-21.
Fang, T. (2024). Interdictions d’exportation et tensions commerciales mondiales : Implications pour la gouvernance minérale de l’Afrique. World Economy Today, 23(6), 804-811.
Observatoire des politiques mondiales. (2024).
Green, T. (2023). Gold and trade in precolonial West Africa. African Historical Studies, 29(1), 33-49.
Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA). (2023). Géopolitique de la transformation énergétique : The critical minerals dimension. Abu Dhabi : IRENA.
Mavhunga, C. (2023). Mining, colonialism, and technological sovereignty in Africa (Exploitation minière, colonialisme et souveraineté technologique en Afrique). MIT Press.
Fondation Mo Ibrahim. (2022). Rapport 2022 sur la gouvernance des ressources de l’Afrique. Londres : MIF.
Müller, C. (2023). The geopolitics of supply chains and Africa’s mineral future (La géopolitique des chaînes d’approvisionnement et l’avenir minéral de l’Afrique). Journal of Global Development Studies, 9(4), 178-187.
Songwe, V. et Adam, M. (2023). Africa’s leadership in the green transition. Oxford University Press.




























