Introduction
Selon NSD-SHUB et ACSRT (2022), le continent africain est à ce jour l’épicentre du terrorisme à l’échelle mondiale et extrêmement vulnérable à l’extrémisme violent, en particulier l’Afrique de l’Ouest côtière. Cet extrémisme violent apparaît souvent comme l’interaction de plusieurs facteurs à la fois. Il est donc difficile de faire des prévisions à partir d’un seul facteur. Cependant, les mouvements extrémistes violents naissent et se développent à partir de l’exploitation des vulnérabilités qui existent dans une société plus large, y compris les griefs individuels dans toute communauté, principalement au niveau local. Par exemple, dans son discours de martyre prononcé en 2021, Abu Dujana a appelé à des attaques djihadistes au Ghana tout en demandant à ses proches vivant dans la zone de Karaga, dans la région du Nord, de s’élever contre les actes de violence communautaire dont ils font l’objet. Suivant son appel au djihad, Dujana, un Fulani ghanéen, a fait exploser en juin de la même année une bombe suicide au nom de Jama’at Nusrat al-Islam wal-Muslimin près d’un camp français à Gossi, au Mali, selon l’African Defense Forum.
Parmi les autres problèmes figurent l’impunité des responsables politiques, la corruption, le manque d’équipements sociaux et le chômage, en particulier chez les jeunes. En conséquence, ces problèmes non résolus ont engendré des conditions de désillusion, de désespoir et de frustration au sein de la population locale. Dans de nombreux cas, la radicalisation par des groupes extrémistes violents peut être attribuée à ces griefs non résolus.
L’extrémisme violent, étroitement lié aux tensions intercommunautaires et aux activités criminelles, occupe de plus en plus de vastes portions de territoire dans le Sahel (Nations unies, 2020a ; Bøås, 2019). L’instabilité croissante et la détérioration de la sécurité au Burkina Faso, au Mali et au Niger indiquent que les pays voisins d’Afrique de l’Ouest doivent prendre des mesures contre les répercussions régionales (NSD-SHUB et ACSRT, 2022). Au cours de la dernière décennie, le Sahel a été considéré comme la région la plus préoccupante en raison de l’instabilité de ses pays et de l’augmentation rapide de la menace extrémiste violente. Après la chute de la Libye et la rébellion touareg de 2012 au Mali, la propagation des activités terroristes a atteint des niveaux jamais vus dans le Sahel et a atteint la zone des trois frontières du Mali, du Burkina Faso et du Niger. Les activités et les idéologies menées par les extrémistes ont ensuite commencé à se propager dans les États côtiers du golfe de Guinée au fur et à mesure que la guerre faisait rage, fournissant un exemple empirique de contagion sécuritaire (Cooke, Sanderson, Johnson et Hubner, 2016 ; Nations Unies, 2022b).
Les gouvernements d’Afrique de l’Ouest, sous l’égide de la CEDEAO et de ses institutions spécialisées, ont été à l’avant-garde des efforts de lutte contre le terrorisme afin de dissiper les inquiétudes croissantes en matière d’insécurité, qui risquent de se propager aux autres pays. Des stratégies de lutte contre le terrorisme à l’intérieur de leurs frontières ont été élaborées par des pays particulièrement touchés comme le Nigeria, le Mali et le Burkina Faso. Ces efforts combinent souvent des opérations militaires, la collecte de renseignements et des réformes juridiques visant à perturber les réseaux terroristes et à empêcher le recrutement.
Ce document vise à explorer la relation complexe entre les efforts de lutte contre le terrorisme et les crises humanitaires en Afrique de l’Ouest. Nous utiliserons certaines études de cas pour tenter d’identifier exactement comment les stratégies antiterroristes affectent les conditions humanitaires et pour trouver des moyens de trouver un équilibre entre les besoins de sécurité et les impératifs humanitaires.
2. Aperçu des efforts de lutte contre le terrorisme en Afrique de l’Ouest
La CEDEAO, initialement fondée pour l’inclusion économique et la croissance des États membres, a redéfini ses fonctions au fil du temps pour y inclure des fonctions de sécurité dans le cadre de la mise en œuvre des efforts de lutte contre le terrorisme. Sur le plan international, la CEDEAO entretient des relations sur le terrorisme et les questions connexes avec des partenaires de développement, notamment les Nations unies, l’Union européenne, l’Union africaine, la Banque mondiale et des États à l’intérieur et à l’extérieur du continent et de la sous-région. La CEDEAO est également un partenaire régional du Comité des Nations Unies contre le terrorisme (Akanji, 2019 ; Nations Unies, 2015). Alors que l’on attendait beaucoup de la CEDEAO, l’organisation n’a pas pu faire grand-chose en raison d’un manque de moyens financiers et de volonté politique de la part de ses membres (France24, 2023). Les Nations unies apportent leur aide par le biais de missions de maintien de la paix et de programmes de renforcement des capacités. La France (opération Barkhane) a mené des opérations militaires dans la région du Sahel contre des groupes terroristes. En outre, les efforts de lutte contre le terrorisme sont soutenus par la formation, l’échange de renseignements et l’aide financière des États-Unis.
En général, les stratégies de lutte contre le terrorisme en Afrique de l’Ouest impliquent des interventions militaires, de renseignement et juridiques. C’est par le biais des armées nationales, soutenues par des forces internationales, que ces opérations sont menées pour démanteler les organisations terroristes. L’échange de renseignements et la surveillance sont essentiels pour repérer et neutraliser les menaces.
3. Crise humanitaire et terrorisme
Les actes de terrorisme et les crises humanitaires en Afrique de l’Ouest constituent un défi complexe et imbriqué qui touche au cœur même de la stabilité et du développement de la région. Différentes organisations terroristes – Boko Haram au Nigeria, Al-Qaïda au Maghreb islamique au Mali et au Sahel, et les affiliés de l’ISIS dans le bassin du lac Tchad – ont renforcé les explosions de violence caractérisées par des attentats à la bombe, des enlèvements et des attaques contre des communautés. Ces organisations ciblent non seulement les civils mais sapent également l’autorité gouvernementale, créant un état de peur et d’instabilité qui entraîne le déplacement de millions de personnes et perturbe les moyens de subsistance.
Par essence, le terrorisme en Afrique de l’Ouest a de vastes implications humanitaires. Il s’agit notamment de déplacements massifs de familles qui doivent quitter leur domicile pour se protéger des attaques et se regrouper dans des camps de réfugiés surpeuplés, voire dans des pays voisins, en vue d’une réinstallation. Elle met à rude épreuve les rares équipements sociaux, intensifie les animosités ethniques et multiplie les défis pour les agences humanitaires qui cherchent à offrir un service humain et une protection aux personnes vulnérables.
L’insécurité alimentaire est un autre problème critique qui est exacerbé par le terrorisme et la violence. Les perturbations des activités agricoles, de l’accès aux marchés et des modalités d’approvisionnement en denrées alimentaires entraînent de graves carences en aliments et en nutriments essentiels. Une fois de plus, les jeunes enfants et les personnes âgées sont très vulnérables aux dangers de la famine et de la malnutrition en raison de l’accès limité à l’aide dans les zones de conflit.
Les crises sanitaires aggravent encore l’impact humanitaire du terrorisme en Afrique de l’Ouest. L’insécurité et les déplacements font obstacle aux services de santé, ce qui favorise la propagation de maladies telles que le choléra, le paludisme et la rougeole dans les camps de réfugiés et les zones de conflit. Le manque d’infrastructures sanitaires et de soins de santé crée une vulnérabilité supplémentaire pour des communautés déjà accablées par les conséquences de la violence et des déplacements.
4. Recoupement entre les efforts de lutte contre le terrorisme et les crises humanitaires
L’opération Barkhane est une opération de lutte contre le terrorisme menée par l’armée française dans la région du Sahel en Afrique, lancée le 1er août 2014 et terminée le 9 novembre 2022. L’opération a été menée en partenariat avec cinq pays – tous d’anciennes colonies françaises – qui couvrent le Sahel : le Burkina Faso, le Tchad, le Mali, la Mauritanie et le Niger. Bien qu’elle ait permis de désorganiser les réseaux terroristes, elle s’est caractérisée par d’importants déplacements de civils qui ont aggravé les crises humanitaires déjà existantes. En raison de l’insécurité et des problèmes logistiques, l’acheminement de l’aide vitale a été considérablement compliqué, mettant ainsi en péril d’innombrables vies et rendant de nombreuses personnes vulnérables. Les effets sociaux et économiques comprennent la perturbation des moyens de subsistance et l’augmentation de l’insécurité alimentaire, ce qui accentue la pression sur les communautés déjà touchées par le conflit.
Le groupe Wagner est une société militaire privée russe engagée dans des activités militaires et de sécurité quasi-officielles dans des pays comme le Mali et la République centrafricaine. Des rapports ont mis en évidence des préoccupations humanitaires concernant l’assassinat et la mort de citoyens, les arrestations arbitraires et les déplacements de population dus aux opérations menées par le groupe Wagner. Les défis socio-économiques de la région sont encore aggravés par l’implication du groupe Wagner dans l’extraction des ressources et les activités économiques liées à l’exploitation des mines et des ressources naturelles. Cette exploitation sape les structures de gouvernance locale et aggrave rapidement la situation en matière de griefs et de conflits.
5. Analyse et décisions
Dans la plupart des régions, notamment en Afrique de l’Ouest et au Sahel, les résultats de l’efficacité des stratégies antiterroristes existantes dans la réduction des crises humanitaires sont mitigés. Ces mesures ont quelque peu affaibli des groupes de terroristes tels que Boko Haram au Nigeria, Al-Qaïda au Maghreb islamique au Mali et les affiliés d’ISIS dans cette région, mais les retombées humanitaires sont importantes et multiformes. Ces opérations militaires, ainsi que les frappes aériennes et les mesures de sécurité visant les réseaux de terroristes, ont généralement des conséquences imprévues : décès de civils, déplacements et perturbations des services dont les citoyens ont besoin. Les crises humanitaires vont des déplacements massifs de populations et de l’insécurité alimentaire aiguë aux urgences sanitaires qui ne montrent aucun signe d’apaisement, toutes dues principalement à l’érosion des infrastructures et à l’accès limité aux soins de santé.
Lors de la mise en œuvre de mesures antiterroristes efficaces, il est impératif de respecter les normes en matière de droits de l’homme. Le respect des principes des droits de l’homme dans ce processus permettra d’éviter l’intensification des griefs parmi les populations touchées, ce qui ne fait qu’alimenter de nouveaux cycles de conflit. Ces garanties assureront la sécurité des populations vulnérables, telles que les civils dans une zone de conflit et les réfugiés, et conduiront à la confiance, à la réconciliation et à une paix durable.
Les solutions durables et globales aux causes profondes du terrorisme et des crises humanitaires vont plus loin que les interventions armées. Les solutions durables comprennent notamment la mise en place de structures de paix et la promotion d’opportunités de développement économique. Il s’agit également de renforcer la cohésion sociale grâce à des structures de gouvernance inclusives et de traiter les griefs sous-jacents par le biais de mécanismes de résolution des conflits fondés sur le dialogue. Les investissements dans l’éducation, la santé et les infrastructures de base sont essentiels au rétablissement des communautés et à la prévention d’une nouvelle instabilité.
La stabilité à long terme dépend de programmes de consolidation de la paix solides qui engagent les communautés locales, les groupes de la société civile et les partenaires internationaux dans la voie de la réconciliation et du développement durable. Le renforcement de la résilience face à l’extrémisme passe par l’autonomisation des populations marginalisées, la promotion de la tolérance religieuse et la création d’opportunités économiques, réduisant ainsi la vulnérabilité de la population à la radicalisation. En intégrant la sécurité aux préoccupations humanitaires et de développement, les décideurs politiques peuvent contribuer à soutenir un environnement propice à la paix et à la prospérité et s’assurer que les efforts de lutte contre le terrorisme enrichissent la stabilité générale et le bien-être des personnes dans les zones touchées par les conflits.
6. Conclusion
Ce document étudie les relations complexes entre les efforts de lutte contre le terrorisme et les crises humanitaires en Afrique de l’Ouest, où ces crises évoluent et en viennent à suggérer des implications imprévues. En tant qu’étapes clés du rétablissement et du maintien de la stabilité régionale, les efforts déployés pour lutter contre le terrorisme semblent également aggraver les problèmes humanitaires. Les opérations militaires et les mesures de sécurité entraînent presque toujours la mort et le déplacement de civils, ainsi que la perturbation des services essentiels, ce qui aggrave encore les souffrances d’une population vulnérable dans un contexte de conflit et de terreur.
Il est donc nécessaire d’élaborer des stratégies qui permettent d’intégrer efficacement les impératifs de sécurité aux principes humanitaires. Des approches coordonnées visant à équilibrer les règles de sécurité et les principes de la pratique humanitaire dans les actes des décideurs politiques doivent être mises en œuvre. Les forces militaires, les humanitaires et les communautés locales doivent travailler ensemble dans le cadre d’une approche cohérente, globale et inclusive. Les initiatives communautaires s’attaquant aux causes profondes de l’extrémisme, promouvant la cohésion sociale et les opportunités de développement durable sont cruciales pour la stabilité à long terme.
En ce qui concerne l’avenir, l’Afrique de l’Ouest reste en proie à un terrorisme incessant et à des crises humanitaires. À cet égard, les efforts de lutte contre le terrorisme doivent progresser en même temps que les réponses humanitaires globales. Ces réponses doivent être souples et globales afin d’atténuer les effets du conflit, de garantir le respect des droits de l’homme et de promouvoir une meilleure résilience des communautés touchées. L’achèvement complet du traitement de toutes les questions sécuritaires et humanitaires peut alors constituer le tremplin pour l’avènement d’une paix et d’une stabilité durables, de manière à conférer une opportunité de prospérité aux populations de cette région.
Référence
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