L’Union africaine (UA) a lancé en janvier 2025 une nouvelle stratégie audacieuse visant à révolutionner l’agriculture et à assurer l’autosuffisance alimentaire sur le continent au cours de la prochaine décennie. L’initiative, selon l’UA, a été adoptée lors du sommet extraordinaire de l’UA sur le programme détaillé de développement de l’agriculture africaine (PDDAA) post-Malabo à Kampala, en Ouganda. Elle présente un programme de transformation des systèmes agroalimentaires africains pour la période 2026-2035.
Au cœur de cette stratégie se trouve l’engagement d’augmenter la production agricole de 45 % d’ici à 2035, de réduire de moitié les pertes après récolte et de tripler le commerce intra-africain de produits et d’intrants agricoles. Le plan vise également à augmenter la contribution des aliments transformés localement à 35 % du PIB agroalimentaire de l’Afrique, créant ainsi un système alimentaire plus résilient et plus durable pour le continent.
La déclaration du PDDAA de Kampala, approuvée par les 55 États membres de l’Union africaine, met l’accent sur six engagements clés visant à relever les défis posés par une population en croissance rapide. Avec une population africaine qui devrait atteindre 2,5 milliards d’habitants d’ici 2050 et une population mondiale qui devrait s’élever à 9,8 milliards d’habitants, la demande alimentaire devrait exploser. Conscients de cette situation, les dirigeants africains se sont engagés à intensifier les pratiques agricoles durables, à promouvoir l’agro-industrialisation et à développer le commerce.
La déclaration souligne le besoin urgent d’améliorer la productivité agricole, de moderniser la transformation des aliments et de renforcer les réseaux commerciaux à travers l’Afrique. Les dirigeants du continent ont également souligné l’importance de réduire le gaspillage alimentaire et les pertes après récolte afin de garantir que l’augmentation de la production se traduise par une amélioration de la disponibilité alimentaire.
Cette stratégie est essentielle dans le cheminement de l’Afrique vers la sécurité alimentaire, car elle fournit une feuille de route claire permettant aux pays de relever collectivement les défis alimentaires. En encourageant la collaboration et l’innovation, le plan vise à mettre en place des systèmes agricoles résilients capables de répondre aux futures demandes alimentaires du continent.
Cette initiative constitue un grand pas vers l’alignement des ambitions agricoles de l’Afrique sur ses objectifs de développement plus larges, ouvrant la voie à un continent plus sûr sur le plan alimentaire et plus autonome.
Facteurs d’insécurité alimentaire en Afrique
L’insécurité alimentaire en Afrique est due à une combinaison de facteurs structurels, environnementaux et socio-économiques :
1. Changement climatique et dégradation de l’environnement
Les phénomènes météorologiques extrêmes, tels que les sécheresses, les inondations et les précipitations irrégulières, réduisent considérablement la productivité agricole. Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), l’Afrique est l’une des régions les plus vulnérables aux effets du changement climatique, l’agriculture étant fortement tributaire des systèmes pluviaux (GIEC, 2022). Fin 2022, par exemple, des inondations ont déplacé 2,5 millions de personnes, détruisant les terres agricoles et exacerbant l’insécurité alimentaire au Nigeria. En conséquence, on prévoyait à l’époque que 25 millions de Nigérians souffriraient de la faim à la mi-2023 (International Rescue Committee (IRC)). En Éthiopie, la sécheresse touche plus de 24 millions de personnes, aggravée par le conflit et la hausse des prix des denrées alimentaires après l’effondrement de l’initiative sur les céréales de la mer Noire, l’Éthiopie dépendant fortement des importations de blé ukrainien et russe.
2. Conflits et instabilité politique
Les conflits armés et les troubles politiques perturbent la production alimentaire, les chaînes d’approvisionnement et l’accès aux marchés. Le Programme alimentaire mondial (PAM) signale que près de 70 % des personnes souffrant d’insécurité alimentaire dans le monde vivent dans des zones touchées par des conflits, dont un grand nombre en Afrique (PAM, 2023).
L’interaction entre la dynamique des conflits et les défis posés par les systèmes agricoles crée des scénarios complexes dans toute l’Afrique. Dans certains cas, des crises localisées s’étendent à des régions entières, entravant la capacité globale nécessaire pour assurer des sources fiables d’aliments nutritifs, tout en amplifiant la pauvreté cyclique parmi les communautés touchées et en intensifiant les besoins humanitaires. Les principales régions où les conflits font rage et ont des répercussions disproportionnées sur l’agriculture sont les suivantes ;
- Région du Tigré, Éthiopie
- Nord du Nigeria
- Sud Soudan
- République centrafricaine (RCA)
- République démocratique du Congo (RDC)
- Somalie
- Niger
- Mali
- Burkina Faso
3. Inégalités économiques et pauvreté
Les niveaux élevés de pauvreté et d’inégalité limitent l’accès à des aliments nutritifs pour des millions de personnes. La Banque africaine de développement (BAD) souligne que plus de 25 % de la population de l’Afrique subsaharienne est confrontée à l’extrême pauvreté, ce qui compromet le pouvoir d’achat des denrées alimentaires (BAD, 2023).
4. Croissance rapide de la population
La population africaine croît à un rythme sans précédent et devrait doubler d’ici 2050, ce qui exerce une pression considérable sur les systèmes alimentaires. Le Département des affaires économiques et sociales des Nations unies (UNDESA ) estime que cette croissance dépassera largement la production agricole si les tendances actuelles persistent (UNDESA, 2022). D’ici 2050, la population africaine devrait atteindre environ 2,5 milliards de personnes. Il s’agit d’une augmentation significative par rapport à la population actuelle d’environ 1,4 milliard. La croissance démographique est principalement due à des taux de natalité élevés et à un âge médian plus jeune que dans les autres régions du monde. L’Afrique subsaharienne, en particulier, devrait contribuer à la majeure partie de cette croissance.
5. Faiblesse des infrastructures agricoles
L’insuffisance des infrastructures d’irrigation, de stockage et de transport aggrave les pertes post-récolte, réduisant ainsi la disponibilité des denrées alimentaires. L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) estime que jusqu’à 37 % des denrées alimentaires produites en Afrique sont perdues après la récolte en raison d’infrastructures et de manipulations inadéquates (FAO, 2022).
Le potentiel agricole de l’Afrique
L’Afrique possède 65 % des terres arables non cultivées de la planète, ce qui représente une occasion unique de lutter contre l’insécurité alimentaire. Avec une facture d’importations alimentaires qui devrait dépasser les 110 milliards de dollars d’ici 2025 et 283 millions de personnes confrontées à la faim chaque année, il est essentiel d’exploiter ce potentiel (Banque africaine de développement).
Efforts pour assurer la sécurité alimentaire
La Banque africaine de développement (BAD) déclare avoir investi plus de 8 milliards de dollars dans l’agriculture en sept ans, améliorant ainsi la sécurité alimentaire de 250 millions de personnes. À la suite de l’interruption des exportations de blé et de maïs due à la guerre entre la Russie et l’Ukraine, la BAD a lancé une facilité alimentaire d’urgence de 1,5 milliard de dollars, aidant 20 millions d’agriculteurs dans 36 pays à produire 38 millions de tonnes de denrées alimentaires d’une valeur de 12 milliards de dollars. L’Éthiopie, par exemple, a atteint l’autosuffisance en blé et est désormais un exportateur de blé. Pour stimuler la valeur ajoutée, la BAD encourage la transformation agro-industrielle par le biais d’une initiative de 3 milliards de dollars soutenant 25 zones dans 15 pays. Cette initiative vise à faire de l’Afrique une puissance mondiale dans le domaine de l’alimentation et de l’agriculture.
Interventions de la Banque mondiale
La Banque mondiale souligne la vulnérabilité de l’Afrique face à une « tempête parfaite » de changement climatique, de pandémie de COVID-19, d’inflation et de chocs mondiaux. Les programmes de protection sociale, tels que l’initiative Baxnaano en Somalie, ont fourni des transferts en espèces à un million de ménages afin d’améliorer la sécurité alimentaire. En République démocratique du Congo, le projet STEP-KIN a permis à 270 000 personnes vivant dans des zones urbaines de bénéficier de transferts monétaires numériques.
Des projets agro-industriels tels que le projet agro-industriel et commercial de la Zambie et l’initiative AGCOM du Malawi améliorent la productivité des petits exploitants, réduisent les pertes alimentaires et favorisent la création d’emplois. L’amélioration des infrastructures, comme la modernisation des routes à Madagascar, aide les agriculteurs à accéder aux marchés et à stimuler la production agricole.
Agriculture à l’épreuve du climat
L’agriculture intelligente face au climat (AAC) est essentielle pour atténuer les risques climatiques. Au Lesotho, l’amélioration de l’irrigation et de la protection contre le gel a permis de pratiquer l’agriculture tout au long de l’année, tandis que le projet CSA du Kenya a renforcé la résilience des petits exploitants face aux chocs climatiques. Le programme régional de la Banque mondiale, d’un montant de 2,3 milliards de dollars, soutient l’Afrique orientale et australe dans sa lutte contre l’insécurité alimentaire. Les investissements initiaux bénéficient à Madagascar, à l’Éthiopie et à des organismes de coordination régionale tels que l’Autorité internationale pour le développement (IGAD) et le Centre de coordination de la recherche et du développement agricoles (CCARDESA).
Conclusion
L’Afrique peut s’attaquer à l’insécurité alimentaire en tirant parti de son vaste potentiel agricole, en renforçant sa résistance au climat et en investissant dans l’agriculture à valeur ajoutée. Avec 65 % des terres arables non cultivées du monde, le continent peut stimuler la production alimentaire pour nourrir sa population croissante et ses excédents d’exportation. Le passage de l’exportation de matières premières à celle de produits agricoles à valeur ajoutée peut générer de la richesse et créer des emplois. Par exemple, l’Afrique produit 65 % du cacao mondial, mais ne gagne que 2 % du marché du chocolat, d’une valeur de 120 milliards de dollars, en raison d’une capacité de transformation limitée (Adesina, 2022). Des initiatives telles que les zones spéciales de transformation agro-industrielle de la BAD, soutenues par un financement de 3 milliards de dollars, visent à combler cette lacune en renforçant les capacités de transformation locales.
Le renforcement d’une agriculture intelligente face au climat est essentiel pour atténuer les effets du changement climatique. Le programme régional de la Banque mondiale, d’un montant de 2,3 milliards de dollars, promeut des systèmes alimentaires résistants au climat en Afrique orientale et australe, bénéficiant à plus de 2,3 millions de personnes grâce à l’amélioration des infrastructures, des systèmes de semences et de la recherche (Banque mondiale, 2022). En combinant les investissements, l’innovation et les stratégies de renforcement de la résilience, l’Afrique peut parvenir à la sécurité alimentaire et réduire durablement la faim. En outre, le recours à des stratégies simples et peu coûteuses, telles que l' »Opération Feed Yourself » lancée par l’un des chefs d’État de l’armée ghanéenne, Ignatius Kutu Acheampong, en 1972, pourrait grandement contribuer à améliorer la situation. Ce programme encourageait simplement les Ghanéens à cultiver leur propre nourriture dans leurs cours arrière et latérales pour assurer leur subsistance. Il est déjà normal que les familles africaines des zones rurales et des villages cultivent leur propre nourriture. L’extension de cette culture aux villes constituerait un pas en avant vers l’autosuffisance alimentaire de l’Afrique. Comme on le dit souvent, « de petites gouttes d’eau font un grand océan ». Ces petits pas pourraient être la clé de l’autosuffisance alimentaire de l’Afrique.