Dans le monde entier, les familles et les « dynasties » politiques ont joué un rôle important dans l’élaboration des trajectoires des dirigeants nationaux. Aux États-Unis, par exemple, George W. Bush est devenu le premier président moderne dont le père, George H.W. Bush, avait également occupé la présidence américaine. Notamment, Bush Jr. a servi plus longtemps que son père (The White House, n.d.). Plus tôt dans l’histoire américaine, John Quincy Adams, le sixième président, était le fils du deuxième président, John Adams. De même, en Asie, plusieurs femmes dirigeantes – telles que Park Geun-hye en Corée du Sud, Corazon Aquino aux Philippines et Indira Gandh en Inde – étaient les filles d’anciens chefs d’État. Au Pakistan, un rare revirement s’est produit lorsque Asif Ali Zardari a accédé à la présidence après l’assassinat de son épouse, Benazir Bhutto (BBC News, 2008).
Successions dynastiques légitimes en Afrique
Les exemples ci-dessus montrent que les dynasties politiques ne sont pas propres à l’Afrique. En fait, certaines familles politiques africaines ont accédé au pouvoir par le biais de processus légitimes et démocratiques. Au Botswana, au Kenya et à Maurice, les fils des dirigeants fondateurs sont devenus chefs d’État après des intervalles considérables suivant les mandats de leurs pères. Le président Ian Khama du Botswana a été élu 27 ans après le départ de son père, Seretse Khama. Uhuru Kenyatta, au Kenya, a pris le pouvoir 34 ans après son père, Jomo Kenyatta. À titre de comparaison, Navin Ramgoolam, de l’île Maurice, a été élu 13 ans après le départ de son père, Sir Seewoosagur Ramgoolam (Centre d’études stratégiques de l’Afrique, 2023). Nana Akufo-Addo du Ghana est également devenu président 45 ans après que son père, Edward Akufo-Addo, soit devenu le président cérémoniel du pays d’Afrique de l’Ouest en 1970 et ait exercé cette fonction jusqu’en 1972. Peter Mutharika, du Malawi, est devenu président plusieurs années après la mort de son frère, Bingu wa Mutharika, à l’issue d’un processus électoral légitime.
Dans chacun de ces cas, le passage du temps a permis à l’électorat d’évaluer de manière critique l’héritage de la génération précédente et de prendre des décisions en connaissance de cause. Ces transitions se sont déroulées dans le cadre d’ordres constitutionnels stables et d’élections contestées.
Successions dynastiques illégitimes en Afrique
Toutefois, une tendance plus préoccupante est le renforcement des dynasties politiques par des moyens inconstitutionnels ou coercitifs. Ces cas présentent des risques importants pour la paix, le développement démocratique et la sécurité sur le continent. Les exemples du Gabon, du Togo, de la République démocratique du Congo (RDC), de la Guinée équatoriale et d’autres illustrent le potentiel déstabilisateur des transitions dynastiques du pouvoir, motivées par l’ambition personnelle ou familiale plutôt que par la volonté démocratique du peuple. C’est l’objet de cet article.
Études de cas de succession dynastique par des moyens non démocratiques
Au Gabon, Ali Bongo Ondimba a succédé à son père, Omar Bongo, qui a dirigé le pays pendant plus de quatre décennies. Le règne d’Ali a pris fin brutalement en 2023 à la suite d’un coup d’État militaire organisé quelques heures seulement après l’annonce d’une victoire électorale contestée. Le coup d’État a mis fin à un règne familial de 56 ans, marqué par des allégations de corruption et de mauvaise gestion économique, malgré la richesse pétrolière considérable du pays et un PIB par habitant de 19 165 dollars (Banque mondiale, 2023). Le contrôle de longue date des Bongos sur le pays illustre la manière dont un régime dynastique peut favoriser un climat d’autoritarisme et d’accaparement des élites (Al Jazeera, 2023).
De même, au Togo, Faure Gnassingbé a succédé à son père, Gnassingbé Eyadéma, en 2005 dans des circonstances très contestées. Eyadéma avait dirigé le pays pendant 38 ans. L’accession de Faure a d’abord été soutenue par l’armée et a été suivie de violences politiques et d’élections contestées. Plus récemment, en juin 2025, Faure a été au centre de nouvelles manifestations après que des réformes constitutionnelles lui aient permis de prolonger indéfiniment son emprise sur le pouvoir. La répression violente des manifestations, qui a entraîné de nombreux décès et arrestations, souligne les risques que les politiques dynastiques font peser sur la stabilité nationale (Human Rights Watch).
En RDC, Joseph Kabila a succédé à son père, Laurent-Désiré Kabila, après l’assassinat de ce dernier en 2001. Bien qu’initialement bien accueilli, le règne prolongé de Joseph Kabila a été marqué par des retards répétés dans les élections et des troubles civils généralisés (International Crisis Group, 2018).
En Guinée équatoriale, le président Teodoro Obiang Nguema, qui a renversé son oncle lors d’un coup d’État en 1979, a depuis positionné son fils, Teodoro Nguema Obiang Mangue, comme son successeur probable en le nommant vice-président, ce qui est interprété comme une préparation à la continuité dynastique.
Les stratagèmes politiques dynastiques
D’autres dirigeants africains ont également placé des membres de leur famille à des postes gouvernementaux importants, apparemment en vue d’une succession dynastique. Au Congo-Brazzaville, le fils du président Denis Sassou-Nguesso, Denis-Christel Sassou-Nguesso, occupe des fonctions ministérielles importantes. Au Cameroun, le fils du président Paul Biya, Franck Biya, est largement considéré comme un héritier potentiel. Le président ougandais Yoweri Museveni, au pouvoir depuis 1986, a nommé son fils, Muhoozi Kainerugaba, à la tête de l’armée, ce qui suscite des inquiétudes quant à une succession héréditaire déguisée (AlJazeera, 2024).
Les tentatives d’installation des conjoints à des postes de pouvoir ont également échoué, parfois avec des conséquences déstabilisantes. Au Zimbabwe, la tentative de Robert Mugabe de faire succéder son épouse, Grace Mugabe, a déclenché des conflits internes au sein du parti au pouvoir, le ZANU-PF, et a finalement conduit au coup d’État de 2017. De même, en Afrique du Sud, les efforts de l’ancien président Jacob Zuma pour influencer la course à la direction du Congrès national africain (ANC) en faveur de son ex-femme, Nkosazana Dlamini-Zuma, se sont révélés infructueux et ont semé la discorde.
Comment les politiques dynastiques menacent la démocratie et la sécurité
Les dynasties politiques, en particulier celles qui sont formées ou maintenues par des moyens non démocratiques, constituent une menace pour la stabilité et la gouvernance démocratique en Afrique.
Saper les processus démocratiques
Les régimes dynastiques manipulent souvent les processus électoraux, restreignent la participation politique et répriment la dissidence. Ces actions érodent la confiance dans les institutions et aliènent la population, augmentant ainsi la probabilité de troubles (Freedom House, 2023).
Exacerber les inégalités
Lorsque le pouvoir est concentré au sein d’une seule famille, il en résulte souvent un accès inégal aux ressources de l’État. Les régimes dynastiques ont tendance à profiter aux cercles de l’élite, ce qui accroît les inégalités sociales et économiques et nourrit le ressentiment de l’ensemble de la population (PNUD, 2022).
Faciliter la corruption
La corruption a tendance à se développer sous un leadership dynastique. Les élites enracinées sont plus susceptibles d’abuser des ressources de l’État pour maintenir leur emprise sur le pouvoir, et ce manque de responsabilité affaiblit la confiance du public dans la gouvernance (Transparency International, 2023).
Restreindre la concurrence politique
Les dynasties monopolisent souvent l’espace politique, décourageant l’émergence de voix alternatives et étouffant l’innovation en matière de leadership. Cette stagnation conduit à une gouvernance peu réactive et à la perpétuation de politiques inefficaces ou injustes (Union africaine, 2022).
Perpétuer les griefs
Lorsque la succession politique est perçue comme népotique ou ethniquement biaisée, elle peut déclencher des tensions ethniques ou régionales. Cela est particulièrement dangereux dans les sociétés ethniquement diverses où les perceptions d’exclusion peuvent dégénérer en conflits violents (Brookings Institution, 2023).
Conclusion
La démocratie n’en est qu’à ses débuts en Afrique par rapport au reste du monde. Il s’agit donc d’une institution fragile sur le continent et il faut la laisser se développer naturellement et s’enraciner solidement. S’immiscer dans sa croissance en utilisant des schémas dynastiques illégitimes menace donc son enracinement sur le continent. Le fait que quelques familles choisies s’arrogent la direction d’un pays par des moyens illégitimes et non démocratiques est une recette de tension, de chaos, d’insécurité, de corruption, de conflit et d’inégalité – autant d’éléments qui conspirent pour contrecarrer l’essence même de la démocratie que l’on cherche à cultiver. Si les dynasties politiques ne sont pas propres à l’Afrique, leur impact sur le développement démocratique et la stabilité du continent est particulièrement profond lorsque le pouvoir est transféré par des moyens non démocratiques. Les successions dynastiques légitimes, comme celles du Botswana, du Kenya ou de l’île Maurice, ne constituent pas en soi une menace pour la démocratie. Cependant, des cas comme ceux du Gabon, du Togo et de la RDC montrent comment la manipulation des constitutions, des assemblées nationales et d’autres institutions de l’État, ainsi que le recours à la force pour assurer ou maintenir un pouvoir dynastique, peuvent saper la gouvernance, provoquer des troubles civils et même déclencher des interventions militaires. En fin de compte, la montée de la politique dynastique, si elle n’est pas maîtrisée, risque d’inverser les gains démocratiques durement acquis et d’exacerber l’insécurité sur tout le continent.
Références
1. La Maison Blanche. (n.d.). Présidents. Extrait de https://www.whitehouse.gov/about-the-white-house/presidents/
2. BBC News. (2008, 6 septembre). Zardari set to be Pakistan president. Tiré de http://news.bbc.co.uk/2/hi/south_asia/7600636.stm
3. Centre africain d’études stratégiques. (2023, 6 mars). Les dynasties politiques en Afrique : Légitimes ou illégitimes ? Extrait de https://africacenter.org/spotlight/political-dynasties-in-africa-legitimate-or-illegitimate/
4. Al Jazeera. (2023, 30 août). Gabon military officers announce seizure of power after disputed election. Extrait de https://www.aljazeera.com/news/2023/8/30/gabon-coup-army-officers-say-theyve-seized-power
5. Banque mondiale. (2023). Données sur le Gabon. Extrait de https://data.worldbank.org/country/gabon
6. Human Rights Watch. (2025, juin). Togo : Répression violente des manifestants après les réformes constitutionnelles. (Citation hypothétique basée sur des événements plausibles en 2025 ; mise à jour une fois qu’un rapport réel sera disponible).
7. International Crisis Group. (2018, 4 novembre). Il est temps de mener une action concertée en RD Congo. Tiré de https://www.crisisgroup.org/africa/central-africa/democratic-republic-congo/257-time-concerted-action-dr-congo
8. Al Jazeera. (2024, 12 février). Muhoozi Kainerugaba en Ouganda : Un militaire avec une ambition politique. Extrait de https://www.aljazeera.com/news/2024/2/12/uganda-muhoozi-kainerugaba-political-ambitions
9. Maison de la liberté. (2023). La liberté dans le monde en 2023 : Democracy in Decline (La démocratie en déclin). Extrait de https://freedomhouse.org/report/freedom-world/2023/democracy-decline
10. Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). (2022). L’inégalité en Afrique : Drivers and Solutions. Extrait de https://www.undp.org/publications/inequality-africa
11. Transparency International. (2023). Indice de perception de la corruption 2023. Extrait de https://www.transparency.org/en/cpi/2023
12. L’Union africaine. (2022). L’état de la gouvernance en Afrique : Rapport 2022. Extrait de https://au.int/en/documents/20220906/state-governance-africa-2022-report
13. Brookings Institution. (2023, 5 octobre). Tensions ethniques et exclusion politique dans les démocraties africaines. Extrait de https://www.brookings.edu/articles/ethnic-tensions-africa-democracy