Introduction
La souveraineté économique et la souveraineté en matière de ressources sont deux concepts interdépendants qui occupent une place centrale dans le discours sur l’autonomie nationale, le développement durable et l’équité mondiale. La souveraineté économique se définit par la capacité d’un pays à prendre de manière indépendante des décisions concernant ses systèmes financiers, ses politiques commerciales et sa stratégie économique globale, sans subir d’influence indue de la part d’acteurs extérieurs (Agnew, 2005). La souveraineté en matière de ressources, quant à elle, met l’accent sur le contrôle et la gestion du capital humain et des ressources naturelles d’un pays – telles que les minéraux, l’énergie, l’eau et la terre – par son peuple et son gouvernement (Duruigbo, 2006 ; Pereira & Gough, 2013). Ensemble, ces concepts sont fondamentaux pour l’autodétermination d’une nation et sa capacité à façonner sa trajectoire de développement.
Les ressources naturelles sont les atouts d’un pays. Des entreprises nationales florissantes et une monnaie stable et liquide sont les ressources d’un pays. Le capital humain et les infrastructures nécessaires à l’extraction des ressources et des biens, à leur acheminement vers les marchés et à leur intégration dans le commerce international sont également des éléments essentiels (Auty, 1998). Lorsque des acteurs extérieurs exploitent les conditions, dictent les termes ou négocient des accords opaques pour éviter l’examen public, ils risquent de saper la souveraineté nationale et d’entraîner une nation dans leur chute.
La souveraineté a évolué au fil des siècles, sous l’influence de la colonisation et de la mondialisation. À l’époque coloniale, les régions ont perdu leur autonomie car les puissances impériales ont exploité leurs ressources naturelles et humaines dans le cadre de révolutions industrielles (Mann, 2012). Cet héritage continue de façonner les défis modernes en matière de souveraineté, car les États postcoloniaux ont souvent hérité d’économies basées sur l’extraction des ressources sans mécanismes de diversification (Thies, 2009).
À l’heure de la mondialisation et de l’intégration économique, la souveraineté est confrontée à de nouveaux défis. Les institutions financières internationales et les entreprises multinationales influencent fréquemment les politiques économiques nationales, ce qui rend plus difficile pour les pays de fixer leur agenda (Stiglitz, 2017). Par exemple, le Fonds monétaire international (FMI) a demandé aux pays de libéraliser le commerce et de privatiser les entreprises publiques dans le cadre de leurs programmes d’ajustement structurel dans les années 1980 et 1990, souvent au détriment du contrôle local sur les industries essentielles (Klein, 2007).
La concurrence mondiale pour les ressources vitales, telles que les terres rares, essentielles pour la technologie et les énergies renouvelables, souligne l’importance croissante de la souveraineté en matière de ressources. Le conflit entre les pays en développement riches en ressources et les pays industrialisés consommateurs de ressources met en évidence la nécessité d’une gestion équitable et équilibrée des ressources (Bridge, 2004).
Les sanctions occidentales contre la Russie, ainsi que les restrictions imposées aux entités chinoises, posent d’importants problèmes aux pays qui s’efforcent de nouer des alliances et de conclure des accords économiques. Ces pressions risquent de pousser les nations à conclure des accords qui pourraient les exposer à des responsabilités pour avoir contourné les sanctions, ce qui soulève des questions cruciales sur la souveraineté, la coordination régionale et la conduite éthique des affaires mondiales (Cafruny & Kirkham, 2020). Mener des affaires de manière responsable dans le respect des normes internationales est un meilleur moyen d’uniformiser les règles du jeu que de succomber aux pressions exercées par des acteurs étrangers sur les dirigeants politiques et les chefs d’entreprise à huis clos.
Cet article explore la dynamique de la souveraineté dans des régions riches en ressources et économiquement interconnectées comme l’Afrique de l’Ouest, en soulignant les risques et les opportunités, et en insistant sur la nécessité d’une réflexion approfondie et d’une coopération régionale dans la poursuite de cet objectif.
Les défis de la souveraineté à l’heure de la mondialisationsmondiale
Les sanctions, souvent utilisées comme outils de pression géopolitique, peuvent avoir des conséquences inattendues pour les pays tiers (Fosli, 2023). Les mesures occidentales contre les acteurs russes et chinois placent les nations dans une position difficile. Un pays riche en ressources naturelles, par exemple, qui envisage de conclure des accords avec des entreprises russes, peut s’exposer involontairement à des sanctions secondaires ou à des risques pour sa réputation sur les marchés mondiaux. Dans un monde où les flux financiers et les réseaux commerciaux sont imbriqués, les sanctions ne sont pas des incidents isolés, mais des phénomènes mondiaux ayant de vastes implications (Farrell & Newman, 2019).
L’indépendance fiscale fait référence à la capacité d’un gouvernement à générer et à allouer des ressources financières sans dépendre excessivement d’acteurs extérieurs. Cela implique des systèmes fiscaux solides, la capacité d’emprunter au niveau national ou international à des conditions favorables et une gestion budgétaire efficace (Joumard & Kongsrud, 2003). La souveraineté monétaire, c’est-à-dire le pouvoir d’émettre et de réglementer la monnaie d’un pays, de contrôler la politique monétaire et de gérer l’inflation et les taux de change, est tout aussi importante (Zimmermann, 2013).
Cependant, la dépendance à l’égard des prêts et de l’aide extérieure compromet souvent la souveraineté fiscale. De nombreux pays en développement sont tenus de respecter des conditions strictes imposées par des organisations financières mondiales telles que la Banque mondiale et le FMI. Ces conditions, telles que les ajustements structurels et les mesures d’austérité, peuvent limiter les options politiques et exacerber les inégalités économiques (Stiglitz, 2017). Par exemple, le Ghana, l’une des principales économies d’Afrique de l’Ouest, est aux prises avec une grave crise de la dette. En 2023, il a fait défaut sur sa dette extérieure et a demandé un renflouement de 3 milliards de dollars au FMI. Ses détracteurs affirment que les conditions imposées par le FMI, notamment la réduction des dépenses et la dévaluation de la monnaie, compromettent la souveraineté budgétaire en dictant les politiques économiques nationales (BBC News, 2023). Sans surprise, les difficultés économiques du Ghana ont menacé d’influencer les élections générales qui venaient de se tenir le samedi 7 décembre 2024 (Adombila, 2024).
Les politiques commerciales, qui visent à établir des droits de douane, à négocier des accords et à réglementer les importations et les exportations en fonction des priorités économiques, sont devenues sensibles. Les nations industrialisées en tirent souvent un avantage disproportionné, ce qui limite la capacité des pays en développement à protéger les industries émergentes (Harrison & Rodríguez-Clare, 2010). La zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA), un accord historique conclu entre 54 pays africains, vise à stimuler le commerce intra-africain et à réduire la dépendance à l’égard des marchés extérieurs (Onwuka & Udegbunam, 2019). Cependant, des défis tels que l’harmonisation des tarifs et la résolution des différends persistent. La fermeture temporaire de la frontière du Nigéria en 2019 a mis en évidence les tensions entre la protection des industries locales et le respect des engagements en matière de libre-échange (Oyaliwola, 2020).
La coopération régionale comme catalyseur de la stabilité
Face aux inquiétudes croissantes concernant la prédominance du dollar américain dans le commerce mondial, des pays comme le Brésil, l’Inde et la Russie explorent des alternatives. Le Brésil et l’Argentine ont entamé des discussions sur la création d’une monnaie commune pour le commerce en Amérique du Sud, dans le but de réduire la dépendance à l’égard du dollar (Pistili, n.d).
En Afrique de l’Ouest, le franc CFA est depuis longtemps un sujet de controverse. Alors qu’il assure la stabilité fiscale des huit pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), ses détracteurs affirment qu’il perpétue la dépendance économique à l’égard de la France et limite la flexibilité de la politique monétaire (Koddenbrock & Sylla, 2019).
Les banques nationales jouent un rôle crucial dans le maintien des liquidités et des engagements financiers. Si les pays de l’Alliance des États du Sahel (AES) abandonnent le franc CFA, des questions importantes se posent. Convertiraient-ils leurs avoirs en CFA dans une autre monnaie, ce qui risquerait d’inonder le marché, ou adopteraient-ils une autre monnaie comme le rouble russe ? L’effondrement des économies des pays de l’AES pourrait se répercuter sur l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest et nuire aux performances économiques régionales (Bacchetta et al., 2021).
Les appels au retrait des organisations multilatérales ne profitent qu’aux acteurs étrangers. La collaboration régionale peut fournir les outils réglementaires nécessaires pour résister aux pressions étrangères et à la corruption qu’elles entraînent souvent (Mwenda, 2011).
Conclusion
La souveraineté économique et la souveraineté sur les ressources sont fondamentales pour le développement et l’autonomie des pays, mais leur réalisation est un exercice d’équilibre complexe. Pour l’Afrique de l’Ouest, la voie à suivre exige un engagement en faveur de la collaboration régionale, d’une gestion prudente des ressources et de partenariats stratégiques. Tout en résistant à une influence étrangère indue, les nations doivent également renforcer leurs institutions, faire respecter l’obligation de rendre des comptes et aligner leurs politiques sur les meilleures pratiques mondiales. La poursuite de la souveraineté devrait intégrer les nations dans des cadres équitables qui favorisent la prospérité et la stabilité partagées. En relevant ces défis de manière réfléchie, l’Afrique de l’Ouest peut tracer une voie qui assurera son avenir et inspirera d’autres régions confrontées à des dilemmes similaires.
Références
Adombila, M. La crise économique du Ghana menace les élections imminentes. reuters.com. 5 décembre 2024. https://www.reuters.com/world/africa/ghanas-economic-crisis-looms-over-impending-elections-2024-12-02/
Agnew, J. (2005). Sovereignty regimes : Territorialité et autorité de l’État dans la politique mondiale contemporaine. Annales de l’association des géographes américains, 95(2), 437-461.
Auty, R. M. (1998). Resource abundance and economic development improving the performance of resource-rich countries (abondance des ressources et développement économique – améliorer les performances des pays riches en ressources).
Bacchetta, M., Cerra, V., Piermartini, R. et Smeets, M. (2021). Commerce et croissance inclusive.
Bridge, G. (2004). Contested terrain : mining and the environment. Annu. Rev. Environ. Resour. , 29(1), 205-259.
Cafruny, A. et Kirkham, K. (2020). La « souveraineté » de l’UE dans la gouvernance mondiale : The case of sanctions. Global governance in transformation : Challenges for international cooperation, 89-104.
Duruigbo, E. (2005). La Banque mondiale, les multinationales pétrolières et la malédiction des ressources en Afrique. U. Pa. J. Int’l Econ. L. , 26, 1.
Duruigbo, E. (2006). Souveraineté permanente et propriété des peuples sur les ressources naturelles en droit international. Geo. Wash. Int’l L. Rev. 38, 33.
Emmerson, D. K. (Ed.). (2020). Le cerf et le dragon : L’Asie du Sud-Est et la Chine au XXIe siècle. Rowman & Littlefield.
Farrell, H. et Newman, A. L. (2019). L’interdépendance armée : Comment les réseaux économiques mondiaux façonnent la coercition étatique. International security, 44(1), 42-79.
Fosli, S. L. (2023). US Imposed Economic Sanctions as a non-violent tool for coercion (Mémoire de maîtrise).
Harrison, A. et Rodríguez-Clare, A. (2010). Trade, foreign investment, and industrial policy for developing countries. Handbook of development economics, 5, 4039-4214.
Joumard, I. et Kongsrud, P. M. (2003). Les relations fiscales entre les différents niveaux de gouvernement. Études économiques de l’OCDE, 2003(1), 155-229.
Klein, N. (2007). La doctrine du choc : La montée du capitalisme du désastre.
Koddenbrock, K. et Sylla, N. S. (2019). Vers une économie politique de la dépendance monétaire : Le cas du franc CFA en Afrique de l’Ouest (n° 19/2). Document de travail MaxPo.
Mann, M. (2012). Les sources du pouvoir social : Volume 3, global empires and revolution, 1890-1945 (Vol. 3). Cambridge University Press.
Marc, A., Verjee, N., & Mogaka, S. (2015). Le défi de la stabilité et de la sécurité en Afrique de l’Ouest. Publications de la Banque mondiale.
Mohapi, M. (2021). La zone franc CFA : une réincarnation moderne d’une relique coloniale.
Mwenda, K. K. (2011). Le droit international public et la réglementation de l’immunité diplomatique dans la lutte contre la corruption. PULP.
Olayiwola, W. (2020). Gouverner l’interface entre la zone de libre-échange continentale africaine et les zones de libre-échange des communautés économiques régionales : Enjeux, opportunités et défis. Opportunités et défis.
Onwuka, O. N., & Udegbunam, K. C. (2019). La zone de libre-échange continentale africaine : Prospects and Challenges. conflict trends, 2019(3), 3-10.
Pereira, R. et Gough, O. (2013). Souveraineté permanente sur les ressources naturelles au 21e siècle : La gouvernance des ressources naturelles et le droit à l’autodétermination des peuples autochtones en vertu du droit international. Melb. J. Int’l L., 14, 451.
Pistili, M. Comment une nouvelle monnaie des BRICS affecterait-elle le dollar américain (mise à jour 2024) ? . investingnews.com. December 5, 2024. https://investingnews.com/brics-currency/
Seznec, J. F., & Mosis, S. (2018). Les marchés financiers du Golfe arabe : Pouvoir, politique et argent. Routledge.
Slaughter, A. M. (2004). Souveraineté et pouvoir dans un ordre mondial en réseau. Stan. J. Int’l L. , 40, 283.
Stiglitz, J. E. (2017). La mondialisation et ses mécontentements revisités : L ‘antimondialisation à l’ère de Trump. WW Norton & Company.
Thies, C. G. (2009). Conflit, géographie et ressources naturelles : The political economy of state predation in Africa. Polity, 41(4), 465-488.
Zimmermann, C. D. (2013). Un concept contemporain de souveraineté monétaire. Oxford University Press, États-Unis.