1. Introduction
Entre les années 1960 et 1980, la plupart des jeunes États indépendants d’Afrique luttaient pour rester dans la course sur le plan économique ; ils se caractérisaient par une instabilité politique et un endettement élevé. Les gouvernements de ces pays étaient considérés comme inefficaces dans la gestion des affaires de leurs pays respectifs et devaient s’ouvrir pour permettre aux capitalistes individuels de dominer et de réglementer le marché et la prestation de services. En conséquence, ces pays, dont le Ghana, ont reçu des prêts pour aider à relancer leurs économies en 1983. La condition de ce prêt était que les gouvernements de ces pays mettent en œuvre des politiques néolibérales strictes, connues sous le nom de Plan d’ajustement structurel (PAS), et qu’ils abandonnent leur position socialiste et nationaliste traditionnelle pour adopter le capitalisme, où tout est laissé aux mains invisibles de l’offre et de la demande. Le rôle de l’État a été réduit à la mise en place d’un environnement propice à la prospérité des entreprises individuelles, mais il ne peut pas s’engager directement sur le marché, ce qui a conduit l’État à réduire ses dépenses en faveur du bien-être du grand public et à vendre ses actifs à des entreprises individuelles.
L’objectif de cet article est d’examiner les effets des réformes néolibérales sur la fourniture de services urbains en utilisant le Ghana comme étude de cas et d’examiner les implications qui en découlent. En examinant la manière dont ces réformes ont façonné la fourniture de services essentiels et leur influence sur la sécurité urbaine, cet article apporte une compréhension globale des conséquences frontalières des politiques néolibérales dans le contexte d’un environnement urbain en croissance rapide et de plus en plus complexe.
2. L’agenda néolibéral
Les années 1980 ont été marquées par la récession économique dans un certain nombre de pays africains, dont le Ghana. Ces pays en développement ont été contraints de mettre en œuvre le PAS en raison de la crise financière afin de relancer leur économie. La mise en œuvre du PAS s’est faite en trois étapes : la stabilité a été la première phase, suivie de la réhabilitation et de la libéralisation du marché. Depuis avril 1983, les politiques gouvernementales et l’urbanisme du Ghana ont été influencés par l’imposition du PAS en tant qu’idéologie de marché néolibérale mondiale. Le PAS, une stratégie néolibérale formelle préconisée pour le redressement économique des pays en développement, a été activement encouragé par le FMI et la Banque mondiale. On pensait que c’était la réponse aux récessions. Mais pour encourager l’investissement privé, il a limité les dépenses de l’État en matière de biens et de services sociaux, tels que la fourniture de logements sociaux et la marchandisation de la terre et des propriétés immobilières en tant qu’actifs négociables. Le gouvernement ghanéen a suivi ces politiques avec diligence et rigueur de 1983 à 1998, sans les modifier pour tenir compte des différences régionales. Le Ghana a souvent été salué comme l’une des économies ayant subi avec succès les changements néolibéraux. Malgré ses succès, le néolibéralisme a eu un impact significatif sur la fourniture de services urbains au Ghana, et son héritage a façonné le développement urbain et la gouvernance du pays jusqu’à aujourd’hui.
3. Impact sur la fourniture de services urbains
L’une des principales conséquences des réformes néolibérales a été l’augmentation du coût des services en raison de la privatisation. Ce processus a le plus souvent entraîné une augmentation des coûts financiers pour les résidents à faibles revenus et de fortes inégalités en termes de disponibilité et de qualité des services. Les zones riches ont bénéficié de meilleurs services, tandis que les quartiers pauvres sont restés dans un état de délabrement sans provision. Cependant, la décentralisation, qui a introduit une meilleure réactivité au niveau local, a parfois entraîné une fragmentation de la prestation de services, avec une coordination limitée entre les parties prenantes, ce qui a eu un impact négatif sur la planification et la gestion urbaines. Dans la section suivante, les analystes de CISA ont utilisé l’ODD 11 comme cadre analytique pour examiner les effets de l’agenda néolibéral sur trois services urbains clés au Ghana : le logement, l’eau et l’assainissement, et les espaces verts.
3.1 Logement
Le logement urbain a été une composante importante des programmes sociaux du gouvernement dès l’indépendance, lorsque l’État a adopté une idéologie politique socialiste (Arku 2009 ; Gillespie 2018 ; Konadu-Agyemang 2001). Le logement était considéré comme un droit de l’homme et un bien-être. C’est pourquoi l’État a contribué activement et directement à l’offre de logements urbains et a apporté son soutien aux ménages à faibles revenus ; initialement, cela s’est fait par la construction de logements publics dans les années 1960, et plus tard, par des initiatives de logement « d’auto-assistance » dans les années 1970, toutes deux basées sur les principes de la satisfaction des besoins fondamentaux et de la redistribution. Les années 1990 ont vu l’introduction des politiques néolibérales, qui ont provoqué un changement de paradigme dans le secteur du logement. La transition vers le secteur privé dans le cadre de la politique urbaine néolibérale a réimaginé le logement comme un capital productif plutôt que comme une prestation sociale. Par conséquent, les dispositions en matière de logement sont déterminées par les principes du marché.
Sur le marché du logement, les individus de la classe moyenne et de la classe supérieure constituaient le principal public cible des promoteurs immobiliers formels, ou de l’immobilier. Étant donné que les logements pour personnes à faibles revenus comportent un risque important et des marges bénéficiaires limitées, les promoteurs privés ne sont pas disposés à s’attaquer à la crise du logement. Ce problème est attribué aux litiges fonciers, à une gestion inadéquate, à des taux d’intérêt hypothécaires excessifs et au coût des matériaux de construction et de la construction. En raison de la spéculation foncière et de l’augmentation des prix provoquée par ce type d’expansion spéculative dans le secteur immobilier, les ménages à faibles revenus sont désormais hors de portée (Arku 2009).
L’achat ou la location d’une maison à Accra est très coûteux. Selon un rapport de Numbeo datant d’octobre 2021, Accra est la deuxième ville la plus chère d’Afrique et affiche les prix les plus élevés pour l’achat de nouveaux logements. Cette situation contribue à l’expansion des quartiers informels et des bidonvilles d’Accra, qui se caractérisent par des logements insalubres, un manque d’équipements de base et des conditions de vie précaires (Addi & Ayambire, 2022). On s’attend à ce qu’Accra souffre d’un important déficit de logements ; le gouvernement indique qu’il n’y a que 1,8 million de logements dans le pays. Mais l’existence de publicités pour des options de logement coûteuses pose la question de la précision de cette estimation.
3.2 Eau et assainissement
Selon Harris (2021), au moins la moitié des habitants d’Accra n’ont pas régulièrement accès à une eau saine, sûre et à un prix raisonnable. L’accès à l’eau potable améliore la santé et maintient la vie. Néanmoins, les ménages des zones à faibles revenus d’Accra, en particulier, n’ont toujours pas accès à un approvisionnement continu et potable en eau potable (Tetteh, 2021). En fait, des entreprises privées comme Zoomlion ont amélioré les technologies de gestion des déchets et l’efficacité. Souvent, ces avantages sont noyés dans les coûts supplémentaires liés aux services privatisés. Les communautés à faibles revenus ne peuvent pas supporter les coûts croissants de l’assainissement et de la collecte des déchets, et se retrouvent donc généralement dans des conditions d’assainissement plus médiocres ou avec une collecte des déchets déficiente. Les résultats d’une mauvaise infrastructure d’assainissement sont une réalité peu glorieuse dans la plupart de ces villes, comme Accra. Cela se traduit par la perpétuation de divers problèmes à de nombreux égards, en particulier dans les bidonvilles où les ordures s’entassent et où les systèmes d’égouts sont le plus souvent déplorables. Le passage d’un système d’assainissement financé par le secteur public à un système d’assainissement privatisé minimise la surveillance exercée par le gouvernement, d’où une prestation de services irrégulière qui exacerbe les risques environnementaux et sanitaires. Les effets néfastes sur l’état de santé et les modes de vie non hygiéniques exacerbent les inégalités socio-économiques si l’assainissement n’est pas assuré.
3.3 Les espaces verts
L’impact des réformes néolibérales sur les espaces verts au Ghana a été particulièrement préjudiciable. Les espaces verts, tels que la forêt d’Achimota à Accra, ont historiquement fourni des avantages récréatifs et environnementaux essentiels. Cependant, dans le cadre des politiques néolibérales, des portions importantes de ces espaces ont été réaffectées au développement commercial et résidentiel. Cette perte est due à la demande d’expansion et de développement urbains, souvent au détriment des parcs publics et des zones naturelles.
Les espaces verts restants sont souvent concentrés dans les quartiers à hauts revenus, ce qui entraîne une répartition inéquitable de ces ressources vitales. Les zones à faibles revenus, qui sont souvent confrontées à des niveaux plus élevés de dégradation de l’environnement et à des possibilités de loisirs limitées, sont particulièrement touchées par la réduction des espaces verts accessibles. La perte d’espaces verts réduit les possibilités d’activité physique, d’interaction communautaire et de qualité de l’environnement, ce qui a un impact sur le bien-être général des résidents.
4.Discussion
Les villes sont organiques et leur croissance est déterminée par les interventions des citoyens et des gouvernements. Si certaines actions se traduisent par une croissance meilleure et plus durable, d’autres sont à l’origine d’une croissance non durable. Les villes d’Afrique subsaharienne sont les témoins d’un type particulier de lutte : la lutte des défavorisés pour survivre à l’ère du néolibéralisme. En réponse à ces réformes, les pauvres des villes ont créé de nouvelles économies ou développé le secteur informel afin de mettre au point des tactiques de survie pour faire face à leur situation.
Les implications de ces réformes pour la sécurité urbaine sont importantes. En d’autres termes, si les pauvres des villes sont soumis à un stress supplémentaire, ce qui est inévitable dans le contexte de la néolibéralisation et du capitalisme, ils trouveront de nouveaux moyens de survivre dans les villes, ce qui entraînera une augmentation de l’informalité et des atteintes à l’environnement, comme nous le voyons dans de nombreuses villes africaines telles qu’Accra. Les catastrophes écologiques et autres seront toujours possibles dans un monde où la pauvreté et l’inégalité sont omniprésentes (Rapport Brundtland, 1987). L’augmentation des coûts du logement, de l’assainissement et des services de base contribue à l’inégalité sociale et aux tensions, qui peuvent se manifester par des troubles civils et des conflits. La fourniture inadéquate de ces services de base dans les zones à faibles revenus amplifie les risques sanitaires et les problèmes environnementaux, accentue la pression sur les systèmes urbains et peut être liée à une instabilité sociale croissante. La perte d’espaces verts et la répartition inégale des parcs et zones de loisirs restants renforcent encore ces problèmes. Le manque d’espaces verts peut entraîner une diminution de la cohésion communautaire et une augmentation du stress des résidents, ce qui a un impact sur la stabilité sociale générale. Une fois encore, la privatisation réduit la responsabilité publique ainsi que les considérations de contrôle particulièrement pertinentes pour la fourniture de services et la gestion urbaine, rendant ainsi le pays plus vulnérable à la criminalité et au désordre.
5.Conclusion
Du logement à l’assainissement en passant par les services de base et les espaces verts, les réformes néolibérales du Ghana ont eu des conséquences considérables sur la manière dont les services sont fournis. Bien qu’elles aient permis d’améliorer l’efficacité et d’attirer les investissements, ces politiques ont exacerbé les inégalités sociales et créé de nouveaux défis. Les objectifs de développement durable dans les villes doivent être recadrés dans le contexte ghanéen si nous voulons les atteindre d’ici 2030 et au-delà. L’argument suivant est avancé par les analystes de CISA d’un point de vue critique : Nous ne pouvons pas adopter le modèle du monde développé en raison des grandes différences culturelles qui existent entre nous. Nous devons accepter les particularités de notre réalité et reconnaître que l’économie informelle, qui n’a pas été réglementée jusqu’à présent, est l’un des principaux facteurs contribuant aux problèmes actuels de durabilité dans les villes. Pour résoudre efficacement ces problèmes, les décideurs politiques doivent trouver un équilibre entre les approches axées sur le marché et un contrôle public rigoureux, et garantir l’équité dans la fourniture des services. Un développement urbain inclusif et durable contribuera grandement à améliorer les moyens de subsistance et à renforcer la sécurité de tous les habitants du Ghana dans un contexte de croissance urbaine rapide.
Référence
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Arku G (2009) Policy review : housing policy changes in Ghana in the 1990s. Housing Studies 24(2):261-272. https://doi.org/10.1080/02673030902719763
Brundtland, G.H. (1987) Notre avenir à tous : Rapport de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement. Genève, UN-Dokument A/42/427.
Gillespie T (2018) Collective self-help, financial inclusion, and the commons : searching for solutions to Accra’s housing crisis. Housing Policy Debate 28(1):64-78. https://doi.org/10.1080/10511482.2017.
Harris, L. M. (2021). Expériences quotidiennes de l’insécurité hydrique : Insights from Underserved Areas of Accra, Ghana. Daedalus, 150(4), 64-84. https://doi.org/10.1162/daed_a_01873
http://www.un-documents.net/ocf-ov.htm
Konadu-Agyemang K (2001) Structural adjustment programs and housing affordability in Accra, Ghana. Can Geogr 45(4):528-544. https://doi.org/10.1111/j.1541-0064.2001.tb01500.x
Numbeo,. (2021). Coût de la vie à Accra. Fév 2024. Prix à Accra. Consulté le 24 février 2024, à l’adresse suivante : https://www.numbeo.com/cost-of-living/in/Accra
Tetteh, J. (2021). La chasse à l’eau : Unreliable water supply in low-income communities . Consulté le 24 février 2024 sur le site https://equitablehealthycities.org/blog/the_water_hunt/