Alors que les villes africaines s’efforcent de se moderniser et de progresser sur le plan numérique, l’idée de « villes intelligentes » s’est imposée comme un élément clé des plans de développement nationaux. D’Accra à Kigali en passant par Lagos et Nairobi, les gouvernements investissent dans des infrastructures qui combinent la technologie, les données et l’innovation pour améliorer la vie urbaine. Pourtant, sous les centres technologiques polis et la gouvernance numérique se cache une vulnérabilité importante, à savoir la sécurité.
Bien que les villes intelligentes visent à renforcer l’efficacité et à améliorer la qualité de vie, l’adoption rapide d’infrastructures numériques sans protocoles de sécurité solides pourrait rendre les zones urbaines vulnérables aux nouvelles menaces terroristes (Control Risks, 2018). La combinaison d’une expansion non planifiée, de lacunes dans les infrastructures numériques et d’inégalités sociales crée un environnement propice à la montée de nouvelles menaces terroristes.
En outre, la croissance urbaine dans de nombreuses nations africaines a entraîné d’importants problèmes de sécurité, notamment la montée de la violence extrémiste, du crime organisé et des troubles civils, ce qui souligne l’importance d’aligner le développement intelligent sur une gouvernance urbaine inclusive et résiliente (Otu, 2023).
Urbanisation et extrémisme : Un risque croissant
L’urbanisation en Afrique progresse à une vitesse inégalée. Selon les prévisions des Nations unies, plus de 60 % de la population africaine devrait vivre dans des régions urbaines d’ici à 2050. Néanmoins, cette croissance rapide est souvent chaotique et incohérente, ce qui se traduit par des quartiers informels surpeuplés, un chômage endémique chez les jeunes et des infrastructures insuffisantes. Ces réalités urbaines, en particulier dans les bidonvilles et les zones marginalisées, sont de plus en plus utilisées par les groupes extrémistes pour le recrutement, la mobilisation et la dissimulation (Africa Center for Strategic Studies, 2024).
Les chercheurs ont observé que les villes africaines se caractérisent de plus en plus par une « pseudo-urbanisation », où les densités de population plus élevées ne correspondent pas à des perspectives économiques accrues ou à des services améliorés, ce qui conduit à une insécurité permanente (Otu, 2023). Dans des endroits comme le nord du Nigéria et l’Extrême-Nord du Cameroun, l’extrémisme violent a été intensifié par l’incapacité des systèmes urbains à intégrer efficacement les migrants et les jeunes à risque (Otu, 2023). Ces tendances illustrent la façon dont une expansion urbaine mal gérée compromet à la fois la sécurité et le développement durable.
Villes axées sur la technologie, systèmes en retard sur le plan de la sécurité
Les initiatives en faveur des villes intelligentes à travers l’Afrique cherchent à améliorer la vie urbaine en intégrant des technologies telles que les dispositifs de l’Internet des objets (IdO), la technologie de surveillance, l’analyse du big data et l’infrastructure automatisée pour superviser la circulation, les services publics et les services d’utilité publique. Néanmoins, dans de nombreux cas, ces systèmes sont décousus, mal entretenus ou disponibles uniquement dans un nombre limité de quartiers aisés, ce qui donne un sentiment de sécurité trompeur. Par exemple, bien que le réseau de vidéosurveillance d’Accra puisse surveiller les principales intersections, les zones densément peuplées telles que Nima, Agbogbloshie et Madina sont souvent dépourvues de tout type de surveillance numérique.
L’absence de protocoles de cybersécurité étendus dans ces systèmes intelligents exacerbe les menaces potentielles. Les recherches indiquent que 98 % du trafic de l’internet des objets (IoT) n’est pas crypté, ce qui rend les réseaux susceptibles d’être interceptés et manipulés (Wajnc, 2024). En outre, le rythme de la croissance urbaine a dépassé l’intégration numérique dans de nombreuses villes. Comme l’indique la recherche sur les villes intelligentes, si les technologies de l’information et de la communication (TIC) telles que l’informatique en nuage, l’IdO et l’analyse des données peuvent améliorer la gouvernance urbaine, leur mise en œuvre sans cadre sécurisé crée des vulnérabilités importantes (Yin et al., 2015).
Le risque d’attaques cyber-physiques
Les progrès des réseaux intelligents, des plateformes de gouvernance numérique et des services publics automatisés ouvrent la voie à de nouvelles vulnérabilités : les attaques cyber-physiques. Alors que les villes africaines modernisent des systèmes essentiels tels que l’électricité, l’eau et les transports, le risque d’être pris pour cible par des extrémistes ou des acteurs parrainés par l’État augmente. Les cyberattaques contre les infrastructures publiques peuvent provoquer des troubles, éroder la confiance du public dans le gouvernement et ouvrir la voie à des agressions physiques. Cependant, la cybersécurité ne figure souvent pas parmi les priorités des initiatives de planification urbaine.
En outre, l’insécurité à laquelle sont confrontées les zones urbaines africaines n’est pas seulement due au terrorisme, mais aussi à des problèmes de gouvernance profondément enracinés, à la faiblesse de l’application de la loi et à la politisation de la sécurité (Otu, 2023). Par conséquent, une ville intelligente robuste doit s’attaquer à la fois aux défis technologiques et aux facteurs sociopolitiques qui contribuent à l’insécurité.
L’angle mort de la politique
Malgré le danger croissant du terrorisme urbain, la majorité des stratégies de lutte contre le terrorisme en Afrique de l’Ouest se concentrent principalement sur les insurrections rurales et la protection des frontières. Cet accent est compréhensible, car de nombreux mouvements extrémistes sont nés dans des régions marginalisées et mal gouvernées comme le Sahel.
Toutefois, l’environnement sécuritaire évolue, les organisations militantes se concentrant de plus en plus sur les zones urbaines qui abritent des infrastructures essentielles, des installations gouvernementales et une population importante. Cette surveillance se reflète dans la planification des villes intelligentes. Selon Yin et al. (2015), de nombreux gouvernements et parties prenantes ont adopté une perspective technocratique sur les villes intelligentes, négligeant souvent les complexités sociopolitiques et sécuritaires de la vie urbaine réelle. Les villes s’appuyant de plus en plus sur des systèmes TIC intégrés, il est essentiel que les initiatives en matière de gouvernance, d’urbanisme et de lutte contre le terrorisme soient alignées afin d’éviter des échecs complets.
Recommandations : Sécuriser la ville intelligente
Pour protéger efficacement les villes africaines à l « ère des technologies intelligentes et de l » évolution des menaces terroristes, les gouvernements doivent adopter une stratégie de sécurité holistique et tournée vers l’avenir. Les recommandations suivantes décrivent des actions pratiques et adaptées au contexte :
– Créer des cellules de renseignement urbain
La sécurité urbaine ne peut dépendre exclusivement des agences de renseignement nationales, qui sont souvent débordées ou plus préoccupées par les insurrections rurales. Il est nécessaire de mettre en place des cellules de renseignement localisées, basées dans les villes et capables d’opérer avec une connaissance approfondie de leur contexte. Ces équipes devraient intégrer diverses parties prenantes, notamment des membres des forces de l’ordre, des experts en cybersécurité, des urbanistes, des responsables locaux et des analystes du renseignement. Leur objectif premier devrait être d’identifier les menaces propres au milieu urbain, telles que la radicalisation dans les quartiers informels, les comportements suspects en ligne ou les faiblesses émergentes dans les infrastructures publiques. Ces unités devraient agir comme des systèmes d’alerte précoce, capables de recueillir des renseignements en temps réel, d’analyser les tendances et de coordonner des réponses rapides entre différentes agences.
– Infrastructure numérique sécurisée.
Les systèmes des villes intelligentes, y compris la gestion intelligente du trafic, les réseaux de distribution d’eau, les plateformes d’e-gouvernance et les systèmes de surveillance, reposent largement sur la connectivité numérique, ce qui en fait des cibles attrayantes pour les cybermenaces. Par conséquent, chaque initiative d’infrastructure intelligente doit faire l’objet d’évaluations approfondies en matière de cybersécurité avant d’être déployée. Ces évaluations doivent porter sur les vulnérabilités, le cryptage des transmissions de données, l’authentification multifactorielle et les mesures de contrôle d’accès. En outre, les gouvernements doivent mettre en place des audits de sécurité réguliers et allouer des ressources aux systèmes de détection des menaces en temps réel. En outre, des exercices de simulation basés sur des scénarios doivent être effectués régulièrement pour évaluer l’état de préparation, coordonner les réponses et améliorer la résilience des systèmes face aux menaces numériques et hybrides (cyber-physiques).
– Renforcer la surveillance communautaire
Les technologies de sécurité ne sont efficaces que si elles sont associées à des renseignements humains sur le terrain. De nombreuses menaces urbaines, telles que les premiers stades de la radicalisation ou les rassemblements suspects, sont plus susceptibles d « être remarquées par les membres de la communauté que par les systèmes de surveillance. C’est pourquoi les gouvernements doivent établir des partenariats structurés avec les dirigeants locaux, les groupes de surveillance de quartier, les associations de jeunes, les organisations confessionnelles et les représentants des quartiers informels. Ces acteurs peuvent servir d’yeux et d’oreilles de confiance dans les zones où la présence officielle de l » État est limitée. Leur connaissance des dynamiques locales, des identités et des modèles de comportement en fait des contributeurs essentiels à la détection précoce et à la prévention. Pour que ces systèmes soient durables et efficaces, il est important d’inciter les communautés à signaler les cas, de garantir la protection des dénonciateurs et d’intégrer le retour d’information dans les bases de données nationales.
– Encourager l’inclusion numérique
Le développement des villes intelligentes donne fréquemment la priorité aux centres commerciaux et aux quartiers à revenus moyens ou élevés, négligeant souvent les communautés mal desservies et informelles où le risque de radicalisation est plus élevé. Ce déficit d’accès numérique ne limite pas seulement la disponibilité des services, mais génère également des frustrations et des sentiments d’exclusion, que les organisations extrémistes peuvent exploiter pour obtenir du soutien ou recruter de nouveaux membres. Les gouvernements doivent veiller à ce que l’infrastructure numérique, y compris le Wi-Fi public, les services en ligne, les initiatives d’alphabétisation numérique et les systèmes de surveillance, soit disponible dans tous les quartiers de la ville. En comblant ce fossé, on renforce la confiance dans les institutions publiques, on favorise l’unité sociale et on garantit que tous les habitants bénéficient de la même manière des avancées technologiques des villes intelligentes.
– Renforcer les capacités de cybersécurité
Les agences de sécurité urbaine et les gouvernements locaux doivent améliorer considérablement leur capacité à faire face aux cybermenaces. Il s’agit de former le personnel de première ligne, comme les forces de l’ordre, les employés municipaux, les équipes informatiques et les unités d’intervention d’urgence, aux compétences fondamentales et avancées en matière de cyberdéfense. Ce personnel devrait être en mesure d’identifier les escroqueries par hameçonnage, les fuites de données et les atteintes à la sécurité des systèmes, et de réagir rapidement et efficacement. En outre, les gouvernements devraient collaborer avec des entreprises technologiques privées, des établissements d’enseignement et des organisations communautaires pour créer des programmes de formation personnalisés en matière de cybersécurité et des ressources de partage des connaissances. En cultivant un solide réseau d’experts locaux en cybersécurité, les villes intelligentes pourront se protéger elles-mêmes sans avoir à recourir massivement à des consultants extérieurs.
Conclusion
Alors que les villes africaines se transforment rapidement en centres numériques, la nécessité de reconsidérer la sécurité urbaine se fait de plus en plus pressante. Si les technologies des villes intelligentes offrent des avancées et des gains d’efficacité, elles présentent également de nouveaux risques, en particulier lorsque le développement dépasse les considérations de sécurité. Les organisations extrémistes s’adaptent à ces changements, profitant de l’anonymat urbain, des disparités numériques et de l’oubli des politiques.
Pour créer des villes véritablement résilientes, les gouvernements doivent élargir leur approche au-delà des stratégies conventionnelles de lutte contre le terrorisme et adopter des cadres de sécurité inclusifs, fondés sur des données et orientés vers la communauté. L’intégration de la cybersécurité, de l’intelligence urbaine et de l’équité numérique dans la planification des villes intelligentes n’est pas seulement conseillée, elle est cruciale. L’avenir des villes africaines dépend non seulement de leurs progrès en matière d’intelligence, mais aussi de la manière dont elles sont protégées de manière sûre, équitable et stratégique.
Références
- Centre africain d’études stratégiques. (2024). L’urbanisation sans précédent de l’Afrique modifie le paysage de la sécurité. Extrait de https://africacenter.org/spotlight/africa-urban-growth-security/
- Contrôlez les risques. (2018). Terrorisme urbain et villes du futur. Tiré de https://www.controlrisks.com/our-thinking/insights/urban-terrorism-and-future-cities
- ITSS Verona. (2025). Évaluation des défis de cybersécurité des villes intelligentes. Extrait de https://www.itssverona.it/assessing-the-cybersecurity-challenges-of-smart-cities
- Otu, O. A. (2022). URBANISATION ET INSÉCURITÉ EN AFRIQUE : QUESTIONS, PROBLÈMES ET PERSPECTIVES. ESCET Journal of Educational Research and Policy Studies, 3(2), 27-47.
- Wajnc, D. (2024). La cybersécurité dans les villes intelligentes : Sécuriser l’avenir de la vie urbaine. Extrait de https://www.linkedin.com/pulse/cybersecurity-smart-cities-securing-future-urban-living-wajnc
- Yin, C., Xiong, Z., Chen, H., Wang, J., Cooper, D. et David, B. (2015). Une étude documentaire sur les villes intelligentes. Science Chine. Sciences de l’information , 58(10), 1-18.
