Le premier trimestre 2025 a mis en évidence la complexité croissante du terrorisme et de l’extrémisme violent en Afrique. Les données du Bulletin trimestriel sur le terrorisme en Afrique du Centre de lutte contre le terrorisme de l’Union africaine brossent un tableau sombre : entre janvier et mars 2025, 943 attaques terroristes ont fait 4 296 morts sur le continent. Bien que ce chiffre reflète une baisse de 8 % du nombre d’attaques par rapport au trimestre précédent, l’augmentation de 35 % du nombre de morts souligne la létalité croissante des opérations terroristes. Cette réalité révèle à la fois la capacité d’adaptation des groupes terroristes et les défis permanents de la lutte contre le terrorisme sur le continent.
Les épicentres régionaux de la violence
Le terrorisme reste inégalement réparti sur le continent africain, certaines régions étant les plus touchées par la violence. L’Afrique de l’Ouest a été à l’origine de 46 % des attaques et d’un nombre alarmant de 56 % des décès, ce qui en fait la région la plus meurtrière au cours de cette période. L’Afrique de l’Est suit avec 28 % des attaques et 26 % des décès, tandis que l’Afrique centrale a enregistré 21 % des attaques et 16 % des décès. L’Afrique australe et l’Afrique du Nord ont connu beaucoup moins d’incidents, ce qui reflète à la fois les disparités géographiques et les différences dans les capacités opérationnelles des groupes.
Les régions du Sahel et de la Corne de l’Afrique restent notamment des épicentres de la violence extrémiste. À lui seul, le Sahel a été à l’origine de 38 % des attaques et de 43 % des décès, avec des groupes comme Jama’at Nusrat al-Islam wal-Muslimin (JNIM) et l « État islamique dans le Grand Sahara (ISGS) qui maintiennent leur élan. La Corne de l’Afrique – en particulier la Somalie – a été à l’origine de 26 % des attaques et des décès, Al-Shabaab et l » État islamique en Somalie (EIS) demeurant des menaces puissantes.
Violence ciblée et sophistication croissante
Les forces militaires et de sécurité sont restées les principales cibles, subissant 587 des 943 attaques recensées. Les populations civiles ont été visées dans 335 incidents, tandis que les organisations internationales et les institutions gouvernementales ont fait l’objet d’attaques limitées mais symboliques. Les armes légères et de petit calibre (ALPC) ont été utilisées dans 67 % des attaques, tandis que les engins explosifs improvisés (EEI) ont été utilisés dans 27 % des cas. Les enlèvements – souvent contre rançon ou pour des raisons politiques – ont représenté 4 % des incidents, avec 677 otages pris, en particulier en République démocratique du Congo (RDC), au Cameroun, au Mozambique, au Nigeria, en Somalie et au Niger.
Les groupes terroristes ne se contentent pas d’intensifier leurs tactiques, ils intègrent également la technologie dans leur arsenal. L’utilisation de véhicules aériens sans pilote (UAV), ou drones, à des fins de surveillance, de combat et de propagande par des groupes tels que l’ISS, le JNIM, l’ISWAP et Boko Haram marque une évolution dangereuse du terrorisme africain.
Des attaques très médiatisées mettent en lumière une menace croissante
Plusieurs attaques très médiatisées au premier trimestre 2025 soulignent la persistance de la menace qui pèse sur la sécurité et la stabilité :
– Le 12 janvier, des militants de l’ISWAP ont tué au moins 40 civils à Tundun Leda, Borno, Nigeria.
– Le 15 janvier, l’ISCAP a massacré 45 civils à Makoko, au Nord-Kivu, en RDC.
– Le 10 février, l’ISS a attaqué les forces du Puntland en Somalie à l’aide d’un engin explosif improvisé transporté par un véhicule, tuant 27 soldats et en blessant 40.
– Le 28 mars, le JNIM a lancé un assaut dévastateur contre un camp de l’armée burkinabé à Diapaga, au Burkina Faso, tuant au moins 90 soldats et volontaires pour la défense de la patrie (VDP).
Ces incidents, parmi d’autres, reflètent la nature de plus en plus audacieuse et coordonnée des opérations terroristes, ainsi que la vulnérabilité des cibles militaires et civiles.
Réponses régionales à la lutte contre le terrorisme : Acquis et lacunes
Malgré les difficultés croissantes, les États africains et les mécanismes régionaux ont intensifié leurs efforts de lutte contre le terrorisme, souvent en collaboration avec des partenaires internationaux.
Corne de l’Afrique
Les forces nationales somaliennes, soutenues par la Mission de stabilisation de l’Union africaine en Somalie (AUSSOM) et le Commandement des États-Unis pour l’Afrique (AFRICOM), ont mené de nombreuses opérations couronnées de succès. Une étape importante a été franchie le 5 mars, lorsque les forces éthiopiennes ont lancé leurs premières frappes aériennes en Somalie depuis près de vingt ans, tuant de hauts responsables d’Al-Shabaab, dont le commandant Yusuf Dhegnaas. Au Puntland, les forces locales ont tué plus de 90 militants de l’ISS et éliminé un haut commandant étranger responsable des opérations de drones.
Sahel
Le Burkina Faso, le Mali et le Niger, qui opèrent dans le cadre de l’Alliance des États du Sahel (AES), ont mené des opérations conjointes avec un succès considérable. Le 15 mars, un assaut aérien conjoint à Kiral (Tillaberi) a permis de neutraliser 45 militants de l’ISGS. Auparavant, le 15 février, les forces burkinabées avaient tué 22 militants du JNIM dans la Tapoa. Toutefois, ces groupes continuent de s’adapter et de menacer les États côtiers voisins comme le Bénin et le Ghana.
Bassin du lac Tchad
La Force d’intervention conjointe multinationale (MNJTF), à laquelle participent le Nigeria, le Tchad, le Cameroun et le Niger, a mené des opérations qui ont permis de dégrader davantage Boko Haram et l’ISWAP. Néanmoins, la force continue de se heurter à des limites financières et logistiques, ce qui souligne la nécessité d’un investissement plus important et d’un soutien régional.
Région des Grands Lacs
Les efforts de lutte contre le terrorisme dans l’est de la RDC ont été compromis par la décision de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) de mettre fin à la mission SAMIDRC. Le groupe ADF/ISCAP reste actif et le nombre de victimes civiles est élevé.
Afrique du Nord et du Sud
Les États d’Afrique du Nord, dont l’Algérie et la Tunisie, ont réussi à déloger des cellules terroristes. L’armée algérienne a tué un militant d’AQMI et saisi des armes dans la province de Médéa. Au Mozambique, les forces d’Afrique australe ont perturbé plusieurs attaques planifiées par Al-Sunna wa Jama’a (ASWJ), bien que des violences sporadiques persistent.
Recommandations et perspectives d’avenir
Le Bulletin se termine par un appel urgent à des réformes stratégiques. Il s’agit notamment de
1. Harmonisation continentale: Un cadre unifié de lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent au niveau de l’Union africaine est essentiel. Des efforts coordonnés entre les CER, les MR et les partenaires internationaux permettraient de réduire les redondances et de maximiser l’efficacité des ressources.
2. Réforme du secteur de la sécurité (RSS): Pour instaurer la confiance et la légitimité, les réformes doivent donner la priorité à la sécurité humaine plutôt qu’à la sécurité du régime. Le contrôle, la responsabilité et le respect des droits de l’homme sont essentiels pour éviter d’exacerber les griefs locaux qui alimentent l’extrémisme.
3. Adaptation technologique: L’utilisation croissante des drones par les terroristes nécessite le développement et le déploiement de systèmes de lutte contre les drones dans les États membres. Les campagnes de sensibilisation du public et la coordination régionale seront essentielles pour atténuer cette menace transnationale croissante.
4. Amélioration du renseignement: Le manque de renseignements reste une vulnérabilité importante. Le renforcement de la surveillance, des systèmes d’alerte précoce et de la coopération inter-agences pourrait réduire à la fois la fréquence et la létalité des attaques.
Conclusion
Si les opérations délibérées de lutte contre le terrorisme ont permis des avancées notables – plus de 3 300 terroristes ont été tués au cours du seul premier trimestre 2025 -, la létalité et la sophistication croissantes des attaques terroristes montrent que la menace est loin d’être neutralisée. Des stratégies régionales coordonnées, l’innovation technologique, des approches de sécurité centrées sur l’homme et un engagement politique soutenu sont essentiels pour que l’Afrique puisse inverser la tendance de l’extrémisme violent et rétablir la stabilité dans ses régions les plus vulnérables.
Référence :
Centre de l’Union africaine pour la lutte contre le terrorisme (AUCTC). (2025). Bulletin trimestriel sur le terrorisme en Afrique – Premier trimestre 2025 (1er janvier au 31 mars 2025). Commission de l’Union africaine, Addis-Abeba, Éthiopie.