Introduction
Au cours des derniers mois, le Ghana a connu deux détentions notables mais différentes qui ont suscité des discussions animées sur l’intégrité institutionnelle et le concept plus large de sécurité nationale. Tout d’abord, le 27 mai 2025, le département des enquêtes criminelles (CID) a invité Bernard Antwi Boasiako, plus connu sous le nom de Chairman Wontumi, président de la région Ashanti du NPP, à être détenu par l’Office de lutte contre la criminalité économique et organisée (EOCO). Il avait été mis en garde pour exploitation minière illicite et pour avoir causé des pertes financières à l’État, entre autres. En raison d’une requête en appel de la Haute Cour, sa libération a été reportée après qu’une caution de 50 millions de GH₵ lui ait été accordée, assortie de deux cautions justifiées. Le 2 juin, cette requête a finalement été retirée, ouvrant la voie à sa libération tant attendue le lendemain (myjoyonline.com ; pulseghana.com).
Le 20 août 2025, un artiste de dancehall bien connu, Charles Nii Armanh Mensah, connu sous le nom de Shatta Wale, s’est présenté au siège de l’EOCO à la suite d’une demande américaine liée à une enquête de fraude aux États-Unis impliquant une Lamborghini Urus de 2019 liée à un stratagème de 4 millions de dollars. Après avoir rempli les conditions de sa caution, qui ont été modifiées de GH₵10 millions à GH₵5 millions, il a été libéré le 21 août après avoir été détenu pendant la nuit. Il a ensuite dû se présenter à l’EOCO trois fois par semaine. Les deux incidents ont suscité des réactions publiques évidentes, des partisans politiques incités à se rendre dans les locaux de l’EOCO aux fans dévoués de Shatta Wale qui se sont rassemblés en masse devant le bureau de l’EOCO en signe de solidarité (apnews.com ; myjoyonline.com ; pulseghana.com).
Ces événements se sont produits à quelques mois d’intervalle et laissent entrevoir une tendance possible : lorsque des personnalités influentes remettent en question ou rabaissent des institutions, le public a tendance à refléter ces attitudes. L’érosion de la confiance dans des organismes tels que l’EOCO qui en résulte menace non seulement leur efficacité dans l’application de l’État de droit, mais aussi, plus largement, l’architecture de sécurité systémique de notre pays.
Face aux menaces croissantes de la criminalité financière et de la corruption, l’EOCO est un défenseur essentiel de l’intégrité du Ghana. L’affaiblissement de ces institutions, même par la défiance performative ou la posture partisane, risque d’affaiblir les fondements mêmes de notre sécurité collective.
Cet article soutient que les dirigeants ont, consciemment et inconsciemment, un impact important sur la façon dont le public perçoit la sécurité. Le mépris des procédures de sécurité par les dirigeants peut conduire les partisans à imiter ce comportement, sapant ainsi les institutions nationales de protection et risquant de nuire à l’image de marque du pays.
La sécurité au-delà de la police et la tendance au mimétisme.
L’Office de lutte contre la criminalité économique et organisée (EOCO) joue un rôle crucial dans la sécurité nationale en protégeant l’économie, en décourageant la corruption et en maintenant la confiance du public. Mandaté par la loi, l’EOCO enquête, poursuit et récupère les produits de la criminalité économique et organisée qui sont essentiels au maintien de l’intégrité de l’État et de la stabilité des ressources. Son plan stratégique 2023-2028 vise à renforcer les partenariats inter-agences, l’adoption de technologies et la résilience opérationnelle. L’EOCO collabore également avec des entités telles que le Minerals Income Investment Fund (MIIF) afin de garantir une collecte précise des redevances provenant du secteur extractif, renforçant ainsi l’intégrité des recettes et sécurisant les ressources de l’État (eoco.gov.gh).
Les paradigmes de sécurité modernes reconnaissent le rôle fondamental des agences de renseignement, de lutte contre la fraude et de redressement économique dans la sécurité publique. Les études ghanéennes sur la sécurité soulignent l’importance croissante des acteurs non policiers, y compris les entreprises de sécurité privées et les institutions qui s’attaquent aux menaces financières et cybernétiques, car ils s’attaquent aux vulnérabilités des mécanismes de l’État et contribuent à la gouvernance globale de la sécurité (Abudu et al., 2013 ; Jedidigah et al., 2020).
Dans les récentes affaires de l’EOCO impliquant le président Wontumi et Shatta Wale, le comportement du public a étroitement reflété les actions et les attitudes de ces personnes influentes. Les partisans du président Wontumi ont fait preuve de défiance et ont privilégié la loyauté en se rassemblant devant les bureaux de l’EOCO et en remettant en question les motifs de l’institution. De même, les fans de Shatta Wale se sont mobilisés en solidarité, en scandant, en arborant des pancartes et en exigeant sa libération, reflétant ainsi le mécontentement public exprimé par leur idole, comme en témoignent les scènes de fans se massant dans les locaux de l’EOCO et perturbant la circulation (adomonline.com ; vanguardngr.com).
La tendance observée reflète un phénomène social plus large dans lequel les individus, en particulier les suiveurs, imitent les signaux émotionnels et comportementaux des leaders d’opinion (Bourgeous &Hess, 2008 ; Van Baaren et al., 2004). Ce mimétisme social, mécanisme psychologique favorisant l’affiliation, est soutenu par des théories telles que le flux à plusieurs étapes, où les médiateurs qui sont des leaders d’opinion influencent les publics et les leaders cultivent les normes (Bourgeous &Hess, 2008 ; Paller, 2014 ; Van Baaren et al., 2004). Les réactions reproduites dans les cas EOCO illustrent ces processus d’influence sociale profondément enracinés, transmettant les attitudes des dirigeants à l’égard des institutions et pouvant avoir un impact sur le comportement du public et le respect des institutions.
Les risques d’affaiblissement des institutions de sécurité
La première, évidente, est l’érosion de la confiance du public. Lorsque des institutions de sécurité comme l’EOCO sont publiquement contestées ou discréditées, les citoyens commencent à perdre confiance en leur intégrité. Cela entrave les progrès du développement et empêche donc la nation d’atteindre les objectifs qu’elle s’est fixés.
Deuxièmement, la légitimité et la résilience de l’institution sont réduites. Des cadres institutionnels solides, caractérisés par l’autonomie, une mission bien définie et la coopération, sont essentiels pour prévenir la corruption et maintenir la légitimité (Friday et al., 2025). Selon Nonki Tadida (2023), les études sur les institutions supérieures de contrôle des finances publiques (ISC) démontrent que les organisations anticorruption dotées de solides garanties institutionnelles réduisent considérablement les perceptions de la corruption.
En sapant les institutions de sécurité, on risque d’accroître l’instabilité et donc de réduire l’efficacité. Une analyse réalisée en 2025 par le Center for Strategic and International Studies (CSIS) souligne que le Ghana est confronté à des menaces accrues en matière de sécurité, allant du crime organisé à l’agitation politique et au vigilantisme. Cette situation s’expliquerait en grande partie par le fait que les principales institutions souffrent d’un manque de responsabilité, de corruption et d’un effondrement de la confiance du public. Malheureusement, lorsque les institutions ne parviennent pas à asseoir leur légitimité, les communautés peuvent avoir recours à des mécanismes d’entraide, ce qui accroît le désordre (csis.org).
Le risque le plus important est celui des implications plus larges en matière de sécurité, car les menaces modernes telles que la corruption, la cybercriminalité, la fraude financière, les crimes contre l’environnement et l’extrémisme sont interconnectées. L’affaiblissement d’agences telles que l’EOCO entrave les capacités de coordination interdomaines de l’État. Zdilar (2023) affirme que la sécurité globale nécessite une coopération entre les institutions de l’État, la société civile et les partenaires internationaux pour assurer la résilience. Simplement, le manque de respect pour les institutions de sécurité n’est pas un faux pas civique isolé, il affaiblit la capacité de l’État à protéger son économie, sa démocratie et ses communautés contre des menaces transfrontalières en constante évolution.
Le rôle des dirigeants dans la sauvegarde de la sécurité
Les dirigeants exercent une influence qui va bien au-delà des mots, chaque geste et déclaration publique envoie des signaux que les suiveurs et les institutions intériorisent, il est donc important qu’ils donnent le ton en étant un bon exemple. Lorsque des personnalités éminentes ou populaires agissent avec transparence et humilité, elles renforcent la confiance dans les institutions de sécurité. À l’inverse, la défiance ou le manque de respect sapent la crédibilité institutionnelle et encouragent les partisans à reproduire ce comportement.
L’intégrité est renforcée par la responsabilité et le président en exercice a réaffirmé que la responsabilité, et non le privilège, est le fondement du leadership lors de son engagement avec les Ghanéens en Éthiopie au début de l’année. Il a également mis en garde les ministres contre la vanité et le dédain à l’égard des personnes qu’ils servent, et il a demandé aux fonctionnaires de montrer l’exemple et d’être prêts à leur rendre des comptes (myjoyonline.com).
Les dirigeants peuvent tirer parti d’une communication stratégique pour renforcer la confiance. Les experts en sécurité estiment que pour susciter la confiance du public, il faut des scénarios soigneusement planifiés dans lesquels les dirigeants utilisent habilement les médias pour attirer l’attention sur les initiatives institutionnelles (Awashreh &Alshuhoomi, 2025). Un exemple digne d’intérêt est celui de Shatta Wale félicitant l’actuel directeur exécutif par intérim de l’EOCO et son personnel pour l’avoir traité avec respect et le plus grand professionnalisme au sujet de sa détention.
Les agences de sécurité devraient être soutenues par des ressources adéquates pour stimuler leurs opérations tout en maintenant leur indépendance, car elle est essentielle pour faire face aux menaces sécuritaires et assurer la sécurité des personnes qui leur sont confiées.
Responsabilité des citoyens
Les citoyens doivent respecter la loi et les institutions. Les lois constitutionnelles et statutaires sont contraignantes pour les citoyens, tant sur le plan juridique qu’éthique, et à ce titre, chaque citoyen ghanéen a une obligation explicite. Il doit notamment « soutenir et défendre cette constitution et la loi » et « coopérer avec les organismes légaux au maintien de la loi et de l’ordre », conformément à l’article 41 de la constitution de 1992. Les citoyens doivent également coopérer avec les institutions de sécurité pour leur permettre de fonctionner efficacement.
Au-delà de la simple conformité, les citoyens doivent jouer un rôle actif dans la vie civique. Cela implique le respect des règles fiscales, la déclaration sincère des revenus, la sauvegarde des biens publics et la prévention des détournements de fonds publics. « Protéger et préserver les biens publics et dénoncer et combattre les abus et le gaspillage des fonds et des biens publics » est un autre devoir imposé aux citoyens par l’article 41.
Pour soutenir la légitimité institutionnelle et favoriser la paix, les citoyens doivent éviter les comportements préjudiciables tels que la diffamation des institutions, la diffusion d’affirmations non vérifiées ou les réactions de la foule. Au contraire, les individus doivent chercher à obtenir réparation par des moyens légaux et pacifiques, en respectant l’État de droit en tant que cadre d’équité. Les désaccords avec les dirigeants ou les politiques doivent être exprimés de manière constructive par des voies démocratiques telles que les protestations pacifiques, le dialogue civique, les pétitions et l’engagement des médias (ghanabusinessnews.com).
Conclusion
Les deux incidents sont graves, mais les acteurs politiques ont donné un ton inquiétant aux jeunes individus, comme on l’a vu dans le cas de Shatta Wale, et ne devraient donc pas être négligés.
La protection de la sécurité est une responsabilité partagée qui va au-delà des actions des organismes chargés de l’application de la loi et s’étend au comportement des dirigeants et des citoyens. Une culture de la responsabilité, du respect et de la collaboration est essentielle pour les institutions démocratiques à une époque où les risques pour la sécurité sont nombreux et variés, tels que la désinformation, la cybercriminalité et la corruption.
Références
Abudu, A. M., Nuhu, Y. et Nkuah, J. K. (2013). Bridging the security gap in Ghana : The role of private security actors (Combler le fossé sécuritaire au Ghana : le rôle des acteurs privés de la sécurité). Developing Country Studies, 3(10), 11-30.
Ankrah, E. Nous devons être prêts à rendre des comptes – Mahama dit aux dirigeants . myjoyonline.com. 10 septembre 2025. https://www.myjoyonline.com/we-must-be-prepared-for-accountability-mahama-tells-leaders/
Awashreh, R. A. et Alshuhoomi, S. A. (2025). Leadership in security media : Impact on community safety-Insights from Oman Police. SA Journal of Human Resource Management, 23, 1-13.
Bourgeois, P. et Hess, U. (2008). The impact of social context on mimicry. Biological psychology, 77(3), 343-352.
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Friday, S. C., Lawal, C. I., Ayodeji, D. C. et Sobowale, A. (2022). Modèle stratégique pour le renforcement des capacités institutionnelles en matière de conformité financière et de contrôles internes dans les économies fragiles. International Journal of Multidisciplinary Research and Growth Evaluation, 3(1), 944-954.
Le chanteur ghanéen Shatta Wale interrogé dans le cadre d’une enquête sur les voitures de luxe aux États-Unis. apnews.com. 9 septembre 2025. https://apnews.com/article/ghana-shatta-wale-singer-lamborghini-probe-kentucky-dceb7ba2c0b96d20c6446eefb5622fb8
https://kasante1.github.io/constitutionofghana1992plus
Jedidigah, A. K., Opoku, P., Dagba, G. et Amankwa, M. (2020). Les défis de la sécurité au Ghana, les impératifs des agences de sécurité de l’État : A study of the Ghana Police Service. Global Journal of Human-Social Science : F Political Science, 20(2).
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Paller, J. W. (2014). Informal institutions and personal rule in urban Ghana. African Studies Review, 57(3), 123-142.
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Les autorités françaises ont décidé de ne plus faire appel à l’aide de l’Etat pour la mise en place d’un système de gestion des déchets : Https .. citinewsroom.com. 9 septembre 2025. https://www.facebook.com/citi973/posts/shatta-wale-released-from-eoco-custody-more-here-httpscitinewsroomcom202508shatt/1206208231536484/
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Shatta Wale’s detention sparks protest in Ghana, fans besiege EOCO Office. vanguardngr.com. 9 septembre 2025. https://www.vanguardngr.com/2025/08/shatta-wales-detention-sparks-protest-in-ghana-fans-besiege-eoco-office/
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Zdilar, S. (2023). Les défis de la sécurité. National security and the future, 24(1), 47-52.