Le Mali, le Niger et le Burkina Faso, gouvernés par une junte, ont « irrévocablement » tourné le dos à la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest lors d’un sommet de l’Alliance des États du Sahel à Niamey, au Niger, le 6 juillet 2024, en invoquant toute une série de raisons. Comme le rapporte la BBC, le chef de file nigérien, le général Abdourahmane Tchiani, a déclaré lors du sommet qu’avec ses compatriotes (le capitaine Ibrahim Traoré du Burkina Faso et le colonel Assimi Goïta du Mali), la triade vise à construire une communauté de peuples souverains « loin du contrôle des puissances étrangères ». Une communauté de paix, de solidarité, de prospérité basée sur nos valeurs africaines ». Le capitaine Traoré a déclaré à l’auditoire du sommet que « ce continent a souffert et continue de souffrir du feu des impérialistes. Ces impérialistes n’ont qu’un seul cliché en tête : L’Afrique est l’empire des esclaves ». Outre sa volonté de former une confédération, l’Alliance a également l’intention de se doter d’une monnaie commune et de rompre totalement avec le franc CFA, soutenu par la France. Ils ont également expulsé des soldats français en mission anti-jihadiste dans leurs pays respectifs et se sont tournés vers la Russie pour obtenir une assistance militaire. Les trois pays ne veulent tout simplement plus rien avoir à faire avec la France et les États-Unis. Ils considèrent la CEDEAO comme un faire-valoir de ces superpuissances.
Après l’annonce de leur rupture, la CEDEAO, lors de son propre sommet à Abuja, au Nigeria, a désigné le lendemain le plus jeune président d’Afrique, Basirou Diomaye Faye du Sénégal, comme envoyé de paix, soutenu par le président togolais Faure Essozimna Gnassingbe, pour tenter de convaincre la triade de sortir de l’aventure.
Le choix de Faye par la CEDEAO est assez évident. Il se situe dans la tranche d’âge de deux des trois chefs militaires. Le Malien Assimi Goïta est âgé de 41 ans. Il a mené le coup d’État de 2020 et est le président de transition depuis 2021. Ibrahim Traoré, du Burkina Faso, a 36 ans. Il a mené le coup d’État burkinabé de 2022 et est le président de transition depuis 2022. Le général Tchiani, du Niger, est âgé de 63 ans. Cet ancien soldat de la paix des Nations unies était le commandant de la garde présidentielle du Niger jusqu’à ce qu’il trahisse la personne même qu’il avait été chargé de protéger, son patron, le président Mohamed Bazoum, en le renversant. Le général Tchiani s’est alors autoproclamé chef du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie, la junte militaire mise en place après sa prise de pouvoir le 26 juillet 2023.
L’âge de Faye peut l’aider à se rapprocher des chefs de la junte, en particulier Goïta et Traoré. Pour une triade comme l’AES, passer par deux d’entre eux, c’est comme passer par les trois. Même s’il ne peut pas s’adresser directement au général Tchiani en raison du fossé générationnel, ses pairs – Goïta et Traoré – pourraient constituer une voie d’accès facile. Deuxièmement, il est innocent des crimes de la CEDEAO contre la triade puisqu’il n’avait pas été élu au moment où les menaces de sanctions et d’invasion militaire ont été proférées contre les trois pays. Troisièmement, M. Faye a lui-même été victime d’une injustice sous le régime de l’ancien président sénégalais Macky Sall. Il a été emprisonné puis libéré quelques jours avant les élections dans son pays. Il peut donc comprendre les griefs de la triade qui considère la CEDEAO comme un outil de la France impérialiste et de l’Occident. En outre, le Sénégal entretient toujours de bonnes relations avec l’Occident, de sorte que M. Faye pourrait également assurer la liaison entre l’Occident et la triade. Il pourrait être le médiateur qui rapproche ces deux parties ou, du moins, qui présente le point de vue de l’une à l’autre en vue d’un dialogue efficace. M. Faye peut tirer parti de sa jeunesse et de ses références réformistes pour instaurer la confiance avec les chefs militaires, qui cherchent à s’éloigner des alliances occidentales traditionnelles (Africanews) (The Point).
De plus, le paysage sécuritaire du Sahel étant un facteur critique dans le désaccord entre la triade et la CEDEAO, M. Faye pourrait souligner les avantages de la sécurité collective au sein de la CEDEAO, en proposant éventuellement des réformes ou de nouvelles stratégies en accord avec les priorités du Mali, du Niger et du Burkina Faso. Il pourrait s’agir de réduire la dépendance à l’égard de forces extérieures comme la France et de favoriser une plus grande autonomie régionale (Arab News).
Pour attirer les trois nations, Faye pourrait également proposer des incitations économiques ou des réformes au sein de la CEDEAO qui s’alignent sur leur désir d’une plus grande souveraineté. Il pourrait s’agir de renégocier des accords économiques ou d’offrir une aide au développement qui soutienne leurs intérêts nationaux tout en démontrant les avantages tangibles de la coopération régionale (Africanews) (The Point).
En outre, le Sénégal a donné l’assurance la plus ferme à la triade qu’il ne servirait pas d’intermédiaire pour une attaque contre l’une d’entre elles. En visite à Bamako le 12 août 2024, le Premier ministre sénégalais, Ousmane Sonko, un autre jeune politicien, a clairement indiqué, après avoir rencontré Goïta, que « personne ne passera par le Sénégal pour déstabiliser le Mali » : « Personne ne passera par le Sénégal pour déstabiliser le Mali ». Comme le rapporte Africa Report, il a également critiqué les décisions prises par la CEDEAO au sujet de la junte, mais a appelé à « sauver ce qui peut l’être ». Lors d’une interaction avec son homologue malien, Choguel Kokalla Maïga, M. Sonko a salué la « lutte pour la souveraineté » du Mali, ajoutant : « Si les pays de l’AES décident de quitter la CEDEAO, ils ont le droit de le faire, ils sont souverains. Les accords de la CEDEAO ne sont pas inaliénables », et a appelé au « patriotisme, qui doit nécessairement être africain ». Toutefois, selon lui, « il faut sauver ce qui peut l’être. Nous devons tout faire pour préserver le bloc et, si possible, l’élargir malgré les problèmes. Je ne veux pas que la famille se désagrège ». M. Sonko reprenait essentiellement le ton de réconciliation de son président, lorsque M. Faye a rencontré le Goïta malien et Ibrahim Traoré burkinabé en mai sur la même question.
Même si le processus de médiation du Sénégal n’a pas permis d’obtenir beaucoup de résultats jusqu’à présent, le fait que les dirigeants de la junte dialoguent ouvertement avec le président Faye et le premier ministre Sonko constitue à lui seul un progrès considérable.