Le terme « contagion sécuritaire » décrit la manière dont l’insécurité – qu’elle soit politique, sociale ou économique – peut se propager au-delà des frontières nationales, des zones géographiques ou des secteurs d’activité. La dynamique et la nature de la contagion sécuritaire ont évolué de manière spectaculaire au fil du temps en raison de l’évolution des environnements géopolitiques, des percées technologiques et de l’interconnexion mondiale.
Contexte historique
Dans le passé, la contagion de la sécurité était souvent liée à des invasions militaires ou à des batailles. La chute d’empires, comme l’Empire romain, a montré comment les agressions militaires, les perturbations commerciales et les pressions migratoires résultant de l’instabilité d’une région pouvaient déstabiliser les régions voisines (Heather, 2005). Par exemple, certaines parties de l’Europe et du Moyen-Orient sont devenues instables à la suite de l’expansion ottomane et de la perturbation des routes commerciales causée par la chute de Constantinople en 1453.
La révolution industrielle a fait de l’interdépendance économique un nouvel aspect de la contagion sécuritaire. La Grande Dépression des années 1930 a montré comment l’instabilité financière pouvait se propager à l’échelle mondiale. La faillite des grandes banques américaines a entraîné une instabilité politique et un chômage généralisé en Europe (Kindleberger, 1973). De même, l’émergence d’idéologies telles que le fascisme et le communisme au début du XXe siècle a montré comment les troubles politiques pouvaient transcender les frontières nationales, entraînant des alliances et des conflits qui ont influencé les guerres mondiales.
Pendant la guerre froide, la contagion de la sécurité était fortement idéologique. L’ordre mondial bipolaire a vu le communisme et le capitalisme façonner la stabilité nationale et régionale. Les guerres par procuration au Viêt Nam, en Afghanistan et en Amérique latine ont illustré la façon dont la rivalité des superpuissances a engendré l’insécurité loin de leurs frontières (Gaddis, 2005 ; De Soysa, 2017).
La dynamique du 21e siècle
La mondialisation et les progrès technologiques ont transformé la nature de la contagion sécuritaire. Les menaces liées à la cybersécurité, telles que les attaques par ransomware et les violations de données, posent désormais des risques qui transcendent les frontières régionales traditionnelles (Richard & Clarke, 2011). En outre, la pandémie de COVID-19 a mis en évidence la façon dont l’insécurité sanitaire pouvait se propager à l’échelle mondiale, perturbant les structures sociales, les systèmes de soins de santé et les économies (Organisation mondiale de la santé, 2020).
La contagion sécuritaire moderne se caractérise par sa rapidité et sa complexité. La mondialisation, la communication numérique et les chaînes d’approvisionnement interdépendantes signifient que l’insécurité dans un domaine – qu’il soit financier, politique ou environnemental – peut rapidement avoir un impact sur d’autres. Par exemple, les défis induits par le changement climatique, tels que les sécheresses ou l’élévation du niveau des mers, exacerbent les crises migratoires, l’instabilité politique et les conflits de ressources à l’échelle mondiale (Change, 2013).
Le cas de l’Afrique
L’Afrique illustre les dimensions historiques et modernes de la contagion sécuritaire. Les frontières poreuses du continent, les États faibles et les dynamiques sociopolitiques partagées augmentent la probabilité que les problèmes de sécurité débordent des frontières nationales, aggravant ainsi l’instabilité régionale.
Facteurs historiques
Les frontières coloniales tracées lors de la Conférence de Berlin (1884-1885) ont divisé des groupes ethniques et fusionné des communautés incompatibles, jetant les bases de conflits futurs (Herbst, 2014). Par exemple, la division du groupe ethnique somali entre l’Éthiopie, le Kenya, Djibouti et la Somalie a alimenté les ambitions irrédentistes et les conflits frontaliers, comme la guerre de l’Ogaden (Samatar, 1987).
Après l’indépendance, les États africains ont été confrontés à d’importants défis en matière d’édification de la nation, ce qui a souvent conduit à des conflits internes dépassant les frontières. Les mouvements de libération, les guerres civiles et les coups d’État militaires des années 1960 et 1970 ont créé des crises de sécurité régionales. Par exemple, la guerre civile angolaise (1975-2002) et la guerre d’indépendance du Mozambique (1964-1992) se sont étendues aux pays voisins par le biais des flux de réfugiés, du trafic d’armes et des groupes d’insurgés transnationaux (Chabal & Birmingham, 2002).
Le génocide rwandais de 1994 offre un exemple frappant de contagion de la sécurité. Plus de deux millions de réfugiés ont fui vers les pays voisins, notamment le Zaïre (aujourd’hui République démocratique du Congo), où les génocidaires ont utilisé les camps comme bases d’attaque. Ce débordement a déclenché les première et deuxième guerres du Congo, qui ont impliqué plusieurs États africains et ont débouché sur l’un des conflits modernes les plus meurtriers (Prunier, 2008).
Menaces modernes
Terrorisme et extrémisme violent
Des groupes comme Boko Haram au Nigéria et Al-Shabaab en Somalie exploitent la faiblesse de la gouvernance et les griefs socio-économiques pour opérer à l’échelle transnationale. Boko Haram déstabilise des régions comme le Niger, le Tchad et le Cameroun, tandis qu’Al-Shabaab cible les civils et les infrastructures au Kenya et en Ouganda (Cook, 2014). La porosité des frontières facilite leurs opérations, tandis que la contrebande, les enlèvements et le trafic intègrent ces groupes dans des réseaux criminels régionaux.
Cybersécurité
La dépendance croissante de l’Afrique à l’égard des infrastructures numériques a entraîné une augmentation de la cybercriminalité, notamment du piratage, de la fraude financière et des attaques par ransomware. Des secteurs majeurs comme la banque, les télécommunications et l’énergie sont des cibles privilégiées. L’absence d’infrastructures de cybersécurité avancées dans de nombreux pays africains amplifie ces risques.
Changement climatique
Les défis environnementaux, tels que le rétrécissement du bassin du lac Tchad et les sécheresses au Sahel, exacerbent les conflits liés aux ressources pour l’eau, les terres arables et les zones de pâturage. Ces problèmes entraînent des déplacements et des migrations, ce qui pèse sur la gouvernance locale et amplifie l’instabilité régionale (Okpara et al., 2015).
Trafic illicite
L’Afrique est une voie de transit majeure pour les marchandises illicites, y compris la drogue et la traite des êtres humains. L’Afrique de l’Ouest, par exemple, est devenue une plaque tournante du trafic de cocaïne, qui sape l’autorité de l’État et alimente la corruption (Bouché & Bailey, 2020).
Crises sanitaires
Les crises de santé publique, comme les épidémies d’Ebola en Afrique de l’Ouest et en République démocratique du Congo, démontrent l’interconnexion de la santé et de la sécurité. La pandémie de COVID-19 a mis à rude épreuve les systèmes économiques et de gouvernance.
Migration
Les migrations constituent une contagion majeure pour la sécurité, en particulier lorsqu’elles sont provoquées par des guerres ou des conflits transfrontaliers. Dans de tels cas, la capacité à contrôler les personnes qui traversent les frontières est compromise, ce qui permet non seulement à des éléments indésirables d’entrer dans le pays d’accueil, mais aussi à des armes, des maladies, etc. qui constituent une menace.
La voie à suivre
Pour relever les défis sécuritaires en constante évolution de l’Afrique, il faut une réponse globale et multidimensionnelle qui donne la priorité à la collaboration locale, régionale et mondiale.
Renforcement de la gouvernance et des capacités de l’État
La faiblesse de la gouvernance et la fragilité des institutions permettent aux menaces à la sécurité de prospérer. Il est essentiel de renforcer la capacité de l’État à fournir des services de base, à faire respecter l’État de droit et à lutter contre la corruption. La gouvernance décentralisée et la réforme du secteur de la sécurité (RSS) peuvent améliorer la prestation de services et la confiance dans les forces de sécurité.
Renforcer la coopération régionale
Les cadres régionaux tels que la task force multinationale mixte (MNJTF) contre Boko Haram démontrent l’importance de la collaboration. Des initiatives telles que les programmes de surveillance des frontières de la CEDEAO et le système continental d’alerte précoce (CEWS) de l’UA devraient être étendues et renforcées.
Lutte contre l’extrémisme violent
Il est essentiel de mettre en place des programmes localisés qui répondent aux griefs et instaurent la confiance. Par exemple, le modèle somalien de Baidoa implique les anciens des clans dans les efforts de déradicalisation, tandis que les programmes de DDR du Nigeria offrent des opportunités d’emploi aux anciens militants.
Améliorer la cybersécurité
Les pays africains doivent investir dans le renforcement des capacités, les partenariats public-privé et les stratégies régionales de cybersécurité. Le partage d’informations, notamment sur les tendances en matière de cyberattaques, peut s’avérer utile. La protection des infrastructures physiques et en ligne est également fondamentale. Le soutien extérieur d’entités telles que les Nations unies peut apporter une assistance technique et financière.
Relever les défis climatiques
La gestion durable des ressources et les stratégies d’adaptation au climat sont essentielles pour atténuer les conflits et les déplacements liés aux ressources. Compte tenu de la nature des problèmes de sécurité transfrontaliers, il est impératif de collaborer au développement de systèmes d’alerte précoce, d’améliorer les systèmes de gestion des frontières et de s’attaquer aux causes profondes de l’insécurité dans l’ensemble de la région.
Conclusion
La nature de la contagion sécuritaire en Afrique évolue, avec des défis interconnectés tels que le terrorisme, la cybercriminalité et l’insécurité induite par le climat. La résolution de ces problèmes nécessite une approche globale qui renforce la gouvernance, favorise la coopération régionale et adapte les solutions aux contextes locaux. En donnant la priorité au renforcement des capacités, à la coopération et à la confiance, les pays africains peuvent faire face aux menaces transfrontalières tout en assurant la stabilité et le développement à long terme.
Références
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