Introduction
Selon le rapport Global Terrorism Index 2025, la crise sécuritaire actuelle au Sahel – qui est désormais la région la plus terroriste du monde pour la deuxième année consécutive – est due à plusieurs facteurs, notamment la dégradation écologique, la mauvaise gouvernance, la polarisation ethnique, les atteintes à la sécurité de l’État, les conflits pastoraux, la croissance de l’idéologie transnationale Salafi-Islam, les différends concernant l’extraction des ressources naturelles telles que l’or, et l’implication d’acteurs extérieurs – la France et la Russie.
Antécédents historiques du terrorisme sahélien
La révolution de février en Libye, qui a conduit au renversement de Mouammar Kadhafi en octobre 2011, a précipité une série d’événements dans toute l’Afrique du Nord et le Sahel. L’éviction violente de Kadhafi, après 42 ans, a renforcé le mouvement séparatiste touareg malien. Les soldats touaregs qui faisaient partie de l’armée libyenne sont retournés au Mali. Les salafistes-djihadistes les ont ensuite rejoints pour jouer un rôle important dans le soulèvement touareg de 2012 au Mali, qui a finalement conduit ce groupe à s’emparer de Tombouctou, de Gao et de Kidal. Les salafistes-djihadistes ont finalement été vaincus et l’Émirat islamique touareg-salafiste de l’Azawad s’est scindé et a duré environ un an.
L’incapacité du gouvernement malien et de la communauté internationale à résoudre correctement le conflit dans le nord du Mali, en s’attaquant à ses causes profondes, n’a fait qu’accroître les tensions. Elle a donné lieu à des problèmes politiques, sociaux et économiques qui se sont propagés à partir du nord, provoquant des violences intercommunautaires dans les régions de Mopti et de Ségou entre Dogons et Peuls.
Cette situation a également exacerbé l’instabilité au Burkina Faso, au Tchad, en Mauritanie et au Niger, augmentant la violence intercommunautaire et les activités djihadistes. Les groupes salafistes djihadistes transnationaux, dont Al-Qaïda et l’État islamique, ont créé des filiales locales dans la région en tirant parti des tensions ethniques et des conflits liés aux ressources. Ces groupes ont utilisé leur idéologie comme un outil pour mobiliser le soutien, en la superposant aux divisions et aux différends préexistants ((GTI, 2025)).
Le nombre de décès dus aux conflits dans le Sahel a augmenté de manière significative entre 2011 et aujourd’hui. Cette augmentation est probablement due à l’apparition et à la gravité croissante des conflits au Nigeria, au Mali, au Tchad, au Niger, au Cameroun et au Burkina Faso.
En 2024, le nombre de morts dans les conflits au Sahel a dépassé pour la première fois les 25 000. Des groupes tels qu’Ansar Dine, al-Mourabitoun et la Katiba Macina se sont d’abord concentrés sur des problèmes locaux, en inscrivant leurs actions dans une perspective ethnique, nationaliste et religieuse. Toutefois, ces groupes ne sont plus actifs, ayant été absorbés par des organisations djihadistes transnationales telles qu’Al-Qaïda et l’État islamique. Le Jama’at Nusrat ul-Islam wa al-Muslimin (JNIM) a été formé lorsque Ansar Dine, al-Mourabitoun et le Front de libération du Macina ont fusionné avec la branche saharienne d’Al-Qaïda, Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), en 2017. Aucun décès n’a été attribué à Al-Qaïda depuis 2017.
Avec un terrain difficile, des pratiques locales distinctes et des frontières poreuses, les dirigeants locaux du Sahel jouissent d’une grande autonomie. Ils agissent en tant qu’entrepreneurs politiques, prenant des décisions calculées pour savoir où opérer, comment et contre qui. Ils font preuve d’une plus grande volonté de négocier ou de changer d’allégeance (GTI, 2025).
Les implications pour l’environnement de sécurité sont considérables, car le chef d’un groupe terroriste peut ne pas être théologiquement lié aux réseaux jihadistes transnationaux. Ce contexte opérationnel varié ouvre la perspective d’un changement plus important dans la pensée stratégique des djihadistes. Historiquement, l’engagement des jihadistes en faveur de la pureté idéologique a affaibli leur capacité à construire et à maintenir un État, mais ce changement pragmatique ouvre la perspective d’un conflit durable et de faible intensité qui pourrait faciliter une future prise de pouvoir (GTI, 2025).
La faiblesse de la gouvernance est au cœur de l’incapacité persistante des gouvernements maliens successifs à résoudre les différends à l’amiable et a donné lieu à l’émergence des milices dogon, peul et bambara. Les communautés ont été contraintes de s’armer pour assurer leur sécurité, car le gouvernement ne pouvait pas les protéger. Une évolution similaire s’est produite au Burkina Faso, entre les Mossi et les Fulani, ce qui a donné lieu à plusieurs affrontements. L’augmentation de la violence intercommunautaire a favorisé le recrutement par des groupes djihadistes, en particulier l’IS et le JNIM.
Contagion du terrorisme
Le terrorisme continue d’affecter les régions périphériques des États frontaliers comme le Togo et le Bénin, des pays qui n’avaient pas été touchés auparavant, bien que le nombre de décès dus au terrorisme soit relativement faible par rapport aux pays voisins du Sahel. Le Togo a enregistré dix attaques et 52 décès en 2024, soit le plus grand nombre d’attaques et de décès depuis la création de l’indice. Les attaques ont été largement concentrées le long de la frontière du pays avec le Burkina Faso, le JNIM ayant revendiqué quatre des attaques et étant probablement responsable des six autres (GTI, 2025).
Le rapport indique que cela marque la poursuite de la transnationalisation du terrorisme à travers le Sahel, notant que des groupes tels que l’IS et le JNIM cherchent également des refuges et de nouveaux théâtres d’opérations.
Le rapport observe que nombre de ces nouvelles régions, comme les zones périphériques du nord du Togo et du Bénin, sont démographiquement, économiquement et écologiquement similaires aux régions du Mali, du Nigeria, du Burkina Faso et d’ailleurs, d’où les groupes djihadistes ont émergé il y a plus d’une dizaine d’années. Cette tendance n’est pas uniforme, cependant, d’autres États du Sahel tels que la Mauritanie, le Sénégal et la Gambie continuent à ne connaître que peu ou pas de terrorisme.
Financement du terrorisme
Le financement du terrorisme reste l’une des menaces les plus persistantes pour la paix et la stabilité en Afrique de l’Ouest. Il est à la fois un symptôme et un moteur de l’insécurité générale qui déstabilise le Sahel et les régions adjacentes. Au cours des deux dernières décennies, les groupes terroristes ont construit des réseaux financiers complexes, s’appuyant sur un mélange de sources licites et illicites pour financer leurs opérations, recruter des membres et maintenir leur influence dans des zones où l’autorité de l’État est faible ou absente (GIABA & GAFI, Financement du terrorisme en Afrique de l’Ouest).
Mécanismes de financement
Les groupes terroristes d’Afrique de l’Ouest, en particulier dans le Sahel central, tirent leur financement de sources de revenus diverses et évolutives. Une stratégie dominante utilisée par des groupes tels que Jama’at Nusrat ul-Islam wa al-Muslimin (JNIM) consiste à imposer des taxes et fournir des services de protectionLes groupes de la Jama at Nusrat ul-Ilam wa al-Muslimin (JNIM) imposent des taxes et fournissent des services de protection, imitant les structures de gouvernance dans les zones qu’ils contrôlent ou contestent. Ce modèle permet à ces groupes d’extraire des revenus tout en s’intégrant dans les réseaux socio-politiques et économiques locaux (GTI, 2025).
Le vol de bétail est devenu particulièrement lucratif. Les groupes armés s’emparent souvent du bétail ou prélèvent des taxes le long des routes commerciales, exacerbant les tensions entre les communautés pastorales et agricoles et renforçant leur pouvoir par la coercition économique et physique (GTI, 2025).
En outre, l’exploitation artisanale de l’or est devenue une source de financement essentielle. Les groupes terroristes contrôlent ou taxent souvent les opérations minières dans les régions riches en ressources, en particulier au Mali, au Burkina Faso et au Niger, pour financer leurs opérations. Dans certaines régions, les terroristes contrôlent les ressources pétrolières et gazières, détournant les revenus à leurs fins. Ils peuvent également exploiter le bétail, la pêche et les ressources agricoles dans les zones où ils exercent une influence ou un contrôle (Africa Center for Strategic Studies, 2024).
Aussi, le trafic de drogue joue un rôle central dans l’architecture financière des groupes terroristes sahéliens. Bien qu’ils contrôlent rarement directement la production ou les réseaux mondiaux de trafic, des groupes comme l’ISGS et le JNIM assurent la protection des trafiquants et font payer des péages sur les cargaisons de cocaïne sud-américaine en route vers l’Europe via le Sahel (GTI, 2025). Cette stratégie a permis aux groupes de gagner des sommes substantielles sans assumer les risques d’une implication directe dans les marchés criminels transnationaux.
L’enlèvement contre rançon reste l’une des stratégies de financement les plus rentables et les plus durables. Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), précurseur du JNIM, a constitué une formidable source de revenus en enlevant des ressortissants étrangers et des acteurs politiques locaux. Le JNIM a depuis adopté et étendu cette tactique. Les enlèvements ont tendance à augmenter dans les régions où les groupes étendent leur influence, comme cela a été observé au Burkina Faso en 2023, avant de diminuer une fois que le contrôle territorial est consolidé (GTI, 2025).
Le trafic d’armes et d’êtres humains, l’exploitation forestière illégale et la contrebande de biens et de personnes figurent également en bonne place dans les opérations financières des réseaux terroristes. Ces activités sont facilitées par la porosité des frontières et la présence limitée des États dans les régions périphériques (International Anti-Counter Terrorism Report, 2024 ; Vision of Humanity, 2024).
Exploitation du système financier
Au-delà des biens matériels et des trafics illicites, les groupes terroristes exploitent les systèmes financiers formels et informels. Le système bancaire hawala, largement utilisé en Afrique de l’Ouest pour les transferts de fonds informels, assure l’anonymat et réduit le risque de détection. Les terroristes utilisent également les transporteurs de fonds, les sociétés écrans, les crypto-monnaies et les plateformes d’argent mobile pour transférer et stocker des fonds (IEEE). pour transférer et stocker des fonds (IEEE, 2024). Ces méthodes rendent le suivi des flux financiers extrêmement difficile pour les institutions étatiques qui manquent de ressources.
En outre, ONG et organisations caritatives-en particulier celles qui opèrent dans des zones de conflit – ont parfois été infiltrées ou exploitées par des financiers du terrorisme. Si la plupart des ONG opèrent en toute légalité, certaines ont, à leur insu, facilité la collecte de fonds ou fourni une couverture logistique à des groupes extrémistes (GIABA & GAFI, Financement du terrorisme en Afrique de l’Ouest).
Facteurs favorables
De nombreuses faiblesses systémiques favorisent l’essor du financement du terrorisme dans la région. Il s’agit notamment de la faiblesse des structures de gouvernance, de la prédominance des économies informelles et basées sur l’argent liquide, de la porosité des frontières et de l’insuffisance de la coopération interinstitutionnelle et internationale. De nombreuses cellules de renseignement financier (CRF) ne disposent pas des outils ou de la formation nécessaires pour détecter les transactions suspectes liées au financement du terrorisme. En outre, les patrouilles frontalières manquent d’effectifs et de fonds, ce qui permet la libre circulation des armes, du personnel et de l’argent (GIABA & GAFI, 2024).
La corruption au sein des services de sécurité et de renseignement entrave également gravement les efforts de lutte contre le financement du terrorisme. L’incapacité des pays de la région à harmoniser leur législation, à appliquer les mesures de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (LBC/FT) ou à partager des renseignements essentiels en temps réel complique encore l’application de la loi (GIABA & GAFI, 2024).
Recommandations régionales et internationales
Pour briser efficacement l’épine dorsale financière des groupes terroristes, une série de mesures coordonnées ont été recommandées. Celles-ci comprennent la mise en œuvre intégrale des normes des Nations Unies et du GAFI sur le financement du terrorisme, le renforcement de la surveillance des frontières, l’augmentation de la transparence dans les opérations des ONG et l’amélioration de la surveillance de la LBC/FT dans les secteurs formel et informel (GIABA & GAFI, 2024).
En outre, la Convention de la CEDEAO sur la coopération policière et le Comité des chefs de police de l’Afrique de l’Ouest (CCPAO) doivent être renforcés et pleinement opérationnels. Les mécanismes régionaux d’échange de renseignements, les systèmes d’alerte précoce et les cadres d’enquête conjoints doivent être élargis pour tenir compte de la nature transnationale de ces menaces.
Il est également essentiel de former les notaires et les institutions financières aux signaux d’alerte du financement du terrorisme, d’améliorer la surveillance réglementaire des dons et des activités caritatives, et d’adopter des systèmes de paiement numériques et traçables pour réduire l’utilisation d’espèces non réglementées (GIABA & GAFI, 2024).
Enfin, les efforts à long terme doivent inclure des initiatives visant à réduire les vulnérabilités des communautés par le biais du développement socio-économique, de l’éducation et de la mise en place d’institutions résistantes. Le soutien de la société civile, du secteur privé et des chefs religieux est essentiel pour empêcher les groupes terroristes d’exploiter les populations marginalisées.
Conclusion
Les groupes terroristes ont intimement tissé leurs systèmes financiers dans la vie et la situation même de l’environnement dans lequel ils opèrent, de sorte que la destruction de ces systèmes peut signifier la perturbation, dans une certaine mesure, de certaines activités économiques normales et licites ainsi que de la vie quotidienne normale des communautés au sein desquelles ils opèrent. Pour s’attaquer au problème, il faut donc des réponses très chirurgicales et très ciblées qui ne créent pas de crises collatérales dont les mêmes groupes terroristes pourraient tirer parti pour assurer leur subsistance et leur continuité.
Références
– Rapport GTI 2025. Indice mondial du terrorisme. Institut pour l’économie et la paix.
– GIABA & FATF (2024). Rapport sur le financement du terrorisme en Afrique de l’Ouest.
– Centre d’études stratégiques de l’Afrique (2024). Contrôle des ressources illicites et insécurité au Sahel.
– IEEE (2024). Tendances dans l’utilisation des technologies financières par les terroristes.
– Vision de l’humanité (2024). Criminalité environnementale et groupes armés.
– Rapport international sur la lutte contre le terrorisme (2024).
– Plan d’action régional de lutte contre le terrorisme de la CEDEAO (2024).