En décembre 2018, la principale opposition togolaise a décidé de boycotter les scrutins régionaux et législatifs. Ce qui semblait être une question de principe contre un processus électoral considéré comme vicié s’est avéré, avec le recul, avoir introduit l’un des plus grossiers revers démocratiques de ces derniers temps dans le pays. L’incontestable Union pour la République (UNIR), le parti au pouvoir, a remporté une nette majorité lors des élections et l’a rapidement utilisée pour réinterpréter l’ordre constitutionnel en fonction de ses objectifs. Le pays est sur le point de consolider un régime autoritaire, et le prix en est payé par ceux-là mêmes que l’opposition avait voulu protéger.
Selon les dirigeants de l’opposition, le boycott des élections législatives de 2018 était une forme de protestation contre un processus politique qu’ils estimaient truqué, manquant de transparence, de neutralité et de légitimité. Cependant, en refusant de participer, l’opposition a effectivement quitté l’arène démocratique, permettant au parti au pouvoir de contrôler sans entrave le parlement. Sur les 91 sièges, le parti au pouvoir en a remporté 59, les autres allant à des partis indépendants et à d’autres partis qui ont ensuite formé une coalition avec le parti au pouvoir. Ce vide s’est avéré coûteux. UNIR a utilisé sa position dominante pour faire adopter des réformes constitutionnelles qui ont aboli la limitation des mandats présidentiels et ont fait passer le pays d’un système présidentiel à un système parlementaire, consolidant ainsi le pouvoir entre les mains d’une élite déjà bien établie.
Pour de nombreux citoyens togolais, il ne s’agit pas seulement d’une perte politique, mais d’une rupture démocratique. L’absence des voix de l’opposition dans le processus législatif n’a pas permis de contrôler les excès de l’exécutif. En réaction, les citoyens sont descendus dans la rue pour protester en juin 2025. Ce qui a commencé comme des manifestations pacifiques a rapidement dégénéré en affrontements violents, les forces de sécurité ayant fait un usage excessif de la force pour réprimer la contestation, ce qui a entraîné l’arrestation de célébrités, la mort et les blessures d’autres personnes. Le résultat est que le pays est au bord du gouffre, où la colère bouillonne sur les marchés et les campus, et où la confiance dans le processus démocratique s’est effondrée.
Le cas togolais fait écho à une tendance plus générale de la politique africaine : lorsque les partis d’opposition se désengagent d’élections entachées d’irrégularités, ils renforcent souvent la main des détenteurs du pouvoir au lieu de les contester. Les boycotts, bien que symboliquement puissants, apportent rarement le changement institutionnel escompté. Au contraire, ils créent des vides démocratiques que les partis au pouvoir exploitent pour réécrire les règles, écraser la dissidence et consolider leur emprise sur le pouvoir. Au Togo, le boycott a donné au régime un chèque en blanc constitutionnel, qu’il a encaissé sans grande résistance.
Cependant, la décision de l’opposition doit être comprise dans son contexte. Depuis des décennies, le Togo est en proie à la manipulation électorale, à la répression de la dissidence et au règne dynastique de la famille Gnassingbé. Depuis 1993, le défunt président Eyadema et son fils, le président sortant Faure, ont remporté toutes les élections organisées alors que l’opposition dénonçait des fraudes systématiques. En conséquence, l’opposition a été confrontée à un dilemme : participer à un système truqué et risquer de le légitimer, ou s’abstenir et risquer de ne plus être utile. Malheureusement, cette dernière stratégie n’a pas abouti à une réforme mais à une régression.
Ce moment appelle à repenser la stratégie de l’opposition. Plutôt que de se retirer, il faut un engagement stratégique, une participation fondée sur des principes mais non passive. Les groupes d’opposition doivent investir dans l’éducation civique, la formation de coalitions et le plaidoyer international pour faire pression sur les régimes à l’intérieur et à l’extérieur des urnes. De même, la communauté internationale doit repenser sa réponse tiède à l’érosion démocratique. L’Union africaine et la CEDEAO, longtemps critiquées pour leur approche de « non-ingérence », doivent adopter des positions plus audacieuses contre les coups d’État constitutionnels déguisés en réformes juridiques. La descente du Togo dans l’autocratie n’est pas seulement une tragédie togolaise, c’est une mise en garde pour la région. Elle nous rappelle que la démocratie ne meurt pas seulement par des prises de pouvoir militaires, mais aussi par la manipulation constitutionnelle et le silence politique. Le coût des boycotts électoraux, lorsqu’il n’est pas associé à une résistance soutenue et à des alternatives stratégiques, peut être dévastateur.
Alors que le pays est aux prises avec les conséquences des manifestations et de la répression, une vérité s’impose : lorsque les voix de l’opposition quittent la scène, c’est l’autocratie qui écrit le scénario. Il est temps que la société civile togolaise, la diaspora et les acteurs réformistes se réapproprient le récit et réimaginent les voies du renouveau démocratique.