Introduction
La jeunesse ghanéenne est prise au piège des attentes de la société et de l’instabilité économique. En 2024, le taux de chômage des personnes âgées de 15 à 24 ans a grimpé en flèche pour atteindre plus de 32 %, tandis qu’il était d’environ 22,5 % pour les personnes âgées de 15 à 35 ans (GSS, 2025 ; myjoyonline.com). Ces chiffres ne sont pas le reflet d’un incident temporaire, mais d’un problème structurel persistant sur le marché du travail. L’inflation, le coût de la vie et les pressions exercées par le chômage ont aggravé le stress des jeunes qui s’efforcent de s’assurer des moyens de subsistance significatifs. Les répercussions vont au-delà des CV et des portefeuilles. Les recherches montrent une crise de santé mentale croissante chez les jeunes Ghanéens : dépression, anxiété et toxicomanie sont de plus en plus courantes et sont dues aux difficultés financières, à une éducation perturbée et à un avenir incertain (Research and Grant Institute of Ghana). Les enjeux sont encore plus importants lorsque l’on prend en compte les questions liées à la sécurité. Une récente tragédie lors d’un événement de recrutement à Accra, où six jeunes gens sont morts dans une bousculade lors d’une campagne de recrutement militaire, illustre comment le désespoir, un taux de chômage élevé et des infrastructures inadéquates peuvent converger vers des risques pour la sécurité publique (citinewsroom.com, ghanaweb.com).
Cet article montre que la souffrance économique et psychologique des jeunes ghanéens est un problème de sécurité ainsi qu’une question de politique sociale. La probabilité de troubles sociaux, d’agitation et de déstabilisation augmente à mesure que les attentes stagnent et que le mécontentement s’accroît. Il est donc essentiel de comprendre la position des jeunes à ce carrefour, non seulement pour leur avenir, mais aussi pour celui de la nation.
La jeunesse
Pour de nombreux jeunes Ghanéens, terminer l’école ou obtenir un diplôme symbolisait autrefois une voie vers l’indépendance et la stabilité. Aujourd’hui, cependant, cette voie semble de plus en plus obstruée, laissant de nombreux diplômés avec des certificats et sans voie claire vers un emploi significatif. La pression économique est aggravée par le sous-emploi et le travail informel, ainsi que par un marché du travail qui peine à accueillir les nouveaux arrivants sur le marché du travail (theghanareport.com). Selon le service statistique du Ghana, le taux de NEET (Not in Employment, Education or Training) est passé à 25,8 % pour les 15-24 ans et à 22,4 % pour les 15-35 ans (GSS, 2025). Ces tendances sapent les aspirations des jeunes, entraînant des retards dans l’accession à la propriété et les mariages, et limitant la capacité à se construire un avenir stable. Par conséquent, au lieu de progresser, de nombreux jeunes se retrouvent dans une position de simple survie.
Cette perte d’ambition a des effets psychologiques importants. Une étude menée par Amissah et Nyarko (2017) sur les jeunes du Grand Accra a révélé des niveaux plus élevés de dépression, de désespoir et de pensées suicidaires chez les chômeurs âgés de 18 à 35 ans que chez les personnes ayant un emploi. La durée du chômage était un facteur prédictif important de la dégradation de la santé mentale. En outre, une étude plus large a montré que la détresse psychologique modérée à sévère était fortement liée au chômage, la détresse sévère augmentant de plus de 12 fois la probabilité d’être au chômage pour les hommes. Cela renforce le lien entre le ralentissement économique et la tension mentale, ce qui crée un cercle vicieux qui réduit les perspectives d’emploi des jeunes. Ce cercle vicieux affecte les individus et a des répercussions sociales, car les rêves différés des jeunes entraînent des problèmes psychologiques qui entravent l’engagement communautaire et le capital social (William et al., 2024). Le sentiment d’isolement et d’incertitude chez les jeunes suscite des inquiétudes quant à la stabilité sociale et à l’espoir générationnel, ce qui, en fin de compte, met la nation en danger.
Les incidents comme signes d’alerte
L’altercation à la gare routière d’Aayalolo et les récentes tragédies au stade El-Wak sont les symptômes d’une crise plus large qui montre comment les problèmes systémiques de gouvernance, combinés au désespoir économique des jeunes, peuvent se transformer en risques majeurs pour la sécurité.
Le 10 novembre 2025, la tension est montée d’un cran au terminal de Kinbu du système Aayalolo Bus Rapid Transit (BRT) à Accra. Selon certaines informations, un groupe prétendument lié à des personnalités politiques et à l’Assemblée métropolitaine d’Accra (AMA) a pris le contrôle de plusieurs zones du terminal, les transformant en parkings et en zones de déchargement de marchandises (ghanaweb.com, modernghana.com). Lorsque le personnel de la sécurité nationale a tenté d’intervenir, les occupants ont résisté. Leur cri de ralliement ? « Nous sommes des fêtards et nous avons besoin de manger ». Cette phrase exprime à la fois le désespoir économique (« nous avons besoin de manger ») et une dimension politique (« les fêtards »), suggérant que leurs actions ne visent pas seulement à survivre, mais aussi à revendiquer le pouvoir et les ressources. Depuis, la prise de contrôle a entraîné des problèmes de sécurité publique et de fonctionnement, notamment l’afflux de camions de marchandises, l’infiltration de toxicomanes et de petits délinquants, ainsi que l’effondrement de l’ordre et de la salubrité. Pendant ce temps, les services de transport sont perturbés, affectant des milliers de personnes qui dépendent des bus Aayalolo à Accra (ghanaweb.com, modernghana.com). Cet incident est inquiétant. Tout d’abord, lorsque l’infrastructure des transports publics est prise en charge et exploitée à des fins lucratives sans responsabilité, cela indique une défaillance de la réglementation et de la gouvernance. Deuxièmement, l’audace et la désillusion des jeunes qui ont pris le contrôle de l’infrastructure sont le signe d’une génération prête à affronter l’autorité de plein fouet en proclamant audacieusement son opposition au pouvoir de l’État. Cela montre que le désespoir économique ne se limite plus à une frustration personnelle, mais qu’il déborde sur un conflit politique.
D’autre part, lors d’un exercice de recrutement pour les forces armées ghanéennes le 12 novembre 2025, un groupe important de jeunes Ghanéens a afflué au stade El-Wak à Accra. Tragiquement, une bousculade a provoqué la mort de six personnes et plusieurs autres ont été blessées (pulse.com.gh). Selon les forces armées ghanéennes, la bousculade a été déclenchée par « un afflux inattendu de candidats qui ont violé les protocoles de sécurité » alors qu’ils tentaient de franchir les portes. Les forces armées ghanéennes ont confirmé que 28 personnes ont été transportées d’urgence à l’hôpital militaire 37 ; six ont été déclarées mortes, cinq sont en soins intensifs et d’autres sont toujours dans un état critique (apnews.com, ghanaweekend.com). Selon des témoins oculaires et des déclarations officielles, la surpopulation et le mauvais contrôle des foules semblent avoir joué un rôle central. Cet afflux s’est produit au cours d’une période de recrutement prolongée où la date limite avait été repoussée d’une semaine en raison de problèmes techniques sur le portail en ligne (pulse.com.gh). Il y avait deux risques : le risque physique de rassemblements de masse non réglementés augmentant le potentiel de désastre et le risque sociopolitique où les jeunes considèrent l’armée comme le seul emploi viable, ce qui fausse le recrutement, met à rude épreuve les institutions chargées de la sécurité et favorise la désillusion si les attentes ne sont pas satisfaites. Pourquoi cela est-il important pour le lien entre la jeunesse et la sécurité ? Parce que l’événement met en lumière la précarité des jeunes chômeurs. Nombreux sont ceux qui s’apprêtent à rejoindre les rangs de l’armée, pas nécessairement par zèle patriotique, mais à la recherche d’un emploi stable dans une économie très incertaine. De tels événements de recrutement attirent souvent les jeunes, précisément parce que les autres possibilités d’emploi sont très limitées, voire inexistantes.
L’effet combiné du désespoir des jeunes et des contraintes institutionnelles laxistes met en évidence des conséquences plus larges pour la sécurité nationale, provoquant l’instabilité. Comme le montrent les circonstances à El-Wak, l’incertitude économique qui incite les jeunes sans emploi à s’enrôler dans l’armée peut mettre à rude épreuve les forces de sécurité et politiser le processus de recrutement, créant ainsi des conditions potentiellement dangereuses. La prise de contrôle du terminal d’Aayalolo crée un précédent dangereux pour d’autres industries en montrant comment des groupes informels ayant des liens politiques peuvent profiter des ouvertures. Le manque de responsabilité et les lacunes persistantes en matière de gouvernance peuvent aliéner les jeunes, éroder leur confiance dans les institutions de l’État et augmenter la possibilité de débordements radicaux ou perturbateurs.
Implications en matière de sécurité
Les difficultés économiques de la jeunesse ghanéenne ont un impact considérable sur la sécurité nationale. Ce qui peut sembler être des problèmes purement sociaux ou économiques est de plus en plus lié à des risques de radicalisation, d’instabilité politique et d’effondrement des institutions. Voici comment l’insécurité économique des jeunes se traduit en menaces pour la sécurité.
Le recrutement d’extrémistes dans les régions septentrionales du Ghana est principalement motivé par le chômage des jeunes, ce qui entraîne des sentiments d’exclusion et de désespoir chez les jeunes. La proximité de zones sahéliennes instables accroît la vulnérabilité, car les groupes extrémistes peuvent exploiter ces conditions par le biais des médias sociaux et des liens communautaires (ghana.un.org). Le PNUD souligne la nécessité d’interventions ciblées, telles que des programmes d’autonomisation des jeunes et de création de moyens de subsistance, pour atténuer les risques de radicalisation.
L’instabilité politique et la violence électorale sont souvent aggravées par l’implication de jeunes chômeurs ou sous-employés pendant les élections. Les recherches menées par le PNUD indiquent que ces jeunes peuvent être mobilisés par des acteurs politiques, ce qui entraîne des actes de violence tels que des actes de voyoucratie et de vandalisme. Le sentiment d’exclusion économique et la méfiance institutionnelle des jeunes désillusionnés peuvent être exploités, les rendant susceptibles d’être manipulés par des groupes visant à perturber les processus politiques. En outre, la faiblesse des réponses institutionnelles et les problèmes de gouvernance augmentent encore la probabilité d’un engagement politique agressif de la part des jeunes privés de leurs droits (theghanareport.com).
Les risques à long terme pour la sécurité nationale sont transparents du fait de l’explosion de la jeunesse, où de vastes populations de jeunes économiquement marginalisés, décrites comme une « bombe à retardement pour la sécurité », peuvent conduire à des troubles sociaux et au recrutement dans des groupes violents (Scheible, 2024). Dans une étude réalisée dans la municipalité d’Effutu au Ghana, le chômage des jeunes est associé à des menaces pour la sécurité humaine, avec des problèmes de sécurité et d’inclusion sociale (Amoah, 2022). Les leaders civiques avertissent que ce chômage constitue une menace pour la sécurité nationale, susceptible de déboucher sur l’autodéfense politique et l’instabilité si rien n’est fait pour y remédier.
Conclusion
Alors que les pressions économiques et sociales augmentent pour la jeunesse ghanéenne et ouest-africaine, des mesures doivent être prises pour éviter que ces frustrations ne se transforment en menaces à long terme pour la sécurité. Ces mesures doivent être pratiques, axées sur les jeunes et tournées vers l’avenir.
Pour commencer, l’autonomisation économique doit être intentionnelle et non symbolique. Cela signifie qu’il faut développer les apprentissages, les programmes de compétences numériques, la formation technique et le soutien à l’entrepreneuriat communautaire. Lorsque les jeunes voient des parcours professionnels viables, le désespoir cède la place à la motivation.
En outre, les institutions chargées de la gouvernance et de la sécurité doivent rétablir la confiance avec les jeunes grâce à la transparence, à des processus de recrutement équitables et à une participation significative. Les jeunes doivent être des partenaires du développement national, et non des observateurs passifs ou des fantassins politiques.
En outre, le soutien à la santé mentale doit être généralisé. La dépression, l’anxiété et le désespoir ne sont plus des problèmes cachés ; ils influencent le comportement, les choix et la résilience. Les institutions religieuses telles que les églises et les mosquées, les centres de jeunesse et les lieux de travail doivent devenir des espaces sûrs où il est normal, abordable et accessible de chercher de l’aide.
Ensuite, l’engagement des jeunes doit être repensé. Du leadership communautaire à l’innovation technologique, la prochaine génération qui en est capable doit se voir attribuer de véritables sièges à la table, non seulement en tant que bénéficiaires, mais aussi en tant que co-architectes de l’avenir du Ghana.
En conclusion, ce moment appelle à une responsabilité collective. Le gouvernement doit créer des opportunités équitables et protéger les espaces publics ; les institutions doivent rétablir la confiance ; et la société doit traiter les préoccupations des jeunes comme des priorités nationales urgentes. Dans le même temps, les jeunes doivent continuer à faire entendre leur voix, à rechercher des compétences, à se soutenir les uns les autres et à garder espoir, même en des temps incertains.
La voie à suivre n’est pas facile, mais elle est possible. Avec les bons investissements, la compassion et le leadership, le Ghana peut progresser. La jeunesse n’est pas un risque à gérer, c’est une ressource à responsabiliser. Agir maintenant, c’est s’assurer que cette génération devienne le fondement d’une nation plus sûre, plus forte et plus stable.
Références
‘Nous avons besoin de manger’ – Des partisans présumés ‘combattent’ la sécurité nationale à la gare routière d’Aayalolo. ghanaweb.com.https://www.ghanaweb.com/GhanaHomePage/NewsArchive/We-need-to-eat-Alleged-party-boys-fights-National-Security-at-Aayalolo-bus-terminal-2008899
Le patron d’Aayalolo évite la grève sur le tas après que les chauffeurs aient été agressés par l’entourage du patron d’AMA. modernghana.com.https://www.modernghana.com/news/1447872/aayalolo-boss-averts-sit-down-strike-after-drivers.html
Amissah, C. M. et Nyarko, K. (2017). Effets psychologiques du chômage des jeunes au Ghana. Journal of Social Sciences, 13(1), 64-77.
Amoah, C. I. (2022). Youth unemployment and human security in Ghana A study of the Effutu Municipality (Thèse de doctorat, Université de l’éducation, Winneba).
Aryee, H. Le taux de chômage du Ghana baisse légèrement, le chômage des jeunes reste élevé – GSS. myjoyonline.com.https://www.myjoyonline.com/ghanas-unemployment-rate-drops-slightly-youth-joblessness-remains-high-gss/
Canavan, M. E., Sipsma, H. L., Adhvaryu, A., Ofori-Atta, A., Jack, H., Udry, C., … & Bradley, E. H. (2013). Psychological distress in Ghana : associations with employment and lost productivity (Détresse psychologique au Ghana : associations avec l’emploi et la perte de productivité). International Journal of Mental Health Systems, 7(1), 9.
GHANA ANNUAL HOUSEHOLD INCOME AND EXPENDITURE SURVEY Quarterly Labour Statistics . https://statsghana.gov.gh/gssmain/fileUpload/pressrelease/Labour%20Statistics%20Bulletin%20(2025%20July%20Edition).pdf
https://apnews.com/article/ghana-stampede-military-recruitment-ffea0f78cdbc5f9e82dfb980b25f1a92
Nyagamago, M. GAF confirms 6 potential recruits dead in stampede at El-Wak Stadium during military recruitment. pulse.com.gh. https://www.pulse.com.gh/articles/news/gaf-confirms-6-potential-recruits-dead-in-stampede-at-el-wak-stadium-during-military-recruitment-2025111211334599545
Quaicoe, S. Tragédie du recrutement militaire : 6 morts, 5 en soins intensifs, 12 dans un état critique -GAF. ghanaweekend.com. https://ghanaweekend. com/2025/11/12/six-dead-five-in-icu-12-in-critical-conditions-ghana-armed-forces-confirms/
William, D., Panin Kwame Baah, O., Eddy Mary, T., Selasi, A., & Emmanuel, B. . (2024). Investigating the Role of Unemployment on Relationship Breakdown Among the Unemployed Ghanaian Youth (Enquête sur le rôle du chômage dans la rupture des relations entre les jeunes chômeurs ghanéens). International Journal of Social Science, Education, Communication and Economics, 3(5), 1367-1376. https://doi.org/10.54443/sj.v3i5.422
Santé mentale des jeunes au Ghana . regig.org. 13 novembre 2025. https://regig.org/youth-mental-health-in-ghana-2/




























