Introduction
La dynamique en Afrique de l’Ouest a changé au cours des deux dernières années, la région étant confrontée à une vague croissante de coups d’État militaires, en particulier au Burkina Faso, au Mali et au Niger. Les coups d’État militaires dans ces pays, dans un contexte d’insécurité croissante, ont ébranlé les fondements mêmes de la démocratie et de la gouvernance dans la région. Les gouvernements démocratiquement élus de ces pays ont été renversés par des juntes militaires, apparemment pour n’avoir pas su gérer efficacement les insurrections djihadistes et l’instabilité à l’intérieur de leurs frontières. Le Ghana a déjà été un fervent défenseur de la démocratisation et a joué un rôle déterminant dans la tentative de rétablissement de l’ordre constitutionnel dans la sous-région, surtout après le récent coup d’État au Niger, tout en équilibrant la diplomatie régionale face à la montée des tensions.
La visite surprenante du capitaine Ibrahim Touré, chef militaire du Burkina Faso, au Ghana pour l’investiture du président John Dramani Mahama en janvier 2025 a ajouté un nouveau chapitre au récit politique de l’Afrique de l’Ouest. Cet événement, tout en symbolisant un dégel potentiel des relations entre le Ghana et le Burkina Faso, offre également un aperçu plus approfondi des implications plus larges pour les relations régionales, le rôle de la CEDEAO et les changements d’alliances face aux régimes militaires. Le scénario géopolitique au Sahel, associé à l’implication centrale du Ghana dans les plans d’intervention de la CEDEAO au Niger, a encore compliqué le terrain politique, en particulier à la lumière de la formation de l’Alliance des États du Sahel (AES) par le Burkina Faso, le Mali et le Niger.
Coups d’État militaires en Afrique de l’Ouest : Une région en crise
La vague de coups d’État militaires en Afrique de l’Ouest a commencé pour de bon avec le coup d’État de 2020 au Mali, lorsque le colonel Assimi Goita a renversé le président élu, Ibrahim Boubacar Keïta. Le coup d’État a été motivé par le mécontentement général de la population face à l’incapacité de M. Keïta à faire face à l’escalade des insurrections islamistes et des troubles internes. Malgré la condamnation initiale, le gouvernement de Goita a pu consolider le pouvoir, et la junte malienne a déclaré son intention de s’attaquer aux problèmes de sécurité par tous les moyens nécessaires. Cette instabilité s’est étendue au Burkina Faso où, en janvier 2022, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba a mené un coup d’État contre le président Roch Marc Christian Kaboré, invoquant l’incapacité du gouvernement à protéger le pays des attaques djihadistes. Le règne de Damiba a toutefois duré moins d’un an, puisque le capitaine Ibrahim Touré a orchestré un autre coup d’État en septembre 2022. Le coup d’État de Touré, comme les précédents, a été justifié par l’incapacité du gouvernement à lutter efficacement contre la montée de l’extrémisme dans les régions du nord du pays.
En 2023, le Niger est également tombé aux mains d’une junte militaire, le colonel Abdourahamane Tiani ayant évincé le président élu, Mohamed Bazoum. Il s’agit du troisième coup d’État dans la région en l’espace de trois ans seulement, ce qui fragilise encore davantage les structures démocratiques en Afrique de l’Ouest. Les crises politiques dans ces pays se sont reflétées dans un sentiment croissant de désillusion à l’égard de la CEDEAO, l’organisation régionale chargée d’assurer la stabilité politique et la sécurité.
La réponse de la CEDEAO : Plans d’intervention et tensions avec l’AES
Dans le sillage du coup d’État au Niger, sous la direction du président ghanéen Nana Akufo-Addo, la CEDEAO sous-régionale a tenté de rétablir l’ordre démocratique et a même menacé d’intervenir militairement. La position de la CEDEAO est claire : elle ne peut tolérer aucun déraillement de la gouvernance démocratique dans la sous-région. L’organisation sous-régionale a pris des sanctions à l’encontre de la junte et a exigé la libération immédiate du président Bazoum, actuellement assigné à résidence. Mais par rapport à ces événements, la contribution du Ghana à la réaction de la CEDEAO a été très importante, étant donné que ce pays a considéré l’intervention militaire comme faisant partie du plan de restauration du président élu.
La position du Ghana au sein de la CEDEAO a été quelque peu controversée, car la menace d’une intervention militaire au Niger a suscité des inquiétudes parmi les pays voisins, en particulier ceux qui étaient déjà sous un régime militaire, à savoir le Mali et le Burkina Faso. La possibilité d’une intervention militaire au Niger sous l’égide de la CEDEAO a suscité une vive réaction de la part du Mali et du Burkina Faso, qui étaient unis dans leur opposition à toute ingérence extérieure dans les affaires intérieures de la région. Les deux pays, sous régime militaire, ont fait face à des défis similaires et ont exprimé leur solidarité avec la junte au Niger, percevant l’intervention de la CEDEAO comme une violation de la souveraineté nationale et des droits des gouvernements militaires à l’autodétermination.
En réponse à l’escalade des tensions sur la possibilité d’une intervention, le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont formé l’Alliance des États du Sahel (AES) à la fin de l’année 2023. L’AES était une contre-mesure directe à la position de la CEDEAO et visait à créer une défense collective et un cadre politique pour les pays confrontés à des défis similaires. L’alliance visait à garantir que toute invasion dans l’un de ses États membres, en particulier le Niger, ferait l’objet d’une réponse uniforme et militaire dans la région. La création de l’AES a mis en évidence la fragmentation de la coopération régionale, les pays précédemment dirigés par des juntes militaires cherchant à neutraliser l’influence et les politiques interventionnistes de la CEDEAO.
Le rôle de la Russie et les changements géopolitiques
L’implication croissante de la Russie dans le Sahel a également été un facteur aggravant. En durcissant sa position contre les coups d’État militaires, la CEDEAO a vu le Burkina Faso, le Mali et le Niger se tourner de plus en plus vers la Russie comme partenaire dans la lutte contre le terrorisme et l’instabilité. L’influence de la Russie dans ces pays se manifeste par la présence du groupe Wagner, une société militaire privée liée au gouvernement russe. Plus récemment, le Burkina Faso a été accusé d’engager des mercenaires russes pour soutenir sa lutte contre les insurgés. Cette évolution a constitué un défi direct à l’architecture de sécurité occidentale traditionnelle dans la région, mettant encore plus à rude épreuve les relations du Burkina Faso avec la CEDEAO et le Ghana.
Dans un discours prononcé lors du sommet des dirigeants américano-africains en décembre 2023, le président Akufo-Addo du Ghana s’est inquiété de la présence croissante de la Russie au Sahel, en particulier au Burkina Faso, accusant le pays d’inviter des mercenaires russes. Cette accusation a renforcé les tensions entre le Ghana et le Burkina Faso, la souveraineté et l’influence étrangère devenant les principaux points de discorde. Le déploiement de mercenaires russes a été perçu comme un défi direct à l’autorité de la CEDEAO et aux relations historiques de l’Afrique de l’Ouest avec la France et d’autres puissances occidentales. Le Ghana, qui avait traditionnellement entretenu des liens diplomatiques forts avec les nations occidentales, en particulier les États-Unis et la France, s’est retrouvé dans une position délicate, conciliant ses engagements envers la CEDEAO avec les réalités des changements d’alliances dans la région.
Lors de la Conférence sur la sécurité de la CEAI en novembre 2024, l’ambassadrice Olivia du Burkina Faso a plaidé pour que la CEDEAO se réconcilie avec l’AES, soulignant que les progrès régionaux ne pouvaient être réalisés que si toutes les parties travaillaient ensemble. Elle a appelé à un changement d’approche de la sécurité régionale, qui inclurait les intérêts des pays du Sahel et reconnaîtrait les liens croissants de la région avec des puissances non occidentales comme la Russie.
L’appel de l’ambassadeur Olivia reflétait une frustration plus large au sein du Burkina Faso et de ses alliés de l’AES, qui estimaient que la CEDEAO était trop axée sur la préservation du statu quo et l’adhésion aux principes démocratiques, sans tenir compte des défis sécuritaires sous-jacents auxquels la région était confrontée. Les insurrections et l’instabilité croissante au Mali, au Burkina Faso et au Niger étaient considérées comme des menaces existentielles, et les juntes militaires de ces pays estimaient qu’elles avaient besoin d’une plus grande autonomie pour s’attaquer à ces problèmes. Les commentaires d’Olivia résonnent avec ceux qui pensent que la CEDEAO doit s’adapter aux réalités politiques changeantes de l’Afrique de l’Ouest et travailler à la mise en place d’un cadre plus inclusif pour la paix et la stabilité.
Visite du capitaine Touré au Ghana : Un symbole de marée changeante
La visite du capitaine Ibrahim Touré au Ghana pour l’investiture du président John Dramani Mahama, le 7 janvier 2025, a été un événement capital dans les changements diplomatiques en cours dans la région. La présence de M. Touré à l’investiture de M. Mahama a symbolisé le potentiel de dégel des relations entre le Ghana et le Burkina Faso, deux pays qui, ces dernières années, se trouvaient de part et d’autre de la ligne de partage régionale. Malgré le contexte politique tendu, l’événement a été largement discuté et célébré par les citoyens des deux pays comme un signe d’espoir pour l’amélioration des relations.
Pour le Ghana, la visite a souligné sa capacité à maintenir des liens diplomatiques avec la CEDEAO et l’AES. Alors que le Ghana joue son rôle dans les plans d’intervention de la CEDEAO au Niger, il est important pour le pays de maintenir des relations solides avec ses voisins, en particulier le Burkina Faso. La visite de M. Touré a également mis en évidence l’importance de la diplomatie personnelle pour surmonter les divisions régionales, ainsi que l’engagement du Ghana à favoriser des relations pacifiques, même avec des nations en désaccord avec les politiques de la CEDEAO.
Cette visite était une bonne occasion pour le Burkina Faso de montrer sa volonté de s’ouvrir au reste de la communauté ouest-africaine, y compris au Ghana. Cela devait être une étape dans le processus de rétablissement de la confiance et de normalisation des relations bilatérales, même si les défis de la gouvernance militaire et des puissances étrangères comme la Russie sont toujours d’actualité.
Implications pour le Ghana
Plusieurs leçons importantes peuvent être tirées des tendances politiques et diplomatiques actuelles en Afrique de l’Ouest :
1. L’engagement diplomatique est important : la capacité du Ghana à s’engager à la fois avec la CEDEAO et l’AES souligne l’importance de la diplomatie dans une région aussi fragmentée. Bien qu’il y ait des tensions avec les pays voisins, l’engagement continu a aidé le Ghana à occuper une position très stratégique dans l’intérêt du dialogue et de la stabilité dans la région.
2. La nécessité de l’unité régionale : Malgré la fragmentation croissante au sein de la CEDEAO et la formation de l’AES, la position du Ghana devrait mettre l’accent sur la nécessité de l’unité régionale. Dans une région confrontée au terrorisme, aux coups d’État et à l’instabilité, il est nécessaire que tous les pays d’Afrique de l’Ouest travaillent ensemble sur des questions de sécurité communes, même s’ils ont des divergences politiques.
4. Gérer l’influence extérieure : Avec l’augmentation de l’influence de la Russie dans la région, le Ghana doit gérer ses relations extérieures avec beaucoup de prudence, en équilibrant les alliances déjà établies avec les nations occidentales et les dynamiques géopolitiques changeantes dans le Sahel. Cela pourrait nécessiter une réévaluation de son attitude à l’égard des politiques interventionnistes de la CEDEAO, tout en maintenant sa souveraineté nationale.
Conclusion
Le rôle du Ghana en tant que médiateur et facteur de stabilisation en Afrique de l’Ouest est crucial. Cependant, avec l’évolution du paysage politique, il est essentiel que le pays prenne l’initiative de mettre en place des mesures de confiance entre toutes les parties prenantes, y compris les juntes militaires, afin de rendre l’Afrique de l’Ouest plus stable et plus sûre. Ce nouveau développement en Afrique de l’Ouest nécessite une attention particulière à la dynamique politique régionale, aux questions de sécurité et aux stratégies diplomatiques. Les relations entre le Ghana et le Burkina Faso, et la réponse régionale en général aux coups d’État militaires et aux pressions extérieures, détermineront dans une large mesure la trajectoire future du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest dans son ensemble.