Introduction
La recherche d’une gouvernance efficace en Afrique a toujours été un voyage complexe marqué par la richesse de ses systèmes historiques, l’impact du colonialisme et l’évolution des idéologies politiques. La fascination de nombreux jeunes Africains pour des personnalités telles que Thomas Sankara et Ibrahim Traoré s’explique par leurs tentatives audacieuses de s’affranchir des structures de pouvoir traditionnelles et par leur volonté de faire passer les intérêts de la population en premier. Ces dirigeants, comme beaucoup d’autres sur le continent, sont souvent considérés comme des symboles d’espoir et de changement dans un paysage politique marqué par les échecs de la corruption, de la mauvaise gestion économique et de l’influence étrangère. Mais pourquoi l’admiration pour ces dirigeants est-elle si répandue, et quel est le contexte plus profond, souvent négligé, qui sous-tend la quête de leadership de l’Afrique ?
Avant l’arrivée des puissances européennes, l’Afrique n’était pas une terre de tribus désorganisées sans système de gouvernance, comme le suggèrent souvent les récits coloniaux. Au contraire, l’Afrique possédait des systèmes de gouvernance variés et sophistiqués, ancrés dans des valeurs communautaires (Mlambo et al., 2024). Dans de nombreuses sociétés africaines, la gouvernance était communautaire et se caractérisait par un système décentralisé et participatif où la prise de décision se faisait par consensus (Basheka & Auriacombe, 2020). De nombreuses sociétés africaines pratiquaient des formes de gouvernance centralisées, non centralisées ou théocratiques. Les dirigeants étaient souvent sélectionnés sur la base de leur sagesse, de leurs qualités de leadership et de leur respect, et ne détenaient pas toujours le pouvoir absolu. Ils étaient plutôt les gardiens du bien-être de la communauté et devaient agir dans l’intérêt de la collectivité.
Dans ce système, le pouvoir n’était pas concentré entre les mains d’un seul individu, mais partagé par un vaste réseau d’anciens, de conseils et par les populations elles-mêmes. Il ne s’agissait pas d’un modèle unique, car les sociétés africaines ont mis en œuvre différentes formes de gouvernance en fonction de leurs besoins et de leurs valeurs (Basheka 2015 ; Odhiambo 1990). Cependant, l’idée centrale est restée la même : le leadership est une question de responsabilité, de service et de bien-être de la population. Casely Hayford, un nationaliste et intellectuel ghanéen, a bien résumé ce sentiment dans sa déclaration de 1922, à laquelle Walter Rodney s’est référé plus tard dans son ouvrage de 1972 intitulé How Europe Underdeveloped Africa (Comment l’Europe a sous-développé l’Afrique). Hayford a fait remarquer que même avant le contact colonial, l’Afrique avait développé ses propres institutions et systèmes de gouvernance. En substance, l’Afrique n’était pas un continent qui avait besoin d’être « civilisé », comme l’ont prétendu plus tard les puissances coloniales, mais plutôt une terre qui possédait ses propres méthodes de gouvernance et de développement (Gbadamosi, 2003 ; Zeleza, 2006).
L’héritage du colonialisme et les luttes de l’Afrique pour un leadership authentique
L’arrivée des Européens a bouleversé ces systèmes indigènes, les remplaçant par des structures de gouvernance coloniales conçues principalement pour extraire des ressources au profit des Européens (Kaya & Sereti, 2013). En conséquence, de nombreuses sociétés africaines se sont fragmentées, leurs structures de leadership traditionnelles ont été sapées et leurs économies ont été réorientées pour répondre aux besoins des puissances coloniales. Cet héritage colonial a eu des effets durables sur le paysage politique et économique de l’Afrique, avec des systèmes qui favorisent souvent les intérêts extérieurs au détriment du développement interne (Basheka 2015 ; Njoh 2006 ; Odhiambo 1990). Les dirigeants africains ont trouvé différents moyens pour tenter de restaurer et d’améliorer la prospérité de leurs pays au cours de la période postcoloniale. Parmi eux, des chefs militaires tels que Thomas Sankara et Ibrahim Traoré sont devenus les symboles d’un désir de changement. Il s’agit d’une réalisation de ce que de nombreux Africains rêvent que leurs pays soient : autosuffisants, autonomes et libérés de l’influence indue des anciennes puissances coloniales et des intérêts néo-impériaux.
Sankara a été surnommé le « Che Guevara de l’Afrique ». Il est idolâtré pour ses efforts en faveur de l’autonomie et du développement. Il a refusé l’aide étrangère, a encouragé l’autonomisation des femmes et s’est efforcé d’instaurer une société sans classe dans laquelle l’État est au service du peuple (Harsch, 2013). De même, Ibrahim Traoré se bat pour transformer le Burkina Faso en un brillant exemple d’unité et d’autodétermination africaines, ses préoccupations étant axées sur l’indépendance vis-à-vis des puissances étrangères et l’enrichissement des citoyens de la nation. Un leadership charismatique propulsé par un sens de la responsabilité envers son peuple est précisément ce dont beaucoup d’Africains rêvent aujourd’hui : des dirigeants qui placent les intérêts de leur nation au-dessus de leurs intérêts personnels ou de ceux de leurs maîtres étrangers. Ces dirigeants souhaitent faire passer l’intérêt du peuple en premier, rétablir la dignité et veiller à ce que le développement ne soit pas détourné par les intérêts de puissances extérieures.
La démocratie est-elle une valeur africaine ?
L’une des questions centrales de la gouvernance africaine moderne est de savoir si les valeurs démocratiques, telles qu’elles sont comprises dans les contextes occidentaux, trouvent leur place dans les traditions et les cultures africaines. La démocratie, qui met l’accent sur les droits individuels, la représentation et le multipartisme, est considérée comme la meilleure forme de gouvernance au monde. Cependant, l’incapacité de nombreuses démocraties africaines à produire des résultats significatifs en termes de développement soulève des questions quant à leur adéquation avec la situation unique de l’Afrique. Historiquement, les systèmes de gouvernance africains n’étaient pas fondés sur une politique représentative et axée sur les partis, comme c’est le cas en Occident ; ils mettaient plutôt l’accent sur la prise de décision collective, le consensus et le bien de la collectivité (Appiah-Opoku 2005 ; Basheka 2015 ; Rodney, 1972). Pour les nombreux jeunes Africains qui commentent les vidéos d’Ibrahim Traoré sur les médias sociaux, en particulier après son arrivée à l’investiture du président Mahama et les réformes politiques qui ont suivi, la question n’est pas de savoir si la démocratie sous sa forme occidentale fonctionne, mais si elle répond aux besoins matériels du peuple.
La recherche du développement, par opposition à l’allégeance purement idéologique au socialisme ou à la démocratie libérale, est le moteur d’une grande partie du discours politique sur le continent. Des leaders comme Sankara et Traoré sont vénérés non pas parce qu’ils ont adhéré à une idéologie politique spécifique, mais parce qu’ils ont incarné une forme de gouvernance axée sur l’autosuffisance, le bien-être collectif et l’intégrité de leurs nations. Ainsi, la véritable valeur africaine n’est pas liée à une idéologie particulière, mais à un sens plus large de la communauté, de la dignité et de l’indépendance. La démocratie africaine ne consiste pas seulement à voter ou à avoir plusieurs partis politiques ; il s’agit de veiller à ce que les dirigeants soient responsables, transparents et, surtout, dévoués au bien-être de la population.
Leçons pour les dirigeants démocratiques
La recherche d’un leadership authentique sur le continent permet de tirer des enseignements utiles pour les dirigeants démocratiques contemporains en Afrique. Tout d’abord, il faut passer d’un pouvoir axé sur le gain personnel à un pouvoir axé sur le développement collectif. Les dirigeants doivent être désintéressés, charismatiques et visionnaires ; ils doivent être capables d’unifier le peuple pour construire un avenir qui émane de valeurs partagées et d’une croissance durable. Deuxièmement, la politique étrangère ne devrait jamais être élaborée au détriment des intérêts du peuple au profit d’une puissance étrangère. Les dirigeants africains doivent adopter une position ferme en ce qui concerne la souveraineté nationale et l’indépendance économique, en veillant à ce que les partenariats étrangers stimulent le développement et non l’exploitation.
Enfin, les institutions démocratiques devraient être consolidées d’une manière qui reflète l’histoire et la culture particulières de l’Afrique. La démocratie doit être un moyen de développement et non une fin en soi. Il est temps que les dirigeants africains assument la responsabilité de construire des systèmes qui répondent aux besoins de leur peuple, en sachant parfaitement que la véritable démocratie consiste à mettre en place des institutions qui fonctionnent au service du bien commun, et pas seulement à reproduire des modèles étrangers.
Conclusion
L’histoire politique de l’Afrique est faite de résilience, d’adaptation et de recherche d’un modèle de leadership qui honore ses traditions tout en tenant compte des complexités du monde moderne. La fascination des jeunes Africains pour les chefs militaires tels que Thomas Sankara et Ibrahim Traoré découle d’une profonde aspiration au changement et d’un désir d’avoir des dirigeants qui s’engagent pour le développement et le bien-être de leur peuple, indépendamment de l’influence des puissances extérieures. Le véritable système africain de gouvernance, enraciné dans les valeurs communautaires, offre une base solide pour construire un avenir qui privilégie la prospérité collective, l’unité et l’autodétermination. Alors que les nations africaines continuent à tracer leur route, les leçons du passé et la quête permanente d’un leadership responsable devraient guider leur avenir politique.
Références
Appiah-Opoku, S. (2005). Connaissances indigènes et gestion de l’environnement en Afrique. Evidence from Ghana. New York : The Edwin Mellen Press.
Basheka, B. C. et Auriacombe, C.J. (2020). Contextualiser la régénération des systèmes et pratiques de gouvernance et de gestion autochtones en Afrique. Administratio Publica, 28 (3), 223-243.
Basheka, B.C. (2015). L’architecture de la gouvernance de l’Afrique indigène : A Need for African Public Administration Theory ? Journal of Public Administration. 50(3), 466-484.
Gbadamosi, G. (2003). La GRH et la rhétorique de l’engagement : Défis pour l’Afrique. Décision de gestion. 41(3), 274-280.
Harsch, E. (2013). L’héritage de Thomas Sankara : Une expérience révolutionnaire en rétrospective. Revue d’économie politique africaine, 40(137). https://doi.org/10.1080/03056244.2013.816947
Kaya, H.O. et Seleti, Y.N. (2013). African indigenous knowledge systems and relevance of higher education in South Africa (Systèmes de connaissances indigènes africaines et pertinence de l’enseignement supérieur en Afrique du Sud).The International Education Journal : Comparative Perspectives. 12(1), 30-44.
Mlambo, V. H., Masuku, M. M. et Mthembu, Z. (2024). The new scramble for Africa in a post-colonial era and the challenges of inclusive development : a semi-systematic literature review (La nouvelle course à l’Afrique dans une ère post-coloniale et les défis du développement inclusif : une revue de littérature semi-systématique). Development Studies Research, 11(1). https://doi.org/10.1080/21665095.2024.2306387
Njoh, J.A. (2006). Tradition, culture et développement en Afrique : leçons historiques pour la planification du développement moderne. Londres : Ashgate Publishing
Rodney, W. (1972). Comment l’Europe a sous-développé l’Afrique. Verso Books.
Zeleza, P.T. (2006). Les dimensions disciplinaires, interdisciplinaires et globales des études africaines. International Journal of African Renaissance Studies. 1(2), 195-220.