Les défis interconnectés des crises sanitaires, des déplacements massifs, des chocs environnementaux et de la vulnérabilité persistante des populations marginalisées menacent de plus en plus la sécurité humaine en Afrique de l’Ouest. Le concept de « contagion sécuritaire », selon lequel l’instabilité d’une zone se propage rapidement à d’autres, est devenu particulièrement pertinent alors que la région est confrontée à des chocs nouveaux et récurrents. Cet article analyse la manière dont ces dynamiques compromettent la sécurité humaine, en s’appuyant sur des événements récents et des données provenant d’Afrique de l’Ouest pour souligner l’urgence de réponses intégrées, centrées sur les personnes et sensibles au climat, alignées sur les objectifs de développement durable (ODD).
Les menaces qui pèsent sur la sécurité humaine en Afrique de l’Ouest compromettent directement les progrès accomplis dans la réalisation des objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies, en particulier l’ODD 3 (bonne santé et bien-être), l’ODD 16 (paix, justice et institutions solides) et l’ODD 1 (pas de pauvreté). Les déplacements prolongés, les systèmes de santé fragiles et les conflits récurrents entravent les efforts visant à réduire les inégalités (ODD 10), à garantir l’accès à une éducation de qualité (ODD 4) et à construire des infrastructures résistantes (ODD 9). Par exemple, l’impossibilité pour les enfants déplacés d’accéder à l’éducation perturbe les opportunités tout au long de la vie et érode la résilience des communautés, tandis que les systèmes de santé débordés ne parviennent même pas à fournir des soins de base, ce qui remet en cause des décennies de progrès en matière de développement. Alors que l’Afrique de l’Ouest est aux prises avec des crises qui se chevauchent, la réalisation des ODD nécessite un changement de paradigme en matière de sécurité qui place les besoins et la dignité humaine au centre des réponses politiques régionales et nationales.

La sécurité sanitaire sous pression
La sécurité sanitaire en Afrique de l’Ouest est souvent compromise par des épidémies de maladies infectieuses et des faiblesses systémiques dans les infrastructures de santé publique. En 2023, des pays comme le Nigeria, la Guinée, le Ghana, le Liberia, le Niger et le Mali ont connu d’importantes épidémies de fièvre jaune, de fièvre de Lassa, de choléra, de méningite et de rougeole, mettant en danger des millions de personnes et submergeant des systèmes de santé déjà fragiles (ReliefWeb, 2023). La pandémie de COVID-19 a encore mis en évidence les vulnérabilités, les recherches menées au Ghana indiquant que les effets de la pandémie allaient au-delà de la santé, affectant la sécurité alimentaire, l’éducation et les moyens de subsistance (International Rescue Committee, 2023).
Ces menaces sanitaires sont aggravées par l’accès limité aux soins de santé, la pénurie de personnel médical et la destruction des installations sanitaires dans les zones touchées par les conflits. Par exemple, les attaques contre les infrastructures de santé dans le nord du Nigeria et au Sahel ont perturbé les campagnes de vaccination et les services de santé de base, augmentant le risque de décès évitables (Human Rights Watch, 2025). La malnutrition et les maladies infectieuses, en particulier chez les enfants de moins de cinq ans, restent les principales causes de mortalité dans les communautés déplacées, comme le montrent les récentes études de surveillance de la mortalité dans les contextes humanitaires.
Sécurité climatique : Un catalyseur silencieux
Les événements liés au climat, tels que les sécheresses, les inondations et la désertification, jouent de plus en plus un rôle de catalyseur des déplacements et de l’insécurité dans la région. Les inondations de 2023 en Afrique de l’Ouest ont touché plus de 1,3 million de personnes, déplacé des dizaines de milliers de personnes et détruit les moyens de subsistance, en particulier dans les zones rurales déjà confrontées à l’insécurité alimentaire et à la faiblesse des infrastructures (International Rescue Committee, 2023). Par ailleurs, l’élévation du niveau des mers, les précipitations irrégulières et l’évolution des saisons agricoles intensifient la concurrence pour les ressources et mettent à rude épreuve les capacités de l’État, ce qui alimente les conflits existants.
Déplacement : Ampleur et impact
Les déplacements en Afrique de l’Ouest ont atteint des niveaux sans précédent. En 2024, on estime à 13,6 millions le nombre de personnes déplacées de force en Afrique de l’Ouest et du Centre, dont 8,4 millions à l’intérieur du pays en raison des conflits, de l’instabilité politique, des chocs climatiques et de la dégradation de l’environnement (Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, 2023). Les conflits de longue date dans le bassin du lac Tchad, les nouvelles crises au Soudan et l’escalade de la violence au Burkina Faso, au Mali et au Niger ont forcé des millions de personnes à quitter leur foyer, souvent pour se réfugier dans des pays voisins ou dans des camps surpeuplés aux ressources limitées.
Les déplacements créent une cascade de problèmes de sécurité humaine. Les personnes déplacées et les réfugiés n’ont souvent pas accès à l’eau potable, à l’assainissement, aux soins de santé et à l’éducation. La surpopulation dans les camps augmente le risque de transmission de maladies, tandis que l’insécurité alimentaire et la malnutrition sont très répandues, en particulier chez les enfants et les femmes enceintes. Les populations déplacées sont également exposées à un risque accru d’exploitation, de violence sexiste et de recrutement par des groupes armés, ce qui aggrave encore leur vulnérabilité (Human Rights Watch, 2025).
Populations vulnérables : En marge de la société
Certains groupes sont affectés de manière disproportionnée par la convergence des crises sanitaires, du changement climatique et des déplacements. Les femmes, les enfants, les personnes âgées et les personnes handicapées sont confrontés à des risques accrus en raison de leur accès limité aux ressources et à la protection sociale (Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, 2023). Dans les zones touchées par les conflits, les femmes et les filles sont particulièrement vulnérables aux violences sexuelles et sexistes, tandis que les enfants risquent d « être recrutés par des groupes armés ou d » être tenus à l « écart de l » école (Human Rights Watch, 2025).
La destruction des infrastructures et l’effondrement des services sociaux ont un impact disproportionné sur les communautés rurales et marginalisées. Les chocs induits par le climat, tels que les inondations ou la sécheresse, exacerbent les risques de déplacement et de santé. Les interventions politiques doivent donner la priorité aux réponses sexospécifiques, telles que les centres de lutte contre la violence liée au sexe axés sur les survivants, les espaces communautaires sûrs pour les femmes et l’accès aux soins de santé génésique.
Contagion de la sécurité : L’interconnexion des menaces
Le phénomène de contagion sécuritaire est évident dans la façon dont la violence, la maladie, le stress environnemental et le déplacement se renforcent mutuellement en Afrique de l’Ouest. Les conflits armés ne causent pas seulement des dommages directs, mais perturbent également les services de santé, l’éducation et l’activité économique, créant ainsi un terrain fertile pour les épidémies et les nouveaux déplacements (Amani Africa, 2024). Par exemple, l’escalade de la violence au Sahel a entraîné une augmentation de 40 % des attaques au Bénin et au Togo au début de l’année 2024, tandis que les attaques dans le bassin du lac Tchad ont augmenté de 15 %, entraînant une hausse de 92 % des victimes civiles en quelques mois seulement (Human Rights Watch, 2025).
La porosité des frontières facilite les mouvements transfrontaliers des groupes armés et des populations déplacées, ce qui rend la coopération régionale essentielle. L’instabilité politique et la faiblesse de la gouvernance exacerbent ces problèmes, les organismes régionaux et internationaux ayant du mal à faire rendre des comptes aux auteurs de ces actes ou à fournir une aide humanitaire adéquate. La destruction des infrastructures, les enlèvements et les attaques ciblées contre les civils ont laissé des millions de personnes sans protection ni services de base, alimentant des cycles d’insécurité et de vulnérabilité (Amani Africa, 2024).
Exemples d’Afrique de l’Ouest
- Burkina Faso, Mali et Niger: L’insécurité et le conflit en 2024 ont déplacé des centaines de milliers de personnes, dont beaucoup ont fui vers des pays côtiers comme le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Togo. Les familles déplacées arrivent souvent avec peu de biens et peu d’accès aux services, ce qui accroît la pression sur des ressources locales déjà limitées (HCR, 2023).
- Nigeria: En 2023, des épidémies simultanées de diphtérie, de choléra et de méningite ont touché des millions de personnes et mis en évidence l’intersection des menaces sanitaires et sécuritaires. Les violences en cours dans le nord-est du pays ont entraîné le déplacement de millions de personnes, perturbé les campagnes de vaccination et laissé de nombreuses personnes sans accès aux soins de santé de base (ReliefWeb, 2023).
- Bassin du lac Tchad: Un point chaud pour le terrorisme et les déplacements, avec des attaques augmentant de 15% et des victimes civiles presque doublées en 2024. Les besoins humanitaires ont dépassé les ressources disponibles et les populations déplacées sont confrontées à une insécurité alimentaire aiguë et à des risques sanitaires (WANEP, 2023).
Résilience locale et réponses politiques régionales
Les efforts visant à relever ces défis interdépendants évoluent. La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a mis au point un indice de sécurité humaine pour surveiller les vulnérabilités et guider les interventions politiques dans les domaines de la santé, de l’environnement, de la sécurité et de la gouvernance (CEDEAO, 2024). Ce cadre vise à fournir des informations fondées sur des données en vue d’une action ciblée et d’une meilleure coordination entre les gouvernements, la société civile et les partenaires internationaux.
Les acteurs communautaires jouent également un rôle essentiel. Dans les régions où les capacités de l’État sont faibles, les ONG locales, les chefs religieux et les groupes de femmes fournissent souvent des services essentiels, jouent un rôle de médiateur dans les conflits et soutiennent les survivants de la violence. Leur participation à la conception et à la mise en œuvre des interventions peut renforcer la confiance et garantir des réponses culturellement appropriées.
Toutefois, des lacunes importantes subsistent en ce qui concerne la protection des civils, l’obligation de rendre compte des violations des droits de l’homme et la fourniture de l’aide humanitaire. Il est essentiel de renforcer les systèmes d’alerte précoce, d’investir dans des infrastructures de santé résistantes au climat et de donner la priorité aux besoins des populations déplacées et vulnérables pour rompre le cycle de contagion sécuritaire et instaurer une sécurité humaine à long terme dans la région.
Conclusion
La sécurité humaine en Afrique de l’Ouest est mise à rude épreuve par les menaces interconnectées des crises sanitaires, des déplacements, des chocs environnementaux et de la marginalisation des groupes vulnérables. Le phénomène de contagion de la sécurité souligne la nécessité d’adopter des approches holistiques et intégrées qui s’attaquent aux causes profondes de l’insécurité tout en renforçant la résilience. Les solutions doivent donner la priorité à la protection des individus en investissant dans les systèmes de santé, les services sensibles au genre, l’adaptation au climat et la coordination régionale. Les événements récents survenus dans la région soulignent l’urgence d’une action concertée des gouvernements, de la société civile et des partenaires internationaux pour préserver la sécurité humaine et faire progresser les ODD.
Références
Amani Africa. (2024). L’Afrique dans une nouvelle ère d’insécurité et d’instabilité : L’examen 2024 du Conseil de paix et de sécurité.
CEDEAO. (2024). La CEDEAO révise l’indice de sécurité humaine pour relever les défis de la sécurité et du développement en Afrique de l’Ouest.
Frontières de la santé publique. (2025). Surveillance communautaire de la mortalité chez les personnes déplacées à l’intérieur du pays à Banadir, en Somalie.
Human Rights Watch. (2025). Afrique de l’Ouest : Les civils ne sont pas protégés dans les conflits.
Comité international de secours. (2023). Afrique de l’Ouest – Rapport d’urgence 2023.
ReliefWeb. (2023). Afrique de l’Ouest et du Centre : Santé – Rapports.
Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. (2023). Afrique de l’Ouest et du Centre – Aperçu régional.
WANEP. (2023). Perspectives d’alerte précoce pour l’Afrique de l’Ouest 2023.