Introduction
Les campagnes de désinformation – définies comme la diffusion délibérée de fausses informations dans le but de manipuler, d’induire en erreur ou de déstabiliser – ont touché toutes les régions d’Afrique, avec au moins 39 pays ciblés (African Center for Strategic Studies, 2024). Ces campagnes se sont concentrées : en 2024, 20 pays africains ont été confrontés à trois incidents ou plus, contre seulement sept en 2022. Les pays en conflit sont les plus durement touchés, avec en moyenne cinq opérations de désinformation chacun, impliquant souvent des acteurs multiples et parfois contradictoires (ACSS, 2024).
Acteurs étrangers
Près de 60 % de ces campagnes sont parrainées par des puissances étrangères, notamment la Russie, la Chine, les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite et le Qatar. La Russie est l’acteur le plus important, responsable de 80 campagnes documentées dans 22 pays africains, représentant près de 40 % de la désinformation sur le continent (ACSS, 2024). Ces campagnes diffusent souvent des contenus anti-occidentaux et antidémocratiques par le biais de réseaux coordonnés de faux comptes et de médias manipulés.
Les périodes électorales sont particulièrement visées. Par exemple, le groupe israélien « Team Jorge » aurait interféré dans plus de 20 élections africaines depuis 2015 (The Guardian, 2023). Des acteurs nationaux y ont également contribué, notamment lors des récentes élections au Kenya et au Nigéria (BBC, 2023). Les pays où la durée du mandat présidentiel est limitée sont moins souvent ciblés, ce qui suggère que l’influence autoritaire est un motif clé.
La presse, qui constitue une contre-mesure essentielle contre la désinformation, s’affaiblit sous l’effet de la répression. Les lois visant ostensiblement à lutter contre les faussetés numériques sont utilisées pour réduire au silence les journalistes et les militants (Freedom House, 2023).
Il existe actuellement 23 campagnes de désinformation à l’échelle du continent – principalement liées aux intérêts russes et chinois – qui propagent des récits anti-ONU, anti-occidentaux, pro-coup d’État et négationnistes sur le climat (ACSS, 2024). La Russie est la plus active, avec 16 campagnes transnationales orchestrées par ses ambassades, ses groupes mandataires et le Russian Africa Corps, créé après la mort du fondateur du groupe Wagner, Evgeniy Prigozhin, en 2023 (France 24, 2023).
Répartition par région
- Afrique de l’Ouest (72 campagnes) : La région la plus ciblée, en particulier le Mali, le Burkina Faso et le Niger, où les réseaux russes, les juntes militaires et les groupes islamistes sont profondément impliqués.
- Afrique de l’Est (33 campagnes) : Désinformation nationale importante, en particulier au Soudan et au Kenya. Les forces armées soudanaises et les forces de sécurité soudanaises inondent les médias d’affirmations contradictoires, tandis que des groupes extrémistes comme Al Shabaab exploitent les récits à des fins de radicalisation.
- Afrique centrale (21 campagnes) : Les missions de maintien de la paix sont des cibles fréquentes. L’influence russe est bien ancrée en RCA et en RDC.
- Afrique australe (25 campagnes) : La Chine domine au Zimbabwe, tandis que la Russie cible l’Afrique du Sud, utilisant la désinformation pour soutenir les régimes en place.
- Afrique du Nord (15 campagnes) : Les efforts russes dominent, en particulier à travers les médias égyptiens et arabes RT, soutenant l’autoritarisme en Libye et en Tunisie.
Cet article se concentre sur les conséquences uniques de la désinformation parrainée par l’étranger au Sahel.
Désinformation et instabilité au Sahel
La région du Sahel – en particulier le Mali, le Burkina Faso et le Niger – est devenue le théâtre non seulement d’un conflit armé, mais aussi d’une guerre narrative. Avec l’escalade des coups d’État et des conflits, la désinformation fonctionne à la fois comme un catalyseur et une conséquence de l’instabilité politique (ACSS, 2024).
L’arme du mensonge
Les campagnes de désinformation au Sahel sont délibérées et sophistiquées. Au Mali et en République centrafricaine (RCA), ces efforts ont coïncidé avec l’arrivée de mercenaires russes, principalement du groupe Wagner. Les campagnes ont faussement accusé les missions de l’ONU comme la MINUSMA et la MINUSCA de collusion avec les terroristes et de vol de ressources (UN News, 2023). Ces récits se sont répandus par le biais de messages coordonnés sur Facebook, de faux documents et d’images trafiquées, amplifiant le ressentiment du public à l’égard de la présence étrangère – en particulier de la France – et encourageant le nationalisme pro-russe (BBC Monitoring, 2023).
La désinformation, catalyseur de coup d’État
Dans les trois récents coups d’État sahéliens – au Mali (2020), au Burkina Faso (2022) et au Niger (2023) – la désinformation a contribué à délégitimer les dirigeants élus. Des réseaux soutenus par la Russie ont cultivé des influenceurs locaux et des pages pour propager des messages qui présentaient la démocratie comme un outil occidental et le régime militaire comme une libération (ACSS, 2024). Au Niger, les activités de désinformation ont augmenté de plus de 6 000 % après le coup d’État, ciblant la CEDEAO et les efforts d’intervention de la France (Al Jazeera, 2023).
Ce déluge d’informations contradictoires a des effets concrets. De nombreux citoyens se retirent complètement du discours public, ne sachant pas quoi ou qui croire.
Réduire au silence les dissidents et rétrécir l’espace civique
Les efforts visant à contrer la désinformation ou à critiquer les récits du gouvernement sont de plus en plus périlleux. L’espace civique en ligne du Mali, autrefois florissant, est devenu répressif. Les blogueurs et les journalistes font désormais l’objet de menaces, de harcèlement en ligne et de poursuites pénales pour s’être exprimés (DoniBlog, 2024). Même les discussions sur la justice sociale, comme celles sur l’esclavage fondé sur l’ascendance ou les droits des femmes, sont rejetées comme une ingérence occidentale, ce qui réduit le discours public et renforce l’autoritarisme (Human Rights Watch, 2023).
Conclusion
Au Sahel, la désinformation est une arme déployée pour justifier les coups d’État militaires, discréditer le maintien de la paix internationale, réprimer la dissidence et réaligner les loyautés régionales. Pour y remédier, il faut plus qu’une simple vérification réactive des faits. Une réponse significative doit inclure des programmes d’éducation aux médias, un soutien institutionnel au journalisme, des garanties pour les libertés civiques et la responsabilisation des puissances étrangères à l’origine de ces opérations.
La désinformation se développe dans les États fragiles. Tant que les causes profondes telles que la pauvreté, l’exclusion et l’insécurité ne seront pas traitées, le Sahel restera vulnérable, non seulement aux balles, mais aussi aux campagnes de désinformation.
Références
- Centre africain d’études stratégiques. (2024). Campagnes de désinformation en Afrique. Extrait de africacenter.org
- BBC. (2023). Disinformation in Nigeria’s and Kenya’s Elections. Extrait de bbc.com
- DoniBlog. (2024). La répression numérique au Mali.
- Freedom House (2023). La liberté sur le net 2023.
- France 24. (2023). La stratégie africaine de la Russie après Prigojine. Extrait de france24.com
- Human Rights Watch. (2023). L’espace civique du Mali se rétrécit.
- Le Guardian. (2023). Team Jorge and Election Meddling in Africa (L’équipe Jorge et l’ingérence dans les élections en Afrique). Tiré de theguardian.com
- Nouvelles de l’ONU. (2023). Les missions de l’ONU ciblées par la désinformation. Extrait de news.un.org
- Al Jazeera. (2023). Coup d’État au Niger et désinformation sur les médias sociaux. Tiré de aljazeera.com