Introduction
La contagion de la sécurité prend des formes très diverses à l’échelle mondiale, allant de la croissance des organisations criminelles transnationales et des réseaux terroristes à la propagation des troubles politiques et des crises économiques. Par exemple, le Printemps arabe montre comment les troubles politiques dans une nation peuvent rapidement s’étendre au-delà des frontières, déclenchant des manifestations et des hostilités dans d’autres États. De même, le caractère mondial de la contagion sécuritaire est mis en évidence par la propagation des opérations terroristes et des croyances extrémistes du Moyen-Orient vers d’autres régions. En raison de cette interdépendance, il est essentiel de bien comprendre la dynamique de la contagion de la sécurité et de mettre en place des contre-mesures internationales coordonnées.
La contagion sécuritaire est un problème majeur dans toute l’Afrique, aggravé par la fragilité des structures étatiques et des frontières, ainsi que par des conditions socio-économiques difficiles. De nombreux cas de conflits et de menaces pour la sécurité se sont propagés d’une nation à des États voisins et ont déstabilisé des régions entières sur le continent. Par exemple, l’insurrection de Boko Haram au Nigeria a eu un impact majeur sur les pays voisins comme le Tchad, le Niger et le Cameroun. De même, l’instabilité s’est étendue à d’autres parties de l’Afrique de l’Ouest en raison des conflits au Sahel, en particulier au Mali et au Burkina Faso.
Il est important de comprendre et d’étudier le concept de contagion de la sécurité pour un certain nombre de raisons. Premièrement, en comprenant la propagation des problèmes de sécurité, les autorités peuvent mettre en place des mesures de prévention et d’atténuation. Les États sont en mesure de renforcer la sécurité globale en mettant en œuvre des mesures ciblées visant à bloquer les voies d’accès aux menaces pour la sécurité. Deuxièmement, pour encourager la coopération et la stabilité régionales, il faut comprendre à quel point les préoccupations en matière de sécurité sont liées. Étant donné que les risques sécuritaires d’un pays peuvent facilement s’étendre à ses voisins, la coopération entre les nations est essentielle pour faire face aux problèmes communs. Troisièmement, prévoir les répercussions sur la sécurité pourrait améliorer la préparation aux urgences humanitaires telles que les déplacements internes et les flux de réfugiés. Une planification efficace permet de déployer rapidement des ressources et de créer des réseaux de soutien à la gestion des crises. Enfin, en assurant une réponse coordonnée aux menaces pour la sécurité, la connaissance de la contagion de la sécurité peut contribuer à l’élaboration de politiques de sécurité plus globales et plus efficaces aux niveaux national et régional.
Le terme « contagion de la sécurité » renvoie à l’idée que les menaces pour la sécurité, telles que la criminalité organisée, le terrorisme et les troubles civils, peuvent se déplacer d’une région à l’autre. Dans un monde de plus en plus interconnecté, où la déstabilisation d’un État peut avoir des ramifications considérables pour la sécurité régionale et mondiale, ce phénomène est particulièrement inquiétant. Pour réduire efficacement ses effets et empêcher l’instabilité de se propager, il est impératif de comprendre la contagion de la sécurité. Bien que la contagion sécuritaire soit reconnue comme une préoccupation sérieuse, ses fondements théoriques et son fonctionnement dans le contexte africain, en particulier en Afrique de l’Ouest, sont peu connus. Un point de vue global prenant en compte la dynamique systémique de la contagion sécuritaire est souvent absent des méthodologies actuelles. Cette recherche tente de combler cette lacune en proposant un cadre conceptuel pour comprendre la contagion de la sécurité en Afrique de l’Ouest par l’application de la théorie des systèmes.
Cadre théorique
Théorie des systèmes
La théorie des systèmes est un cadre conceptuel multidisciplinaire qui affirme que les systèmes sont constitués d’éléments interconnectés et liés qui interagissent pour produire les caractéristiques et le comportement globaux du système. Pour prévoir, contrôler et maximiser les performances d’un système, cette théorie souligne à quel point il est crucial de comprendre les relations et les boucles de rétroaction qui existent en son sein. La biologie, l’ingénierie, la sociologie et les études organisationnelles ne sont que quelques-unes des disciplines qui peuvent utiliser la théorie des systèmes pour examiner la complexité et la dynamique de divers types de systèmes (Bertalanffy, 1968). Le holisme, l’interconnexion, les boucles de rétroaction, les frontières, l’émergence et l’équifinalité sont quelques-unes des principales caractéristiques de la théorie des systèmes. Selon le holisme, les systèmes ne doivent pas être considérés comme la somme de leurs composants, mais plutôt comme des ensembles, car les interactions entre les parties donnent souvent lieu à des qualités émergentes qui ne peuvent être prédites en étudiant les parties séparément (Capra, 1996). Le concept d’interdépendance souligne à quel point toutes les composantes d’un système sont liées entre elles, ce qui implique que les changements apportés à une composante peuvent avoir un impact sur l’ensemble du système (Meadows, 2008). La dynamique et le comportement des systèmes dépendent fortement des boucles de rétroaction, qui peuvent être positives (renforcement des changements) ou négatives (stabilisation du système). Pour déterminer comment un système interagit avec son environnement, les frontières – qui peuvent être conceptuelles, physiques ou les deux – définissent ce qui se trouve à l’intérieur et à l’extérieur du système (Churchman, 1968). Pour souligner la complexité des systèmes, les caractéristiques émergentes sont celles qui résultent des interactions entre les composants du système et qui ne sont pas spécifiques à l’un d’entre eux (Luhmann, 1995). Selon Bertalanffy (1968), l’équifinalité est l’idée qu’un système peut arriver au même état final à partir de nombreux points de départ et par différentes voies. Cela montre à quel point les systèmes sont flexibles et résistants.
Contagion sécuritaire en Afrique de l’Ouest
Caractéristiques de l’environnement de sécurité en Afrique de l’Ouest
L’environnement sécuritaire de l’Afrique de l’Ouest est complexe et multiforme, façonné par une combinaison de facteurs historiques, socio-économiques et politiques. Il est essentiel de comprendre ces caractéristiques pour formuler des politiques et des interventions efficaces afin de relever les défis de la région en matière de sécurité.
Faiblesse des institutions de l’État
De nombreux pays d’Afrique de l’Ouest souffrent de la faiblesse de leurs institutions étatiques, ce qui entrave leur capacité à assurer la sécurité, à faire appliquer les lois et à fournir des services publics de manière efficace. Cette fragilité institutionnelle résulte souvent d’une histoire coloniale, de conflits prolongés et de problèmes de gouvernance, notamment la corruption et le manque de responsabilité. La faiblesse des institutions étatiques crée un vide de pouvoir qui est principalement exploité par des acteurs non étatiques, tels que des groupes militants (qui citent généralement l’incompétence des institutions étatiques comme motif d’intervention), des réseaux criminels et des insurgés. Ces acteurs interviennent souvent pour fournir des services ou une protection, gagnant ainsi de l’influence et du contrôle dans certaines zones.
Frontières poreuses
Les frontières de l’Afrique de l’Ouest sont notoirement poreuses et mal définies, héritage de l’époque coloniale où les frontières étaient tracées sans tenir compte des réalités ethniques, culturelles ou géographiques. Ces frontières sont souvent faiblement contrôlées, ce qui permet une circulation aisée des personnes, des marchandises et des menaces pour la sécurité. La perméabilité de ces frontières facilite la propagation du terrorisme, du crime organisé, du trafic d’armes et de la traite des êtres humains au-delà des frontières nationales. Par exemple, la région du Sahel a connu une augmentation significative des activités terroristes, avec des groupes tels que Boko Haram, Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et la province de l’État islamique en Afrique de l’Ouest (ISWAP) opérant à travers les frontières avec une relative facilité. La porosité des frontières signifie également que les conflits locaux peuvent rapidement dégénérer en crises régionales. Par exemple, le conflit dans le nord du Mali s’est étendu au Niger et au Burkina Faso voisins, déstabilisant ainsi de grandes parties du Sahel. Les mouvements transfrontaliers de réfugiés et de personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (PDI) compliquent encore le paysage sécuritaire, en mettant à rude épreuve des ressources déjà limitées et en créant des problèmes de sécurité supplémentaires. Le concept de frontières polarisées et poreuses met en évidence le double problème de la faiblesse des contrôles aux frontières et des divisions sociopolitiques à l’intérieur des pays et entre eux. La polarisation ethnique et religieuse peut exacerber les conflits et permettre aux groupes militants d’exploiter plus facilement ces divisions. Par exemple, les tensions ethniques dans la région de la ceinture moyenne du Nigeria ont été un moteur important de la violence, les groupes militants tirant parti de ces divisions pour faire avancer leurs programmes.
Défis socio-économiques
L’Afrique de l’Ouest est confrontée à d’importants défis socio-économiques, notamment des niveaux élevés de pauvreté, de chômage et d’inégalité. Ces conditions créent un terrain fertile pour le recrutement par les groupes extrémistes et le crime organisé. La marginalisation économique et le manque d’opportunités peuvent conduire à la frustration et à la désillusion, en particulier chez les jeunes, ce qui les rend plus susceptibles de se radicaliser et de se livrer à des activités criminelles. En outre, l’accès limité à l’éducation et aux soins de santé exacerbe ces vulnérabilités, contribuant à un cycle de pauvreté et d’insécurité.
Théorie des systèmes et contagion de la sécurité
Systèmes de sécurité interconnectés en Afrique de l’Ouest
En Afrique de l’Ouest, le système de sécurité régional se caractérise par un degré élevé d’interconnexion, les actions d’un État pouvant influencer de manière significative la dynamique de sécurité de ses voisins. Cette interconnexion découle de liens historiques, d’identités ethniques et culturelles partagées et de la proximité géographique des pays. Par conséquent, les opérations de sécurité, les décisions politiques et les développements socio-économiques dans un État peuvent avoir des répercussions directes et indirectes sur les autres. Par exemple, les opérations antiterroristes menées par le Nigeria contre Boko Haram peuvent pousser les insurgés dans les pays voisins comme le Niger, le Tchad et le Cameroun, prolongeant ainsi le conflit et créant de nouveaux problèmes de sécurité dans ces régions.
Boucles de rétroaction et conséquences involontaires
Les boucles de rétroaction sont un aspect essentiel de la contagion sécuritaire en Afrique de l’Ouest. Ces boucles peuvent amplifier les actions initiales et créer des chaînes complexes de causes et d’effets, entraînant souvent des conséquences inattendues. Par exemple, les opérations militaires visant à éliminer les menaces terroristes entraînent souvent des dommages collatéraux, notamment des pertes civiles et le déplacement de communautés. Ces résultats peuvent générer des griefs généralisés au sein de la population locale, qui peut percevoir les actions militaires comme oppressives ou injustes. Ces griefs peuvent devenir un terrain fertile pour le recrutement de terroristes, car les individus lésés peuvent chercher à se venger ou à soutenir des groupes d’insurgés comme moyen de résistance. Cela crée un cercle vicieux dans lequel les tentatives de suppression du terrorisme contribuent involontairement à sa croissance et à sa persistance. En outre, les déplacements provoqués par les opérations militaires peuvent entraîner des crises humanitaires, ce qui accroît la pression sur les ressources déjà limitées des pays voisins. L’afflux de réfugiés peut déstabiliser les communautés d’accueil, exacerber les tensions socio-économiques existantes et accroître la concurrence pour les ressources, élargissant ainsi le champ de l’instabilité et des conflits.
Rôle de l’interdépendance régionale dans l’amplification des menaces pour la sécurité
L’interdépendance régionale des États d’Afrique de l’Ouest signifie que les menaces à la sécurité d’un pays peuvent rapidement se transformer en problèmes régionaux plus vastes. Cette interdépendance est particulièrement évidente dans les mouvements de terroristes, d’armes et de réfugiés à travers des frontières poreuses. Par exemple, la présence de groupes terroristes comme Boko Haram et Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) dans un pays peut être une source d’instabilité pour l’ensemble de la région. Ces groupes exploitent la faiblesse des contrôles aux frontières pour établir des réseaux transfrontaliers, mener des opérations et faire passer clandestinement des armes et des fournitures. Le flux de réfugiés et de personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (PDI) à travers les frontières met encore plus en évidence l’interconnexion de la sécurité régionale. Les populations déplacées apportent souvent avec elles les tensions sociales et politiques de leur pays d’origine, ce qui peut déstabiliser les régions d’accueil et créer de nouveaux problèmes de sécurité. La présence de grands camps de réfugiés peut également permettre aux groupes terroristes de recruter de nouveaux membres et d’opérer sous le radar.
5. Conclusion
En résumé, l’application de la théorie des systèmes à l’étude de la contagion de la sécurité en Afrique de l’Ouest fournit des indications précieuses sur la nature interconnectée des dynamiques de sécurité dans la région. La théorie des systèmes met l’accent sur la compréhension holistique des systèmes complexes, en soulignant l’interdépendance, les boucles de rétroaction, les limites et les propriétés émergentes de ces systèmes. En considérant l’environnement de sécurité régional comme un système complexe composé d’éléments interconnectés, tels que des institutions étatiques faibles, des frontières poreuses et des défis socio-économiques, nous pouvons mieux comprendre la propagation et l’amplification des menaces à la sécurité.
Grâce à la pensée systémique, nous reconnaissons que les mesures prises dans une partie du système peuvent avoir des effets d’entraînement sur l’ensemble du système, ce qui entraîne souvent des conséquences inattendues. Les boucles de rétroaction jouent un rôle crucial dans ce processus, en amplifiant les actions initiales et en contribuant à la propagation de la contagion sécuritaire. En outre, la théorie des systèmes souligne l’importance de comprendre les limites, tant physiques que conceptuelles, qui définissent la portée du système et influencent ses interactions avec l’environnement extérieur.
En outre, la théorie des systèmes met en évidence les propriétés émergentes qui résultent des interactions entre les composants du système, illustrant le fait que le tout est plus grand que la somme de ses parties. Cette perspective souligne la nécessité d’adopter des approches globales et coordonnées pour relever les défis en matière de sécurité en Afrique de l’Ouest, compte tenu de l’interaction complexe des facteurs en jeu.
En conclusion, l’application de la théorie des systèmes offre un cadre précieux pour comprendre la dynamique de la contagion sécuritaire en Afrique de l’Ouest, permettant aux décideurs politiques et aux parties prenantes d’élaborer des stratégies plus efficaces pour promouvoir la stabilité et la sécurité dans la région.
Source : Analyste CISA
Référence
Bertalanffy, L. von. (1968). Théorie générale des systèmes : Fondements, développement, applications. New York : George Braziller.
Capra, F. (1996). La toile de la vie : Une nouvelle compréhension scientifique des systèmes vivants. New York : Anchor Books.
Meadows, D. H. (2008). Thinking in Systems : A Primer. Chelsea Green Publishing.
Churchman, C. W. (1968). The Systems Approach. New York : Dell Publishing.
Luhmann, N. (1995). Social Systems. Stanford, CA : Stanford University Press.