Introduction
Le phénomène du terrorisme du loup solitaire, caractérisé par l’auto-radicalisation et la planification et l’exécution indépendantes d’actes violents, s’écarte considérablement des modèles traditionnels du terrorisme de groupe. Ces individus agissent souvent dans l’ombre, ce qui rend la détection et l’intervention extrêmement difficiles. Bien qu’il n’existe pas de profil psychologique unique pour définir définitivement un terroriste loup solitaire, des points communs ont été identifiés dans leur fonctionnement cognitif, émotionnel et social. Cet article vise à décrire ces marqueurs psychologiques, en fournissant un cadre pour comprendre le paysage interne qui peut favoriser une telle violence extrême.
Définir le loup solitaire terroriste
Un terroriste loup solitaire est généralement décrit comme un individu qui planifie et commet des actes de terrorisme en dehors de toute structure de commandement ou hiérarchie d’une organisation terroriste. Bien qu’il puisse être inspiré par des mouvements idéologiques plus larges ou s’y identifier, sa prise de décision opérationnelle et son exécution sont indépendantes. Cela les distingue des terroristes « habilités » ou « dirigés » qui agissent sous la direction d’une organisation.
Vulnérabilités psychologiques et précurseurs :
- Isolement social et aliénation : Un thème récurrent dans les profils des terroristes loups solitaires est l’isolement social important. Cet isolement peut découler de divers facteurs, notamment de compétences sociales insuffisantes, de difficultés à nouer des relations, d’expériences de rejet ou d’un repli sur soi. Cet isolement favorise souvent les sentiments d’aliénation et d’absence d’appartenance, ce qui rend les individus plus sensibles aux récits extrémistes qui leur offrent un sentiment d’identité et d’utilité. (Spaaij, 2010 ; Corner & Gill, 2015).
- Griefs personnels et injustices perçues : De nombreux loups solitaires nourrissent des griefs personnels profondément ancrés, réels ou imaginaires. Il peut s’agir d’expériences de chômage, de difficultés financières, de discrimination perçue ou d’échecs personnels. Ces griefs peuvent se transformer en un sentiment plus large d’injustice, qui est ensuite projeté sur les structures sociétales ou politiques, rendant les individus réceptifs aux idéologies extrémistes qui fournissent une explication et une cible à leur colère. (Lankford, 2013 ; Gill et al., 2017).
- Problèmes de santé mentale : Bien que la maladie mentale ne soit pas une cause directe du terrorisme, une prévalence plus élevée de certains troubles mentaux, en particulier les troubles de la personnalité (par exemple, les traits narcissiques, paranoïaques et schizoïdes) et les troubles de l’humeur (par exemple, la dépression), a été observée chez certains auteurs de loups solitaires par rapport à la population générale. Ces troubles peuvent altérer le jugement, accroître l’impulsivité et exacerber les sentiments de persécution, ce qui peut abaisser le seuil de la violence. Il est essentiel de noter que la grande majorité des personnes souffrant de problèmes de santé mentale ne s’engagent pas dans la violence. (Monahan, 2012 ; Corner & Gill, 2015 ; Pressman & Flock, 2017).
- Le narcissisme et la grandeur d’âme : Certains loups solitaires présentent des traits narcissiques, caractérisés par un sentiment exagéré de suffisance, un besoin d’admiration et un manque d’empathie. Cette grandeur d’âme peut les amener à penser qu’ils sont les seuls à pouvoir remédier aux maux de la société ou à avoir un impact significatif, ce qui alimente souvent un désir de reconnaissance, voire de martyre. (Horgan, 2014).
Distorsions cognitives et parcours de radicalisation :
- Pensée noire ou blanche (pensée dichotomique) : Les loups solitaires ont souvent une vision du monde rigide et simpliste, catégorisant le monde en « nous contre eux », « le bien contre le mal ». Cette distorsion cognitive élimine la nuance et l’ambiguïté morale, ce qui facilite la déshumanisation des ennemis perçus. (Sageman, 2014).
- Biais de confirmation : les individus en voie de radicalisation ont tendance à rechercher et à interpréter de manière sélective les informations qui confirment leurs croyances et leurs préjugés, tout en rejetant les preuves contradictoires. Cela renforce leur vision extrémiste du monde et les isole des perspectives alternatives. (Kruglanski et al., 2014).
- Externalisation de la responsabilité : Les loups solitaires attribuent souvent leurs échecs personnels ou les problèmes de la société à des forces ou à des groupes extérieurs, au lieu de reconnaître leur responsabilité personnelle. Cette externalisation de la responsabilité alimente le ressentiment et le désir de rétribution. (Hamm & Spaaij, 2017).
- Fantasme et fixation : Un aspect important de la psychologie du loup solitaire est l’engagement prolongé dans des fantasmes violents et une fixation obsessionnelle sur la cible ou la cause qu’il a choisie. Cela peut se manifester par une planification détaillée, la répétition de scénarios et l’immersion dans des contenus extrémistes, ce qui les désensibilise encore plus à la violence. (Corner & Gill, 2015).
- Chambres d’écho en ligne et auto-radicalisation : L’internet et les médias sociaux jouent un rôle essentiel dans le processus d’auto-radicalisation de nombreux loups solitaires. Les chambres d’écho en ligne et les forums extrémistes offrent aux individus un espace où ils peuvent trouver une validation de leurs griefs, entrer en contact avec des personnes partageant les mêmes idées (même si ce n’est que virtuellement) et accéder à des contenus radicalisants sans contact interpersonnel direct avec des recruteurs (Neumann, 2013 ; Vidino & Brandon, 2013). (Neumann, 2013 ; Vidino & Brandon, 2012).
Études de cas
Anders Behring Breivik (Norvège, 2011)
Breivik a tué 77 personnes lors d’attaques coordonnées à la bombe et à l’arme à feu. Son manifeste révèle un profond narcissisme, une rage idéologique et un désir de martyre. Bien qu’il ne soit officiellement affilié à aucun groupe, il a puisé son inspiration idéologique dans des sources nationalistes blanches et anti-islamiques en ligne.
Mohamed Merah (France, 2012)
Merah, un Franco-algérien auto-radicalisé, a tué sept personnes, dont des enfants. Son profil psychologique révèle une confusion identitaire et un désir d’affirmer son contrôle après des années de petite délinquance et de marginalisation.
Conclusion et implications pour la lutte contre le terrorisme
Pour comprendre la composition psychologique des terroristes loups solitaires, il ne s’agit pas de créer un profil définitif, mais plutôt d’identifier les facteurs de risque communs et les voies cognitives qui peuvent conduire à la violence. L’interaction entre l’isolement social, les griefs personnels, les distorsions cognitives et l’adoption d’idéologies extrémistes crée une recette puissante pour la radicalisation.
Dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, cette compréhension souligne l’importance de.. :
- Intervention précoce : Développer des stratégies pour identifier les individus présentant ces vulnérabilités psychologiques avant qu’ils ne se radicalisent complètement. Il s’agit notamment d’apporter un soutien en matière de santé mentale, de mettre en place des programmes d’intégration sociale et de répondre aux griefs.
- Contre-récits : Remettre en question les idéologies extrémistes en encourageant la pensée critique, la résistance à la propagande et en offrant des solutions alternatives et constructives aux griefs.
- Surveillance et perturbation en ligne : Reconnaître le rôle des espaces en ligne dans l’auto-radicalisation et développer des stratégies efficaces pour surveiller et perturber les contenus extrémistes.
- Engagement communautaire : Favoriser des communautés fortes et inclusives, capables d’identifier et de soutenir les personnes vulnérables, en proposant des alternatives à l’isolement et aux récits extrémistes.
Références :
- Borum, R. (2015). La psychologie du terrorisme : An Introduction. Université de Floride du Sud.
- Corner, E. et Gill, P. (2015). A Comparative Analysis of Suicide, Lone Wolf, and Group-Based Terrorists. Terrorism and Political Violence, 27(2), 263-278.
- Gill, P., Corner, E. et Conway, M. (2017). Lone-Actor Terrorists : A New Typology. Journal of Interpersonal Violence, 32(19), 2975-2993.
- Hamm, M. S., et Spaaij, R. (2017). The Age of Lone Wolf Terrorism (L’ère du terrorisme du loup solitaire). Columbia University Press.
- Horgan, J. (2014). La psychologie du terrorisme (2e éd.). Routledge.
- Kruglanski, A. W. et Fishman, S. (2009). Psychological Bases of Radicalism. Journal of Social Issues, 65(3), 646-664.
- Kruglanski, A. W., Gelfand, M. J., Bélanger, J. J., Sheveland, A., Hetiarachchi, M. et Gunaratna, R. (2014). La psychologie de la radicalisation et de la déradicalisation : How Significance Quest Drives Extremism. Political Psychology, 35(Suppl 1), 69-93.
- Lankford, A. (2013). A Comparative Analysis of Suicide Terrorists and Rampage Shooters (Analyse comparative des terroristes suicidaires et des tireurs d’élite). Terrorism and Political Violence, 25(3), 332-349.
- Monahan, J. (2012). Le lien entre les troubles mentaux et la violence : What the research says. Violence and Mental Health, 1(1), 1-10.
- Neumann, P. R. (2013). The Trouble with Lone Wolves. Foreign Affairs, 92(6), 116-125.
- Pressman, M. et Flock, T. (2017). Examiner les troubles mentaux et le terrorisme du loup solitaire. Behavioral Sciences of Terrorism and Political Aggression, 9(3), 220-239.
- Sageman, M. (2014). Leaderless Jihad : Terror Networks in the Twenty-First Century. University of Pennsylvania Press.
- Spaaij, R. (2010). L’énigme du terrorisme du loup solitaire : An Assessment. Studies in Conflict & Terrorism, 33(9), 854-870.
- Vidino, L. et Brandon, J. (2012). Le loup solitaire et le djihad : Les défis de la radicalisation en ligne. Centre d’études de sécurité.