Après 20 mois de transition, le capitaine Ibrahim Traoré s’est vu accorder une prolongation de cinq ans à la tête du pays, suite aux recommandations de l’assemblée nationale du 25 mai 2024 à Ouagadougou. Pour ce mandat de cinq ans, le chef de l’Etat a décidé de fixer les grandes lignes de sa gouvernance le 11 juillet 2024, lors d’un échange avec les forces vives de la nation.
Le capitaine Traoré a dit ses « vérités » devant un auditoire acquis à sa cause, à la manière du discours d’orientation politique prononcé par le père de la révolution burkinabé, Thomas Sankara, le 2 octobre 1984. Tous ses propos n’ont pas été diplomatiques.
Le Président du Faso a dénoncé l’existence d’un « centre d’opérations à Abidjan pour déstabiliser le Burkina ». « Dans une interview, nous avons parlé du régime ivoirien, et certains Burkinabés sont montés sur leurs grands chevaux pour critiquer. J’insiste et je persiste. Nous n’avons rien contre le peuple ivoirien, mais nous avons quelque chose avec ceux qui dirigent la Côte d’Ivoire. Il y a en effet un centre d’opérations à Abidjan pour déstabiliser notre pays. Personne ne peut le nier et nous vous apporterons les preuves dans les jours qui viennent. Nous vous montrerons les preuves physiques et vous comprendrez de quoi nous parlons », a-t-il déclaré.
Outre la Côte d’Ivoire, le Bénin, autre pays voisin du Burkina Faso, a eu sa dose. Le chef de l’État a rappelé qu’il y a « deux bases françaises au Bénin qui forment et équipent » les terroristes. « Personne ne viendra nous dire qu’au Bénin, il n’y a pas de base française montée contre nous. Et je les mets au défi. Nous en avons la preuve. Il y a deux bases françaises au Bénin. Nous n’avons rien contre le peuple béninois, nous avons un problème avec la politique des dirigeants béninois. Il y a bien deux bases. Les pistes ont été réaménagées… des avions atterrissent, des gens s’équipent et forment des terroristes là-bas. Nous avons des enregistrements audio d’agents français au Bénin là-bas, qui jouent dans les centres d’opérations des terroristes. Ils montent des opérations avec eux, ils les aident sur le plan médical, ils font tout ce qu’il y a à faire. Nous avons tous les détails sur eux. Et vous ne voulez pas que nous le disions à notre peuple ? Nous le ferons. S’ils ne veulent pas le faire, qu’ils cessent de se comporter ainsi. C’est simple », a-t-il insisté. Et à ce sujet, il a promis des preuves dans les jours à venir.
Représailles possibles
Ces déclarations ont été une pilule amère pour le Bénin. Par voie diplomatique, le Bénin a protesté contre les déclarations du Président du Burkina Faso, qu’il a jugées « fausses ». En effet, le gouvernement béninois, par l’intermédiaire du ministre des Affaires étrangères, Shegun Adjadi Bakari, a convoqué l’ambassadeur du Burkina Faso au Bénin, David Kabré, rapporte le journal Banouto, citant des sources diplomatiques. Répondant à la convocation, le diplomate burkinabé, qui réside à Accra, a été reçu par le ministre béninois des Affaires étrangères. Conformément aux usages diplomatiques, le ministre des Affaires étrangères a exprimé l’indignation du Bénin face aux « accusations infondées » du Président du Burkina Faso.
Le jour même où le président Traoré a tenu ces propos, le porte-parole du gouvernement béninois, Wilfried Léandre Houngbedji, a écrit sur sa page Facebook : « C’est l’hôpital qui se moque de la charité ». Il a également souligné que « les auteurs des attaques terroristes au Bénin sont plutôt originaires du Burkina et du Niger ».
Un Burkinabé expulsé de Côte d’Ivoire
A l’issue du Conseil des ministres du 17 juillet 2024, le gouvernement a dénoncé l’expulsion de 173 Burkinabés de Côte d’Ivoire « au mépris des règles humanitaires », selon le ministre de la Communication Jean Emmanuel Ouédraogo. Le plus âgé a 75 ans et le plus jeune est un bébé de 4 mois.
Ces personnes, toutes issues de la communauté peul, ont été accueillies le 16 juillet 2024 à Yendéré, à la frontière ivoiro-burkinabé. Selon le témoignage de ces personnes, elles ont été comptées et embarquées dans un véhicule à destination du Burkina Faso sans explication, laissant derrière elles une partie de leur famille et leurs animaux.
Cette attaque est-elle un signe de représailles suite aux déclarations du président burkinabé accusant ses homologues ivoiriens ? Difficile à confirmer, mais les autorités burkinabés ont une idée de ce qui se passe actuellement. « L’expulsion n’a pas été notifiée à l’avance. Nous ne connaissons pas les intentions réelles des autorités ivoiriennes. En tout cas, nous avons pris des précautions pour ne pas nous contenter d’invectiver pour savoir ce qui a déclenché cette expulsion. Est-ce lié au sommet de la CEDEAO ? » s’interroge Mahamadou Sana, ministre délégué chargé de la sécurité. Car cette expulsion viole les dispositions des conventions internationales sur le statut des réfugiés.
A quoi peut-on s’attendre dans les jours à venir ? Verrons-nous d’autres épisodes diplomatiques liés aux déclarations du président Ibrahim Traoré ? Une chose est sûre : les dirigeants du Bénin et de la Côte d’Ivoire attendent avec impatience les preuves promises par le président de transition du Burkina Faso.
Pour éviter de nouvelles répercussions négatives de la sortie médiatique du capitaine Ibrahim Traoré, le corps diplomatique burkinabé ne doit ménager aucun effort pour revenir à de meilleures relations avec les pays voisins. Les propos étaient solennels pour être si facilement oubliés, d’autant plus que les dirigeants de l’Alliance des Etas du Sahel (AES) imposent une nouvelle géopolitique à l’Afrique de l’Ouest. Très adulés par la jeunesse de leurs pays, les déclarations des présidents des trois transitions militaires sont reprises sur les réseaux sociaux et considérées comme parole d’évangile. Mais les pays incriminés doivent aussi laver leur honneur aux yeux de leurs citoyens. Aucun peuple n’acceptera d’être la risée d’un autre.
L’avenir de la coopération entre les trois pays est en jeu. Les relations entre les pays d’Afrique de l’Ouest n’ont jamais été aussi secouées que depuis 2023. Nous attendons avec impatience le retour à des relations bilatérales plus détendues.