Le récent déplacement forcé de plus de 13 000 Ghanéens vers la Côte d’Ivoire voisine, à la suite des affrontements fonciers de Gbiniyiri dans la région des Savanes, est plus qu’une simple préoccupation humanitaire. Il s’agit d’un nouveau rappel de la relation complexe entre les conflits communautaires internes, les flux de réfugiés et la contagion de l’insécurité en Afrique de l’Ouest. Ce qui a commencé comme un conflit foncier localisé dans le district de Sawla-Tuna-Kalba s’est maintenant étendu à la frontière du Ghana, créant des vagues qui ont des implications à la fois pour la stabilité nationale et la sécurité régionale.
Un conflit local aux conséquences transnationales
Selon le ministre ghanéen de l’Intérieur, Mubarak Mohammed Muntaka, les violences qui ont éclaté le 24 août 2025 ont fait 31 morts et déplacé plus de 48 000 personnes, dont 13 253 ont été confirmées comme réfugiées en Côte d’Ivoire. Des milliers d’autres sont dispersées au Burkina Faso et à l’intérieur des frontières du Ghana (Gouvernement du Ghana, 2025). Cette situation reflète une tendance inquiétante dans la région, où les conflits localisés – qu’il s’agisse de querelles ethniques, de différends fonciers ou de luttes pour les ressources – migrent au-delà des frontières, mettant à rude épreuve des États fragiles déjà aux prises avec des insurrections et des économies fragiles (International Crisis Group, 2020).
Le cas de Gbiniyiri montre comment les conflits fonciers communaux, souvent considérés comme des questions locales, peuvent rapidement dégénérer en dilemmes transfrontaliers en matière de sécurité. L’abandon par des familles entières de leurs fermes et de leur bétail menace non seulement la sécurité alimentaire dans le nord du Ghana, mais crée également des conditions propices à la radicalisation, à la criminalité et à l’exploitation dans les territoires d’accueil.
Le fardeau des réfugiés en Afrique et la contagion de l’insécurité
Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) estime que l’Afrique subsaharienne accueille actuellement plus de 18 millions de réfugiés, soit environ 26 % du total mondial (HCR, 2023a). Pourtant, le phénomène des réfugiés en Afrique ne peut être dissocié de la contagion sécuritaire : le déplacement est à la fois le résultat de l’insécurité et un déclencheur potentiel d’une instabilité accrue (Whitaker, 2017).
Les camps de réfugiés, en raison de leur densité et de l’absence de réglementation, ont toujours servi de couverture aux réseaux illicites – trafiquants, groupes armés, recruteurs extrémistes et fugitifs. La mise en garde du Kenya contre le camp de Dadaab qui abriterait des militants d’Al-Shabaab après le massacre de l’université de Garissa en 2015 (Anderson & McKnight, 2015), ou la notoriété du camp de Buduburam au Ghana en tant que plaque tournante du crime organisé (Agblorti, 2011), sont autant d’exemples édifiants. Les États d’accueil sont inévitablement confrontés au risque que la violence et les idéologies extrémistes des pays d’origine des réfugiés s’infiltrent dans leur propre tissu social.
En Afrique de l’Ouest, ces risques sont aujourd’hui accrus par les insurrections en cours au Burkina Faso, au Mali et au Niger, où les groupes djihadistes exploitent la porosité des frontières et les populations déplacées pour étendre leurs zones d’opération (OCDE, 2023). Le Ghana, la Côte d’Ivoire, le Togo et le Bénin – tous des États côtiers auparavant considérés comme « sûrs » – sont déjà en état d’alerte alors que l’instabilité sahélienne se propage vers le sud. Dans de tels contextes, les afflux de réfugiés peuvent involontairement servir de vecteurs d’insécurité (Kassim, 2020).
Crise des déplacements
Fin 2023, la CEDEAO et le HCR estimaient à près de 7 millions le nombre de personnes déplacées de force dans la sous-région, dont plus de 6,3 millions de déplacés internes et plus de 620 000 réfugiés (CEDEAO & HCR, 2023). Le Nigéria et le Burkina Faso représentent à eux seuls la majorité de cette population, tandis que le Niger accueille le plus grand nombre de réfugiés. Avec l’instabilité politique, les chocs climatiques et la persistance des insurrections djihadistes, le HCR prévoit une augmentation de 9 % des déplacements en Afrique de l’Ouest et du Centre d’ici 2024, pour atteindre 13,6 millions de personnes (HCR, 2023b).
Le déplacement des Gbiniyiri vient donc s’ajouter à une tendance sous-régionale : les crises prolongées se déversent dans des pays qui commencent à peine à renforcer leur résilience. La Côte d’Ivoire, qui accueille déjà des réfugiés du Libéria, du Burkina Faso et du Mali, doit maintenant absorber plus de 13 000 Ghanéens, ce qui met à l’épreuve la fragilité du nord du pays (Koné, 2022).
Le lien entre sécurité et réfugiés
Le lien entre la contagion de la sécurité et les réfugiés se manifeste de plusieurs manières :
- Les camps de réfugiés comme incubateurs d’insécurité – Les camps peuvent devenir des centres de trafic, de recrutement et de radicalisation s’ils ne sont pas réglementés (Whitaker, 2017).
- Diffusion transfrontalière des conflits locaux – Un conflit communal au Ghana devient un fardeau humanitaire et sécuritaire pour la Côte d’Ivoire.
- Contrainte sur les systèmes de sécurité du pays d’accueil – La surveillance des camps, la prévention de la traite des êtres humains et la gestion de l’application de la loi mettent à rude épreuve des institutions déjà fragiles (Agblorti, 2011).
- Terrain de recrutement pour les groupes extrémistes – Les jeunes réfugiés privés de leurs droits sont particulièrement vulnérables aux récits extrémistes promettant l’appartenance et la survie.
- Transmission inversée de l’insécurité – Tout comme la violence dans un État déplace les réfugiés, l’infiltration d’extrémistes dans les camps peut ensuite déstabiliser les communautés d’accueil mêmes qui leur fournissent un abri (OCDE, 2023).
Implications pour le Ghana et la Côte d’Ivoire
Pour le Ghana, le déplacement des Gbiniyiri est un signal d’alarme qui l’incite à considérer les conflits communautaires comme des menaces pour la sécurité nationale, et non comme de simples différends traditionnels. Ses frontières septentrionales étant adjacentes aux régions du Burkina Faso en proie au djihadisme, les différends non résolus pourraient ouvrir la voie à l’infiltration d’extrémistes. Le déploiement par le gouvernement de 700 agents de sécurité est une réponse immédiate, mais les stratégies à long terme doivent donner la priorité à la résolution des conflits, à la réforme de l’administration foncière et à la consolidation de la paix au sein des communautés (Gouvernement du Ghana, 2025).
Pour la Côte d’Ivoire, cet afflux ajoute une nouvelle couche de complexité à son paysage sécuritaire fragile. Accueillir des réfugiés dans les zones déjà instables du nord risque d’entraîner l’État plus profondément dans la spirale déplacement-insécurité de l’Afrique de l’Ouest. En l’absence de mécanismes de sélection, de suivi et d’intégration, l’impératif humanitaire pourrait se transformer en un handicap pour la sécurité nationale (Koné, 2022).
Rompre le cycle
Pour briser le cycle des déplacements induits par l’insécurité et de l’insécurité induite par les déplacements, une approche à plusieurs volets est nécessaire :
- Renforcement des systèmes d’alerte précoce pour les conflits locaux avant qu’ils ne dégénèrent en déplacements transfrontaliers.
- Élaborer des registres de risques fondés sur le renseignement et l’alerte précoce afin d’encourager le déploiement de mécanismes de réponse efficaces.
- Des mécanismes régionaux de partage des charges, notamment par l’intermédiaire de la CEDEAO, afin de répartir équitablement les responsabilités des réfugiés.
- Une gouvernance et un contrôle rigoureux des camps, garantissant que les camps ne sont pas exploités par des réseaux criminels ou extrémistes.
- Stratégies d’intégration socio-économique, transformant les réfugiés en contributeurs plutôt qu’en menaces perçues.
- Collaboration entre les acteurs de la sécurité et les acteurs humanitaires, afin que la sécurité humaine et la sécurité de l’État soient considérées comme des objectifs complémentaires plutôt que concurrents.
Conclusion
Le conflit foncier de Gbiniyiri a mis en lumière une vérité essentielle : les réfugiés et la contagion sécuritaire sont inséparables dans le paysage fragile de l’Afrique de l’Ouest. Chaque nouveau déplacement n’est pas seulement une statistique humanitaire, mais aussi un point d’ignition potentiel pour l’instabilité dans les pays d’origine et d’accueil. La tragédie du Ghana doit donc servir de leçon régionale : les conflits communautaires, aussi locaux soient-ils, ne sont jamais contenus dans l’isolement. Dans une sous-région interconnectée, hantée par des insurrections et des frontières fragiles, le seul moyen de prévenir la contagion sécuritaire est de renforcer les systèmes d’alerte précoce grâce à une collecte de renseignements solide et de s’attaquer aux causes profondes des déplacements de population avec urgence, inclusivité et prévoyance.
Références
- Agblorti, S. K. (2011). Intégration des réfugiés au Ghana : le point de vue de la communauté d’accueil. Service d’élaboration et d’évaluation des politiques du HCR.
- Anderson, D. M. et McKnight, J. (2015). Kenya at war : Al-Shabaab et ses ennemis en Afrique de l’Est. African Affairs, 114(454), 1-27.
- CEDEAO ET HCR. (2023).
Déplacement forcé en Afrique de l’Ouest : Aperçu régional . Abuja : Commission de la CEDEAO. - Gouvernement du Ghana. (2025). Briefing de presse du ministère de l’Intérieur sur les affrontements de Gbiniyiri. Accra : Gouvernement du Ghana.
- International Crisis Group. (2020).
Atténuer les conflits communautaires en Afrique de l’Ouest . Bruxelles : ICG. - Kassim, A. (2020). Le rôle des crises de réfugiés dans l’insécurité en Afrique de l’Ouest. Journal of African Security Studies, 29(4), 421-439.
- Koné, I. (2022). Gestion des réfugiés et défis sécuritaires dans les régions du nord de la Côte d’Ivoire. Revue africaine de sécurité, 31(2), 115-134.
- OCDE. (2023). La fragilité des États au Sahel : Sécurité et dynamique des déplacements. Paris : Éditions OCDE.
- HCR. (2023a).
Tendances mondiales : Déplacement forcé en 2022 . Genève : HCR. - HCR. (2023b).
Mise à jour régionale pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre . Genève : HCR. - Whitaker, B. E. (2017). Réfugiés et insécurité en Afrique. Journal des relations internationales et du développement, 20(2), 308-330.