La région du Sahel est devenue l’un des environnements sécuritaires les plus instables au monde. Autrefois considérée principalement sous l’angle de l’insurrection et de la fragilité des États, la région est désormais le théâtre d’une concurrence entre grandes puissances. Des acteurs mondiaux et régionaux rivaux, dont la Russie, les États occidentaux, la Chine et, de plus en plus, l’Ukraine, exercent leur influence par des moyens militaires, politiques et économiques. Les récentes accusations de la Russie selon lesquelles l’Ukraine et le gouvernement d’union nationale (GUN) de la Libye soutiennent le terrorisme au Sahel ont mis en lumière cette concurrence. Ces accusations soulignent à quel point les rivalités géopolitiques sont désormais étroitement liées à l’évolution du paysage du terrorisme en Afrique.
La crise sécuritaire au Sahel : Contexte
Le Sahel, qui s’étend de la Mauritanie au Soudan, est confronté à des crises simultanées de terrorisme, d’échec de la gouvernance et de déplacements humanitaires. Depuis 2012, les insurrections djihadistes liées à Al-Qaïda et à l’État islamique se sont étendues au Mali, au Burkina Faso et au Niger. La faiblesse de la gouvernance, la porosité des frontières et la marginalisation économique ont permis aux groupes extrémistes de gagner des territoires. Le retrait de l’opération Barkhane menée par la France en 2022 et la fin de la mission MINUSMA des Nations unies au Mali ont encore réduit les efforts internationaux de lutte contre le terrorisme, laissant des vides de pouvoir que les acteurs extérieurs sont impatients de combler.
Dans ce contexte d’instabilité, la dynamique sécuritaire de la région a évolué vers des partenariats bilatéraux et transactionnels avec des puissances étrangères. Les juntes militaires du Mali, du Burkina Faso et du Niger façonnent désormais leurs alignements sécuritaires sur la base d’une fiabilité perçue plutôt que sur des valeurs démocratiques partagées. Ces changements ont ouvert la voie à une intensification de l’engagement de la Russie et, dans une moindre mesure, de la Chine, qui se positionnent toutes deux comme des partenaires alternatifs aux puissances occidentales.
L’empreinte grandissante de la Russie
Selon le Global Terrorism Index 2025 (GTI), l’implication de la Russie au Sahel s’est nettement accrue depuis le déploiement en 2021 du groupe Wagner, désormais rebaptisé Africa Corps. Environ 1 000 membres du Corps africain sont actuellement déployés au Mali, soit beaucoup moins que les 13 000 soldats français et onusiens qui y étaient stationnés auparavant (GTI, 2025). Le contingent militaire privé russe opère aux côtés des forces maliennes dans le cadre de missions de lutte contre le terrorisme, bien que son bilan en termes d’amélioration de la sécurité reste mitigé.
L’approche de la Russie contraste avec celle des Nations unies et de la France. Plutôt que de mettre l’accent sur la protection des civils, Africa Corps se concentre sur les opérations offensives directes contre les groupes armés. Cette approche a été controversée, mais elle a été approuvée au Mali, où 82% des citoyens interrogés au début de l’année 2024 ont exprimé une opinion positive sur le partenariat de la junte avec la Russie (GTI, 2025). Néanmoins, cette approche a également été critiquée pour sa brutalité et ses gains limités en termes de stabilité à long terme.
L’implication de la Russie ne se limite pas à un engagement militaire. Moscou a étendu son influence par le biais d’intérêts économiques, notamment dans le domaine de l’exploitation minière et de l’extraction des ressources.
La stratégie économique parallèle de la Chine
Alors que l’implication de la Russie est très visible et militarisée, la Chine a poursuivi une stratégie subtile centrée sur la diplomatie économique. Les entreprises chinoises ont augmenté leurs investissements dans le secteur minier du Mali, en particulier dans la production d’or et de lithium. En décembre 2024, le Mali a inauguré une usine de lithium appartenant à la Chine, en présence de l’ambassadeur chinois et du colonel Assimi Goïta, qui a qualifié les relations avec la Chine de « partenariat stratégique et sincère » (GTI, 2025).
L’approche de la Chine évite les conflits directs en matière de sécurité tout en développant une influence économique et infrastructurelle à long terme. Ce contraste entre l’engagement de la Russie et de la Chine souligne la façon dont les grandes puissances emploient des stratégies distinctes pour s’implanter dans la même région instable.
Récits émergents
L’Indice mondial du terrorisme 2025 souligne également que la présence croissante de la Russie au Sahel coïncide avec la montée en puissance des discours sur l’ingérence étrangère. Moscou a accusé à plusieurs reprises l’Ukraine et le GNU de Libye de soutenir le terrorisme dans la région. Lors de la 13e réunion internationale des hauts représentants pour les questions de sécurité en mai 2025, Tatyana Dovgalenko, fonctionnaire du ministère russe des Affaires étrangères, a affirmé que « le régime de Kiev est directement impliqué dans la déstabilisation de la situation en Afrique » en collaborant avec des groupes terroristes au Sahel (MSN News, 2024).
Selon Dovgalenko, les armes fournies par l’Occident et destinées à l’Ukraine seraient détournées vers des groupes extrémistes en Afrique, contribuant ainsi à l’escalade de l’insécurité. Des déclarations similaires ont été faites par la porte-parole du ministère russe des affaires étrangères, Maria Zakharova, qui a affirmé que les services de renseignement ukrainiens avaient fourni des drones et des formations à des militants en coordination avec le GNU libyen (Libya Observer, 2024).
L’Ukraine a démenti ces allégations, les décrivant comme de la désinformation destinée à discréditer Kiev et à détourner l’attention des activités de la Russie en Afrique. Toutefois, la vérification des affirmations de la Russie reste limitée : ni les Nations unies ni les principales agences de renseignement n’ont confirmé ces allégations. Néanmoins, l’échange d’accusations illustre la façon dont le Sahel est devenu une « extension » du conflit actuel entre la Russie et l’Ukraine.
De la lutte contre le terrorisme à la concurrence par procuration
Le passage d’opérations multilatérales de lutte contre le terrorisme à des opérations bilatérales a affaibli la coopération régionale au Sahel. L’Alliance des États du Sahel (AES), qui comprend le Mali, le Burkina Faso et le Niger, mène désormais des opérations antiterroristes dans le cadre d’un partenariat qui favorise la Russie. Parallèlement, les pays occidentaux auraient réorienté leurs ressources vers les États côtiers d’Afrique de l’Ouest, tels que le Ghana et la Côte d’Ivoire, afin d’empêcher l’expansion vers le sud des réseaux militants basés au Sahel.
Ces divisions reflètent les dynamiques de l’époque de la guerre froide, où l’alignement idéologique déterminait les partenariats de sécurité. Il en résulte un patchwork d’efforts antiterroristes rivaux qui manquent de coordination et d’échange de renseignements. Les groupes extrémistes exploitent ces divisions en s’installant au-delà des frontières et en manipulant les griefs locaux. Par exemple, après les récentes offensives russes et maliennes dans le nord du Mali, des groupes rebelles touaregs sont réapparus, collaborant apparemment avec des acteurs extérieurs pour obtenir un soutien en matière de renseignement (GTI, 2025).
Conclusion
L’aggravation de la situation sécuritaire au Sahel montre comment les interventions étrangères et les rivalités mondiales ont façonné l’instabilité de la région. Le rôle militaire de la Russie, la présence économique croissante de la Chine et les accusations portées contre l’Ukraine mettent en évidence la manière dont les puissances extérieures utilisent la lutte contre le terrorisme pour étendre leur influence. Cela a rendu plus difficile la stabilisation de la région, a affaibli la coopération entre les États et a permis aux groupes extrémistes d’exploiter les lacunes.
En fin de compte, la sécurité durable au Sahel dépendra moins de la puissance étrangère qui prendra le dessus que de la manière dont les gouvernements africains prendront en charge leur propre sécurité. Une gouvernance solide, une coopération régionale et des politiques à l’abri des manipulations extérieures sont essentielles. Sans cela, le Sahel continuera à servir de champ de bataille pour la concurrence mondiale au lieu d’être une région œuvrant pour la paix et la stabilité.
Référence
Indice mondial du terrorisme. (2025). Mesurer l’impact du terrorisme en 2025 : Principaux résultats pour la région du Sahel. Institut pour l’économie et la paix.
MSN News. (2024, 10 octobre). La Russie accuse l’Ukraine de parrainer des terroristes en Afrique. Extrait de https://www.msn.com/en-us/news/world/putin-accuses-ukraine-of-sponsoring-terrorists-in-africa/ar-AA1FZXyf
Libya Observer. (2024, 9 octobre). La Russie accuse l’Ukraine et le GNU de soutenir le terrorisme dans le Sahel africain. Extrait de https://libyaobserver.ly/news/russia-accuses-ukraine-and-gnu-backing-terrorism-africas-sahel




























