Introduction
Bien que la recherche universitaire sur le sujet des combattants étrangers soit relativement récente, la pratique elle-même n’est pas nouvelle. Le nombre de combattants étrangers au Moyen-Orient a considérablement augmenté depuis 2005, et ils sont désormais considérés comme le visage public du mouvement djihadiste (Malet, 2015). Un combattant étranger est une personne qui se rend à l’étranger pour se battre pour une nation à laquelle elle n’appartient pas ou pour prendre part à un conflit armé non international (Asal & Malet, 2021). On pense généralement que ces combattants étrangers se déplacent d’une zone de conflit à l’autre ou périssent sur le champ de bataille. Cependant, en 2017, les recherches de Cargin ont révélé que la plupart de ces combattants étrangers rentrent chez eux, ce qui signifie que les forces de l’ordre, les services de renseignement et les autres agences de sécurité doivent se préparer à un afflux important de combattants de retour dans l’éventualité d’un cessez-le-feu. Il a noté que l’incertitude concernant les taux de récidive constitue un obstacle majeur au progrès.
Cet article vise à examiner le phénomène des combattants étrangers à travers le prisme de la contagion sécuritaire et à montrer comment cette question est liée à la sécurité nationale au Ghana. Plus précisément, cet article mettra en perspective le contexte historique et les tendances récentes des combats étrangers, en particulier au Moyen-Orient et en Ukraine, afin de souligner les risques potentiels pour la sécurité résultant du retour des combattants étrangers. Deuxièmement, il cherche à montrer comment ces individus, une fois rentrés dans leur pays d’origine, peuvent affecter la situation sécuritaire au Ghana, un pays qui a été jusqu’à présent relativement immunisé contre les effets directs des conflits à l’extérieur de ses frontières. En s’appuyant sur des données empiriques, l’article souligne que la préparation des services de police et de renseignement est un facteur clé pour gérer l’afflux éventuel de combattants de retour au pays et réduire les risques qui y sont liés.
Contexte historique et tendances récentes des combats à l’étranger
Tout au long de l’histoire de l’humanité, les camps de mercenaires ont été monnaie courante sur les champs de bataille. Ces camps sont souvent composés de combattants d’origines diverses qui n’ont pas d’allégeance particulière à leur lieu d’origine (Singer, 2000). Même après la création d’armées étatiques, il a fallu de nombreuses années pour que les nations réduisent leur dépendance à l’égard des mercenaires. Ce n’est qu’au dix-neuvième siècle que les principaux pays européens se sont efforcés de créer un monopole sur l’utilisation légale de la violence en entravant les actions des organisations transnationales non étatiques violentes (Thomson, 1994).
Bien que les combattants étrangers soient généralement associés à des musulmans rejoignant d’autres musulmans dans des activités djihadistes à travers le monde, ce phénomène ne se limite pas à ceux qui s’identifient comme musulmans. Des soldats étrangers ont participé à des conflits fondés sur diverses identités religieuses, ethniques et idéologiques. Des combattants étrangers étaient présents dans les deux camps lors de la guerre civile espagnole ; ils étaient également présents lorsque les communistes ont combattu le fascisme et lorsque les catholiques se sont portés volontaires pour combattre le communisme (Malet, 2010). Des Juifs américains se sont rendus au Moyen-Orient pour s’enrôler dans l’armée israélienne pendant le conflit israélo-arabe de 1948, tandis que des membres des Frères musulmans ont combattu indépendamment pour l’armée égyptienne (Mendelsohn, 2011).
Avec les batailles en cours en Syrie et en Irak et l’augmentation apparente des opérations terroristes dans le monde, la question des « combattants étrangers » aspirants et de retour devient plus pressante pour la communauté internationale (Union européenne, 2016). L’État islamique d’Irak et de Syrie (ISIS) comptait environ 30 000 combattants en décembre 2015, originaires d’au moins 85 pays différents. Si le Moyen-Orient et le monde arabe représentent la grande majorité des recrues de l’ISIS, on compte également un nombre important d’individus originaires de pays occidentaux, dont la plupart des membres de l’UE, les États-Unis, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Outre des centaines de personnes originaires du Tadjikistan et de l’Indonésie, des milliers de combattants russes se sont également enrôlés. Le phénomène mondial du recrutement de combattants étrangers par ISIS donne à l’organisation le capital humain dont elle a besoin pour opérer en dehors du Moyen-Orient (National Bureau of Economic Research, 2016). Plus précisément, des chercheurs de l’Union européenne ont estimé en 2016 qu’entre 3 922 et 4 294 combattants étaient partis pour la Syrie/l’Irak (Van Ginkel & Entenmann, 2016). En outre, plus de sept mille djihadistes étrangers ont quitté l’Afrique du Nord pour la Syrie et l’Irak, ce qui a considérablement compliqué le paysage du terrorisme (Union africaine, 2022). En octobre 2017, il a été rapporté qu’une centaine de migrants ghanéens avaient rejoint ISIS en Libye.
En février 2022, la Russie a commencé son invasion à grande échelle de l’Ukraine, déclenchant le plus grand conflit en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale, qui a entraîné une crise des réfugiés et des dizaines de milliers de morts. Le 14 mars 2024, le ministère russe des affaires étrangères a tweeté que depuis février 2024, 13 387 mercenaires étaient arrivés en Ukraine. Une ventilation par continent a permis de répertorier 13 pays africains, le Nigéria arrivant en tête avec 97 des 249 combattants étrangers. Il a également été rapporté que la Russie avait piégé un groupe de 14 jeunes hommes originaires du Ghana pour qu’ils combattent en Ukraine. Une vidéo a été mise en ligne en mars 2024, montrant des hommes qui seraient des Ghanéens habillés en tenue de camouflage et armés de fusils AK-47, faisant l’éloge de l’agence de voyage Fly Away, affirmant qu’elle avait facilité leur recrutement dans l’armée russe. Ils ont exhorté d’autres Ghanéens à faire confiance à l’agence pour bénéficier d’opportunités similaires. Ils s’exprimaient en twi, un dialecte local. En août 2024, il a été signalé qu’un combattant étranger ghanéen était mort sur le front de la guerre.
La contagion sécuritaire et ses implications
Le concept de contagion sécuritaire offre un cadre précieux pour comprendre l’impact potentiel du retour des combattants étrangers sur la sécurité nationale. La contagion sécuritaire fait référence à la propagation des menaces sécuritaires à travers les frontières, à l’instar d’une maladie contagieuse, où l’instabilité d’une région peut entraîner des vulnérabilités dans une autre. Ce cadre théorique est particulièrement pertinent lorsqu’il s’agit d’examiner le phénomène des combattants étrangers, des individus qui se rendent à l’étranger pour participer à des conflits qui ne sont pas directement liés à leur pays d’origine. Ces combattants deviennent souvent des vecteurs de contagion sécuritaire, car leurs expériences et leurs idéologies peuvent influencer et déstabiliser leur pays d’origine à leur retour.
L’une des principales préoccupations liées au retour des combattants étrangers est le risque qu’ils représentent pour la sécurité. L’incertitude quant aux taux de récidive – c’est-à-dire la probabilité qu’ils s’engagent à nouveau dans des activités violentes – représente un défi de taille pour les services de police et de renseignement. Les rapatriés sont difficiles à suivre, car il faut trouver un équilibre entre les libertés civiles et la sécurité nationale. En 2016, on estimait qu’entre 3 922 et 4 294 combattants étaient partis en Syrie et en Irak depuis l’Union européenne ; environ 30 % d’entre eux étaient retournés dans leur pays d’origine, posant des menaces potentielles pour la sécurité, que ce soit en se réintégrant pacifiquement ou en s’engageant dans le terrorisme national ou international. Une étude de terrain menée en Tunisie, au Mali et au Niger, selon l’Union africaine (2022), suggère que les flux de combattants étrangers dans cette région sont susceptibles d’avoir des impacts durables, tant du point de vue de la sécurité que du point de vue socio-économique.
Les récits historiques indiquent que les retours de combattants étrangers remontent au XVIIIe siècle, lorsque les participants à la révolution américaine sont rentrés en Europe et ont mené des soulèvements ou ont formé des réseaux transnationaux qui ont préparé des attaques dans d’autres pays. Le retour du mouvement djihadiste moderne peut être observé chez les moudjahidines afghans des années 1980, qui ont ensuite mené des attentats à la bombe, comme ceux de New York en 1993 et de Bali en 2002. Hegghammer (2013) a étudié les retours de djihadistes entre 1980 et 2010 et a constaté que 11 % d’entre eux étaient impliqués dans des complots terroristes nationaux, et que leurs attaques avaient beaucoup plus de chances de réussir et de faire des victimes. Maletta & Hayesb (2022) ont étendu cette analyse, montrant que la plupart des combattants étrangers qui sont retournés dans leur pays d’origine et se sont engagés dans le terrorisme national l’ont fait dans les six mois. La plupart des attentats ou tentatives d’attentats ont eu lieu au cours de la première année suivant leur retour, avec quelques exceptions concernant des individus liés à des complots terroristes plus de trois ans après leur retour.
Conclusion
La situation au Ghana, un pays qui est resté jusqu’à présent relativement à l’abri des effets directs des combats étrangers, souligne l’importance de la préparation. Bien que le Ghana n’ait pas été une source majeure de combattants étrangers, peut-être en raison de données inadéquates, le retour potentiel d’un nombre même restreint de ces individus pourrait introduire de nouveaux risques pour la sécurité. Les récents rapports faisant état de jeunes hommes ghanéens amenés par la ruse à combattre dans la guerre russo-ukrainienne soulignent la nécessité d’être vigilant. En comprenant la dynamique de la contagion sécuritaire et en tirant les leçons de l’expérience d’autres régions, le Ghana peut mieux préparer ses forces de l’ordre et ses services de renseignement à gérer l’afflux éventuel de combattants de retour au pays et à atténuer les risques qui y sont liés.
Référence
Union africaine, (2022). Les combattants terroristes étrangers dans la région sahélo-saharienne de l’Afrique : Recommandations pour endiguer une menace durable. Consulté le 3 octobre 2024 sur le site https://www.peaceau.org/uploads/policy-paper-ftfs200522-foreign-terrorist-fighters-in-the-sahel-sahara-rigion-of-africa.pdf
Asal, V. et Malet, D. (2021). Personne n’est plus terrible que le désespéré : Conflict Conditions and Rebel Demand for Foreign Fighters. Studies in Conflict & Terrorism, 47(2), 135-153. https://doi.org/10.1080/1057610x.2021.1961715
Cragin, R. K. (2017). The Challenge of Foreign Fighter Returnees (Le défi des combattants étrangers de retour). Journal of Contemporary Criminal Justice, 33(3), 292-312. https://doi.org/10.1177/1043986217697872
Union européenne, (2016). Briefing European Parliamentary Research Service. Consulté le 3 octobre 2024, à l’adresse suivante : https://www.europarl.europa.eu/EPRS/EPRS-Briefing-579080-Foreign-fighters-rev-FINAL.pdf
Hegghammer, T. (2013). Dois-je rester ou dois-je partir ? Explaining Variation in Western Jihadists. American Political Science Review, 107(1), 1-15. https://doi.org/10.1017/s0003055412000615
Malet, D. (2010). Pourquoi des combattants étrangers ? Orbis, 54(1), 97-114. https://doi.org/10.1016/j.orbis.2009.10.007
Malet, D. (2015). Mobilisation et persistance des combattants étrangers dans un contexte mondial. Terrorism and Political Violence, 27(3), 454-473. https://doi.org/10.1080/09546553.2015.1032151
Maleta , D., & Hayesb, R. (2022). Foreign Fighter Returnees : Une menace indéfinie ? . Terrorism And Political Violence, 1(1), 1-19.
Mendelsohn, B. (2011). Foreign Fighters-Recent Trends (Combattants étrangers – Tendances récentes). Orbis, 55(2), 189-202. https://doi.org/10.1016/j.orbis.2011.01.002
National Bureau of Economic Research ,. (2016). Où est ISIS ? Consulté le 3 octobre 2024, à l’adresse suivante : https://www.nber.org/digest/jun16/where-are-isiss-foreign-fighters-coming
Singer, P. W. (2001). Corporate Warriors : The Rise of the Privatised Military Industry and Its Ramifications for International Security. International Security, 26(3), 186-220. http://www.jstor.org/stable/3092094
Thijs, F., Rodermond, E., & Kleemans, E. R. (2023). Note de recherche : Parcours de combattants étrangers : An in-Depth and Comparative Study Based on Dutch Probation Files. Studies in Conflict & Terrorism, 1-25. https://doi.org/10.1080/1057610X.2023.2221509
Thomson, J. E. (1994). Mercenaires, pirates et souverains : State-Building and Extraterritorial Violence in Early Modern Europe. Princeton University Press. http://www.jstor.org/stable/j.ctt7t30p Van Ginkel, Bibi & Entenmann, E (2016),The Foreign Fighters Phenomenon in the European Union. Profiles, Threats & Policies’, The International Centre for Counter-Terrorism – The Hague (ICCT) Evolutions in Counter-Terrorism, Vol. 1 (November 2020 [2016]) : 11-18.