1. Introduction
L’insécurité est devenue un problème grave dans de nombreuses régions d’Afrique, en particulier dans la région du Sahel (Raga, Lemma & Keane, 2023 ; Bøås, 2019 ; Adedoyin, 2014 ; Stewart, 2002). L’insécurité dans ces régions est marquée par une augmentation de la violence armée, la présence généralisée de groupes radicalisés et l’érosion de l’autorité de l’État. Cela a transformé le Sahel en un environnement complexe et volatile (Nwizu & Alozie, 2018 ; Abdel-Latif & El-Gamal, 2024 ; Bannon & Collier, 2003).
Les causes de la contagion de la sécurité en Afrique ont fait l’objet de nombreuses études, dont la plupart se concentrent sur des facteurs internes tels que les défaillances de la gouvernance, les inégalités économiques et les tensions ethniques. Cependant, on comprend mal comment les facteurs externes – en particulier dans des régions comme le Sahel, où l’Afrique a été un champ de bataille stratégique pour les puissances mondiales – contribuent à la contagion de la sécurité. Ces facteurs externes, qui agissent par l’intermédiaire de groupes de mercenaires, de rivalités entre puissances mondiales et de conflits géopolitiques, n’ont été explorés que superficiellement dans la littérature sur la sécurité en Afrique.
Ce document vise à combler cette lacune en examinant le rôle des forces extérieures dans la contribution à l’insécurité et dans l’élaboration de modèles plus larges de contagion de la sécurité sur le continent africain. En explorant le Groupe Wagner, l’influence de la guerre Russie-Ukraine et les interventions stratégiques des puissances mondiales, l’étude cherche à fournir une compréhension équilibrée de la façon dont les forces extérieures exacerbent les défis locaux en matière de sécurité. Le document analysera également les implications de ces interventions extérieures en utilisant des cadres théoriques tels que la théorie géopolitique, la théorie de la dépendance et la théorie critique pour comprendre les modèles plus larges de pouvoir et d’exploitation qui façonnent le paysage sécuritaire de l’Afrique.
2. Analyse documentaire et cadre théorique
La littérature sur l’insécurité en Afrique se concentre en grande partie sur la faible gouvernance, les inégalités socio-économiques et les conflits ethniques, entre autres facteurs internes qui alimentent le discours (voir Lukwa et al., 2020 ; Nwizu & Alozie, 2018 ; Jinadu, 2007). Cependant, de plus en plus de travaux reconnaissent le rôle des acteurs extérieurs, des interventions militaires étrangères, du trafic d’armes et de l’implication des groupes mercenaires dans l’alimentation de l’insécurité en Afrique, comme le montrent Eyeh et al. (2023). Ces travaux soulignent également que les intérêts stratégiques des puissances mondiales sont souvent à l’origine de l’insécurité en soutenant des régimes autoritaires, des conflits liés aux ressources et des interventions militaires qui bouleversent la gouvernance locale.
Trois perspectives théoriques seront appliquées pour analyser les catalyseurs externes de l’insécurité :
2.1 Théorie géopolitique
La théorie géopolitique se concentre sur le rôle des intérêts stratégiques des puissances mondiales dans l’élaboration des résultats en matière de sécurité (Topalidis et al., 2024 ; Cannon, 2024 ; Lah, 2014). Les superpuissances mondiales comme la Russie, la France et les États-Unis se livrent à des luttes de pouvoir en Afrique, agissant comme des marionnettistes qui tirent les ficelles. Le résultat de ce jeu de pouvoir est l’instabilité, car les États africains s’empêtrent dans des guerres géopolitiques de domination, où les ennemis et les alliés des puissances mondiales deviennent aussi ceux des États africains (Ismail, 2024 ; Hörter, 2022 ; Siegle, 2021).
2.2 Théorie de la dépendance
La théorie de la dépendance évalue comment la dépendance des nations africaines à l’égard des puissances extérieures pour l’aide militaire et économique accroît l’insécurité. Selon cette théorie, l’exploitation extérieure des ressources africaines, associée à des structures de gouvernance faibles, crée un cycle de dépendance qui empêche les États africains de contrôler leur sécurité et leur développement (Namkoong, 1999 ; Dietz, 1980). Cette dépendance rend les États africains vulnérables à l’influence étrangère, renforçant ainsi l’insécurité.
2.3 Théorie critique
La théorie critique met en évidence les inégalités structurelles ancrées dans les relations de pouvoir mondiales (Thompson, 2017 ; Rodney, 1972). Les interventions extérieures en Afrique sont souvent présentées comme des efforts visant à maintenir les inégalités mondiales, où les États africains sont des objets d’influence étrangère plutôt que des acteurs autonomes. La théorie critique explore également la manière dont les interventions – même celles qui sont présentées comme humanitaires ou stabilisatrices – aboutissent à l’exploitation et à l’érosion de l’autonomie africaine.
3. Analyse des catalyseurs externes
3.1 Le groupe Wagner et les activités mercenaires
La présence du groupe Wagner au Sahel, en particulier au Mali, illustre la relation entre les théories géopolitiques et les théories de la dépendance. L’importance stratégique de l’Afrique, sa richesse en ressources naturelles et sa proximité avec l’Europe ont attiré des acteurs extérieurs comme la Russie, qui considèrent le Sahel comme une région clé pour étendre leur influence. Les opérations du groupe Wagner au Mali reflètent la stratégie plus large de la Russie visant à contrer la domination occidentale, en particulier l’influence française dans la région.
Du point de vue de la théorie de la dépendance, la faiblesse des institutions politiques du Sahel permet aux groupes mercenaires d’exploiter les vides de pouvoir et d’aggraver l’insécurité locale. Des pays comme le Mali, où la gouvernance est fragile, luttent pour résister aux acteurs militaires extérieurs. Le soutien de Wagner aux gouvernements autoritaires renforce ces dépendances, perpétuant l’exploitation économique et politique tout en déstabilisant les structures de gouvernance locales.
3.2 La guerre entre la Russie et l’Ukraine et son impact sur la sécurité africaine
La guerre entre la Russie et l’Ukraine a des implications significatives pour la sécurité de l’Afrique du point de vue de la théorie géopolitique. Alors que la guerre détourne l’attention et les ressources de l’Occident, la Russie a saisi l’occasion d’étendre son influence en Afrique, en particulier au Sahel. La vulnérabilité croissante de l’Afrique est liée aux changements géopolitiques mondiaux, les puissances extérieures se disputant la domination tandis que les conflits locaux s’intensifient.
Du point de vue de la théorie critique, les retombées économiques de la guerre, telles que l’augmentation des prix des denrées alimentaires et du carburant, ont aggravé les vulnérabilités socio-économiques au Sahel, ce qui a rendu plus difficile le maintien de la stabilité par les gouvernements locaux. En outre, le recrutement par la Russie de jeunes Africains pour combattre en Ukraine illustre l’exploitation des vulnérabilités de l’Afrique à des fins géopolitiques, ce qui affaiblit encore la souveraineté.
3.3 Rivalités de pouvoir et exploitation stratégique au niveau mondial
La concurrence pour les ressources naturelles et le positionnement géopolitique de puissances mondiales telles que les États-Unis, la Chine, la France et la Russie ont des conséquences directes sur la sécurité au Sahel. La théorie géopolitique explique comment les différents acteurs extérieurs donnent la priorité à leurs intérêts par rapport aux besoins locaux en matière de sécurité. La concurrence pour les ressources telles que l’or et l’uranium a contribué à la militarisation de la région et au renforcement des insurgés armés.
La théorie de la dépendance souligne comment la dépendance à l’égard de l’aide militaire et économique étrangère exacerbe les conflits internes et accroît la dépendance. Ces interventions stabilisent souvent temporairement des situations, mais servent avant tout les intérêts des puissances étrangères et des élites locales, perpétuant ainsi l’insécurité et l’exploitation.
3.4 Le rôle des partenariats internationaux
Les partenariats internationaux avec d’anciennes puissances coloniales comme la France ou des puissances émergentes comme la Chine et la Russie façonnent de manière critique le paysage sécuritaire de l’Afrique. Du point de vue de la théorie critique, ces partenariats renforcent souvent les inégalités mondiales, positionnant les États africains comme des bénéficiaires plutôt que comme des acteurs autonomes.
Ces partenariats réagissent souvent à des menaces immédiates telles que le terrorisme, sans s’attaquer aux causes profondes de l’insécurité, telles que la pauvreté, la corruption et la faiblesse des institutions. La dépendance à l’égard du soutien militaire extérieur au lieu du renforcement des capacités internes contribue à l’insécurité persistante.
4. Conclusion
L’analyse démontre que l’insécurité en Afrique, en particulier dans la région du Sahel, est due non seulement à des facteurs internes, mais aussi à des acteurs externes qui utilisent ces facteurs comme des pions dans une lutte plus large pour la domination. Comme l’a affirmé Walter Rodney, l’Afrique continue d’être exploitée pour développer des puissances extérieures.
Les dirigeants africains doivent faire valoir leurs intérêts tout en s’engageant dans la coopération mondiale. Ce faisant, ils peuvent éviter les pièges de la dépendance et s’assurer que les influences extérieures apportent une contribution positive. La collaboration mondiale devrait non seulement impliquer le partage des connaissances et des ressources, mais aussi donner aux agences africaines les moyens de poursuivre leur croissance de manière durable et indépendante.
Référence
Abdel-Latif, H. et El-Gamal, M. (2024). Fraying Threads : Exclusion and Conflict in Sub-Saharan Africa (4e éd., Vol. 2024). Fonds monétaire international.
Adedoyin, A. (2014). Peace, security and development studies, global system in search of social security and improvement, Ibadan : John Archers Publishers
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