Le 26 août 2024, la ville burkinabé de Barsalogho a été le théâtre d’une nouvelle attaque dévastatrice, au cours de laquelle environ 200 personnes ont été tuées et 140 autres blessées. Cette attaque, menée par le groupe Jama’at Nusrat al-Islam wal-Muslimin (JNIM), lié à Al-Qaïda, s’inscrit dans une série d’offensives violentes qui ont frappé le Burkina Faso ces dernières années, aggravant la crise dans ce pays d’Afrique de l’Ouest déjà en proie à des difficultés.
Informations sur la Jama’at Nusrat al-Islam wal-Muslimin (JNIM)
Le JNIM, une coalition de groupes djihadistes en Afrique de l’Ouest, constitue une force de déstabilisation importante dans la région du Sahel depuis sa formation en 2017. Le groupe, qui est lié à Al-Qaïda, est né de la fusion de plusieurs factions extrémistes, dont Ansar Dine, Al-Mourabitoun et la branche saharienne d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Le JNIM a revendiqué de nombreuses attaques au Mali, au Niger et au Burkina Faso, ciblant à la fois les forces militaires et les civils dans sa quête d’expansion de son influence et de son contrôle sur la région.
Au Burkina Faso, les opérations du JNIM sont devenues de plus en plus effrontées et meurtrières. Le groupe a exploité l’instabilité politique, les difficultés économiques et les tensions ethniques du pays pour recruter des combattants et établir des bastions dans les zones rurales. En conséquence, de grandes parties du nord et de l’est du Burkina Faso sont devenues inaccessibles au gouvernement, le JNIM exerçant un contrôle de facto sur ces territoires.
Le JNIM a orchestré plusieurs attaques au Burkina Faso et au Mali, s’imposant comme le groupe militant le plus actif dans la région du Sahel, selon les données de l’organisation de suivi des conflits ACLED. Les données montrent qu’entre 2017 et 2023, le JNIM a été impliqué dans plus de la moitié des incidents violents dans la région du Sahel, en grande partie en raison de sa compétence accrue dans le déploiement de bombes en bord de route, de mortiers, de mines terrestres et de roquettes. Les rapports de l’ACLED indiquent que les affrontements les plus intenses du JNIM ont eu lieu avec l’armée du Burkina Faso (1 762 affrontements) et l’armée malienne (945 affrontements). Le groupe s’en prend aussi fréquemment aux milices volontaires et aux communautés perçues comme soutenant les gouvernements de ces pays.
En février 2024, des militants du JNIM ont attaqué une mosquée et une église dans le nord du Burkina Faso, causant la mort de dizaines de fidèles dans les villages de Natiaboani et d’Essakane. Plus tard dans le mois, le groupe a lancé des attaques encore plus meurtrières contre les villes de Kamsilga (province du Kadiogo – centre du Burkina Faso), Soro et Nodin (province du Yatenga – nord du Burkina Faso), où il a tué plus de 170 personnes, dont des femmes et des enfants.
Quelques mois plus tard, le JNIM a revendiqué l’une des attaques les plus meurtrières contre les forces gouvernementales, déclarant avoir tué plus de 100 soldats dans une base militaire à Mansila (province de Yagha), une région septentrionale proche du Niger. Les experts en sécurité ont noté qu’il s’agissait de l’une des frappes les plus meurtrières contre les troupes gouvernementales. Le groupe a également affirmé avoir capturé sept soldats et saisi d’importantes quantités d’armes et de munitions. Le groupe finance ses activités en versant des rançons à la suite d’enlèvements, en taxant les habitants, en faisant de la contrebande d’armes et en extorquant les trafiquants de drogue et d’êtres humains dans la région du Sahel.
L’attentat meurtrier de Barsalogho
Au Burkina Faso, les attaques terroristes restent fréquentes. La dernière en date, survenue à Barsalogho, une commune rurale de la province du Sanmatenga (région Centre-Nord), a choqué plus d’un. Selon le porte-parole du gouvernement, Jean Emmanuel Ouédraogo, l’attaque s’est produite en plein jour, alors que les gens travaillaient dans la commune. Il l’a qualifiée de « lâche et barbare ».
Aucun bilan officiel n’a été communiqué. Cependant, un collectif d’habitants a fait état d’au moins 400 morts dans une déclaration publiée le 25 août 2024. La déclaration citait des témoignages de familles et de sources locales crédibles, dans l’attente d’un décompte exhaustif des pertes humaines. Plusieurs médias ont rapporté que des centaines de blessés ont été admis dans les hôpitaux de Kaya (40 kilomètres de Barsalogho) et de Ouagadougou (140 kilomètres de Barsalogho).
Selon le « Collectif Justice pour Barsalogho », l’attaque « s’est produite parce que les habitants de Barsalogho sont sortis en grand nombre pour creuser une tranchée autour de la commune afin de servir de tranchée de combat contre les terroristes, comme l’a recommandé le président Ibrahim Traoré ».
En effet, lors d’une rencontre avec les VDP (Volontaires pour la Défense de la Patrie) le 23 mai 2024 à Ouagadougou, le chef de l’Etat, Ibrahim Traoré, agissant en tant que chef suprême des forces armées, a ordonné aux civils de construire des tranchées pour leur sécurité en cas d’attaque terroriste, en attendant l’intervention de l’armée. « Vous devez organiser les gens partout pour dégager les routes (…) tout le monde doit se mettre au travail. Vous devez creuser des tranchées dans vos communes et villages (…) vous allez mobiliser vos populations pour creuser des tranchées et vous protéger jusqu’à ce que les engins arrivent pour approfondir les tranchées », a déclaré le Président.
L’attaque de Barsalogho a plongé la population locale dans un état de colère. « Nous rappelons aux autorités que ce drame engage pleinement la responsabilité de l’Etat, car il est la conséquence d’un choix de méthode qui apparaît, à ce jour, plus qu’hasardeux, notamment la stratégie des tranchées et l’incurie militaire du détachement. Nos parents ont été conduits à l’abattoir », indique le communiqué de presse du Collectif.
Ce n’est pas la première fois dans l’histoire du « pays des hommes intègres » qu’une attaque se produit lors de travaux de construction de tranchées. En juin 2024, Rassouli, un village de la province du Yatenga (région du Nord), a été le théâtre d’un incident sécuritaire. « Les VDP et les FDS, soutenus par la population locale, étaient occupés à creuser des tranchées lorsqu’ils ont été surpris et massacrés par des terroristes », rapporte le journaliste Newton Ahmed Barry.
Au-delà des messages de soutien et de compassion à l’égard du gouvernement, certaines organisations de la société civile haussent le ton. C’est le cas du Socle Citoyen pour la Libération (SOCL) qui appelle le gouvernement à sortir de son silence et à communiquer de manière responsable, sincère et prompte, pour éviter les malentendus, les interprétations et les superstitions de toutes sortes. « Au nom de l’intérêt national, cette situation interpelle l’ensemble de l’exécutif, les acteurs et toutes les institutions de la Transition à reconnaître les difficultés de ce combat et surtout à procéder à une réévaluation complète et approfondie de la gestion de la crise sécuritaire et de la Transition pour sauver l’unité nationale et l’intégrité de notre territoire », lit-on dans le communiqué.
Il convient de noter que depuis l’arrivée au pouvoir du président Ibrahim Traoré en octobre 2022, le gouvernement du Burkina Faso a cessé de publier des communiqués de presse relatifs aux attaques terroristes, et tous les médias sont tenus de se conformer à cette directive.
Suite à l’attentat de Barsalogho, des voix se sont élevées sur les réseaux sociaux. Selon un internaute, « nous ne pouvons pas rester longtemps silencieux face aux drames qui surviennent à intervalles réguliers au Burkina. Notre gouvernement a choisi de se taire et de nous cacher la vérité. Nos journalistes et autres élites intellectuelles ont choisi, par peur des enlèvements, de respecter ce vœu.
Dans un pays où la dénonciation des agissements du gouvernement peut entraîner toutes les formes de représailles, combien de temps les Burkinabè resteront-ils silencieux face à la perte de leurs familles ? Quelle sera la solution miracle du régime actuel, qui avait promis trois mois pour mettre fin au terrorisme au Burkina Faso ? Le président Ibrahim Traoré va-t-il enfin abandonner son projet d’obliger la population à creuser des tranchées pour se protéger ? Autant de questions auxquelles les Burkinabès espèrent avoir des réponses.
Quelles sont les implications en matière de sécurité pour le Burkina Faso et les pays voisins ?
Le massacre de Barsalogho souligne les graves problèmes de sécurité auxquels est confronté le Burkina Faso. Le pays s’efforce de contenir la propagation de la violence djihadiste depuis 2015, et la situation n’a fait qu’empirer ces dernières années. L’attaque démontre non seulement les capacités croissantes du JNIM, mais met également en évidence la fragilité des forces militaires du Burkina Faso, qui n’ont pas été en mesure de protéger les civils ou d’empêcher les gains territoriaux du groupe.
Les implications de cette attaque dépassent les frontières du Burkina Faso. Les activités du JNIM ont un effet déstabilisateur sur l’ensemble de la région du Sahel, menaçant la sécurité des pays voisins tels que le Mali, le Niger et même des pays côtiers comme le Ghana et la Côte d’Ivoire. Ces pays ont déjà connu des débordements de violence en provenance du Burkina Faso, et l’audace croissante du JNIM pourrait conduire à davantage d’attaques transfrontalières, exacerbant encore la crise sécuritaire de la région.
De plus, l’attaque de Barsalogho soulève des inquiétudes quant à la possibilité d’une catastrophe humanitaire. Le déplacement de civils, la destruction d’infrastructures et la perturbation des activités agricoles ont laissé de nombreuses communautés dans un besoin urgent d’assistance. La communauté internationale, y compris les Nations unies, a condamné la violence, mais des efforts plus coordonnés et plus robustes sont nécessaires pour s’attaquer aux causes profondes de la crise et soutenir les populations touchées.
Conclusion
Le massacre de Barsalogho est un rappel brutal de la crise qui s’aggrave au Burkina Faso et dans l’ensemble de la région du Sahel. Alors que le JNIM continue d’affirmer sa domination par des attaques brutales, la sécurité de millions de personnes est en jeu. La communauté internationale doit s’attaquer d’urgence à cette menace croissante, non seulement pour stabiliser le Burkina Faso, mais aussi pour empêcher la propagation de la violence dans toute l’Afrique de l’Ouest. Sans une action décisive, la paix fragile de la région pourrait s’effondrer, entraînant des souffrances encore plus grandes pour ses habitants.
Références
https://news.un.org/en/story/2024/07/1152396
https://acleddata.com/?s=sahel