Introduction
Depuis avril 2023, le conflit entre les Forces armées soudanaises (SAF) et les Forces de soutien rapide (RSF) a dévasté le tissu politique, humanitaire et social du Soudan. Au milieu de la violence, un autre front a émergé : le domaine de l’information numérique. Ce qui aurait pu n’être qu’une propagande auxiliaire fonctionne désormais comme un théâtre de conflit distinct. Cet article examine comment la désinformation en ligne, les tactiques des fermes à trolls et les contenus émergents pilotés par l’intelligence artificielle sont devenus des outils d’influence dans la guerre du Soudan. Ce faisant, il affirme que le domaine numérique n’est plus un spectacle secondaire ; il façonne les récits du champ de bataille, fausse la dynamique diplomatique et aggrave les tensions ethniques.
Campagnes de désinformation soutenues par les États
Les Forces armées soudanaises et les Forces de sécurité soudanaises ont reconnu l’importance de contrôler les récits. Par exemple, de fausses affirmations de victoires sur le champ de bataille et des attributions erronées de massacres apparaissent fréquemment dans les médias sociaux, souvent avant qu’une vérification ne soit possible. Selon une étude humanitaire, « la désinformation et les discours haineux ont été utilisés comme des outils de guerre délibérés, pour déformer les récits, briser la confiance sociale et saper la réponse humanitaire » (CDAC Network, 2025). De même, des chercheurs indépendants notent qu’au Soudan, la manipulation numérique est passée du stade de l’incident à celui de la systématisation (Greco, 2024).
L’objectif stratégique est clair : en contrôlant ce que le public voit et croit, chaque faction tente d’influencer la population nationale, les communautés de la diaspora et les acteurs internationaux. Dans certains cas, cela conduit les acteurs humanitaires à répondre à de fausses alertes ou à modifier les voies d’accès sur la base de menaces fallacieuses. En bref, l’environnement de l’information est devenu un multiplicateur de force dans le conflit.
Les fermes à trolls et l’internationalisation des guerres médiatiques
Au-delà de la propagande officielle de l’État, il existe un réseau moins visible de comptes automatisés et de campagnes orchestrées. Les acteurs nationaux et les fermes à trolls basées à l’étranger exploitent les sujets en vogue, les hashtags et les contenus viraux pour amplifier les messages favorables. Par exemple, on a observé que le FSR avait recours à la publication massive de messages sur X (anciennement Twitter) dans le but de donner une impression de légitimité et d’élan (SMEX, 2023).
La conséquence est que l’opinion en ligne devient moins organique et plus artificielle. Les diplomates internationaux, les analystes et les journalistes qui consultent les flux des médias sociaux peuvent consommer par inadvertance des récits manipulés. Les implications s’étendent à la politique internationale : si les gouvernements étrangers pensent qu’un camp progresse ou qu’une atrocité est imminente (sur la base d’un contenu manipulé), cela peut déclencher des sanctions, des réponses humanitaires ou des initiatives diplomatiques qui auraient pu être mal informées.
Discours de haine, polarisation ethnique et violence en ligne
Le contenu numérique ne se limite pas aux revendications sur le champ de bataille et aux récits de victoire. Il comprend également les discours de haine et les messages à caractère ethnique. Une étude récente portant sur le Soudan affirme que « les discours de haine et la désinformation sont utilisés pour manipuler la perception du public et intensifier les tensions ethniques, principalement par le biais de plateformes numériques » (Slom, 2025, p. 1). Ces campagnes en ligne peuvent vilipender des communautés entières, ressusciter des récits de griefs et encourager la mobilisation des milices.
En effet, la rhétorique numérique devient un catalyseur de la violence hors ligne. Les communautés qui se sentent menacées ou diabolisées sont plus susceptibles de réagir par des activités de milice ou d’autodéfense. Il en résulte un schéma cyclique où la provocation en ligne déclenche des représailles dans le monde réel, qui sont ensuite représentées en ligne pour susciter davantage d’indignation.
Contenu généré par l’IA et propagande automatisée
Les progrès récents de l’intelligence artificielle générative accélèrent le risque de désinformation. Au Soudan, des organisations de vérification des faits ont identifié des enregistrements audio trompeurs attribués à des acteurs connus et des enregistrements à voix modulée diffusés en ligne (African Arguments, 2024). À l’échelle mondiale, des recherches soulignent que « des vidéos deepfake pourraient être utilisées pour dépeindre des crimes de guerre commis par l’une ou l’autre partie, incitant à davantage de violence » (Albader, 2025).
Ces évolutions sont importantes car elles réduisent les barrières à l’entrée pour la production de propagande. Des outils moins coûteux permettent à des acteurs non étatiques, à des réseaux de mandataires et même à des services commerciaux locaux de produire des contenus falsifiés convaincants. Une fois que ce contenu s’infiltre dans les canaux médiatiques internationaux, le défi de l’authenticité s’accroît, la confiance dans toutes les preuves vidéo ou audio peut s’effondrer. Du point de vue de l’analyse des conflits, cela augmente le coût de la vérification pour les ONG, les médiateurs et les journalistes et amplifie la valeur stratégique de la tromperie.
Implications pour la paix, la diplomatie et l’action humanitaire
Les ramifications de la guerre de l’information dans le conflit soudanais sont vastes. Tout d’abord, les négociations de paix et les pourparlers sur le cessez-le-feu peuvent être entamés ou bloqués sur la base d’allégations de violations qui ne peuvent être vérifiées. Si l’une des parties revendique une atrocité majeure ou une victoire stratégique, l’autre partie peut estimer qu’elle ne peut pas négocier en position de faiblesse. Deuxièmement, l’accès humanitaire est compromis. Les fausses alertes, les rapports de sécurité manipulés et la méfiance générée par la désinformation peuvent retarder ou bloquer l’acheminement de l’aide. Par exemple, la désinformation a « alimenté la confusion, retardé l’aide et mis davantage de vies en danger » lors des inondations et du conflit au Soudan (Khalifa, 2024).
Lorsque les récits en ligne ciblent des groupes ethniques ou encouragent la vengeance, la cohésion sociale se détériore et la consolidation de la paix au niveau local devient plus difficile. Les groupes engagés dans la guerre numérique étendent le conflit à la vie quotidienne des civils.
Conclusion
La guerre au Soudan n’est pas seulement menée avec des armes, des territoires et des hommes. Elle se déroule sur des lignes de temps, des fils de discussion dans les médias sociaux, des flux vidéo en direct et des enregistrements audio viraux. La désinformation en ligne, les campagnes d’incitation à la haine et les contenus générés par l’IA font partie d’une stratégie plus large d’influence malveillante qui façonne la trajectoire de la violence, de la diplomatie et de la réponse humanitaire. Pour les acteurs qui recherchent la paix et la stabilité, ignorer la dimension numérique n’est plus une option. Une intervention efficace exigera des programmes d’alphabétisation numérique, des mécanismes de vérification, la responsabilisation des plateformes et la reconnaissance du fait que l’information est un domaine de guerre en soi.
Références
Albader, F. (2025). Synthetic media as a risk factor for genocide (Les médias synthétiques comme facteur de risque de génocide). Case Western Reserve Journal of International Law and Technology.
Réseau CDAC. (2025, 8 août). La guerre de l’information au Soudan : How weaponised online narratives shape humanitarian crisis and response. https://www.cdacnetwork.org/s/CDAC_Harmful-information-Sudan_Flagship-Report.pdf
Greco, A. (2024, 28 juin). La guerre civile au Soudan et l’avenir de la guerre de l’information. Encyclopedia Geopolitica. https://encyclopediageopolitica.com/2024/06/28/sudans-civil-war-and-the-future-of-information-warfare/
Ibrahim, H. A. H. (2023). Digital warfare : Exploration de l’influence des médias sociaux dans la propagation et la lutte contre la haine. Publications de l’Institut Chr. Michelsen .
Khalifa, M. (2024, 30 octobre). La désinformation aggrave l’impact du conflit et des inondations au Soudan. Blogs de l’IWMI. Consulté sur https://www.iwmi.org/blogs/misinformation-deepens-the-impact-of-conflict-and-floods-in-sudan/
Krack, N. (2025). Generative artificial intelligence and disinformation. Dans Gori, P., & Ginsborg, L. (Eds.), Handbook on Disinformation : A Multidisciplinary Analysis. Springer.
Slom, F. A. A. (2025). Discours de haine et désinformation au Soudan : Impact on local peace. Journal of International Relations and Peace, 2(1)
SMEX. (2023, 19 mai). Comment les campagnes de désinformation mettent des vies en danger au Soudan. Extrait de https://smex.org/how-disinformation-campaigns-endanger-lives-in-sudan/




























