Le monde interconnecté, caractéristique de la mondialisation du 21e siècle, est entré dans une ère où le concept fondamental de la souveraineté de l’État est confronté à des défis sans précédent. Alors que les traités historiques, de Westphalie à la Charte des Nations unies, définissaient et protégeaient méticuleusement l’autorité exclusive de l’État sur son territoire et ses affaires intérieures, l’avènement de la guerre de l’information a brouillé ces lignes. Les événements récents, notamment les manifestations de jeunes au Bangladesh (2024), au Népal et à Madagascar (2025), ainsi que les manifestations en cours au Maroc à l’heure où nous écrivons ces lignes, constituent une étude de cas convaincante de la manière dont l’influence étrangère malveillante peut utiliser les plateformes numériques pour saper la souveraineté de l’État, même en l’absence d’une intervention militaire traditionnelle.
La souveraineté en danger : Une perspective historique répond aux menaces modernes
L’évolution de la souveraineté, depuis l’intégrité territoriale établie par le traité de Westphalie (1648) jusqu’au principe de non-intervention renforcé par la charte des Nations unies (1945), a toujours mis l’accent sur l’autorité suprême de l’État à l’intérieur de ses frontières. Cependant, la guerre de l’information introduit une nouvelle forme d’ingérence extérieure, en pénétrant le domaine cognitif de la population d’un État cible sans franchir de frontières physiques. Cette pénétration numérique remet directement en question les principes fondamentaux de la non-ingérence.
Le traité d’Utrecht (1713) et le congrès de Vienne (1815) ont consolidé les notions de territoires définis et de gouvernance légitime. Pourtant, les campagnes de l’IGF cherchent aujourd’hui à déstabiliser ces mêmes éléments en érodant la confiance du public dans les institutions et les dirigeants, en attaquant leur légitimité par le biais de récits propagés en ligne. En outre, le traité de Versailles (1919) mettait l’accent sur l’autodétermination nationale, un principe aujourd’hui directement remis en cause par les tentatives des FMI de manipuler la volonté populaire et de détourner les processus décisionnels nationaux.
La génération Z et le nouveau champ de bataille de l’influence
La récente vague de protestations menée par la génération Z offre une illustration frappante de ce nouveau paradigme. Au Bangladesh, au Népal et à Madagascar, ces mouvements auraient contribué à renverser des gouvernements, tandis que des dynamiques similaires se déroulent au Maroc. Une caractéristique frappante de ces manifestations est leur organisation et leur coordination par le biais de forums en ligne et de réseaux de médias sociaux. Les participants semblent souvent se faire l’écho de messages et de revendications similaires, ce qui laisse soupçonner une opération d’information coordonnée.
La remarque du président malgache, après le limogeage de son premier ministre et de son gouvernement, selon laquelle les manifestants continuaient d’insister sur sa propre démission, souligne ce point. Elle suggère un discours fixe et progressif, imperméable à toute concession véritable, ce qui est la marque d’une campagne efficace de l’IGF.
Ce phénomène est cohérent avec les tactiques de l’IGF qui exploitent les griefs nationaux authentiques, puis les amplifient et les réorientent vers des objectifs plus radicaux. En saturant les espaces en ligne avec des récits spécifiques, souvent incendiaires, les acteurs de l’IGF peuvent créer des « chambres d’écho » numériques, donnant l’impression qu’une demande singulière et extrême représente la volonté de la population. Cela subvertit la notion même de souveraineté populaire, en remplaçant la dissidence organique par une agitation guidée de l’extérieur.
Le piège de la souveraineté : le dilemme du gouvernement
Les gouvernements confrontés à ces protestations amplifiées par le numérique font face à un profond dilemme – un « piège de souveraineté » orchestré par la guerre de l’information. Toute réponse traditionnelle risque de valider le discours de l’IGF et d’entraîner de graves réactions internationales :
- Le recours à la force : Bien qu’il s’agisse d’un droit inhérent à un État souverain de maintenir l’ordre, le déploiement de la force contre les manifestants à l’ère des appareils d’enregistrement omniprésents et de la diffusion mondiale instantanée est immédiatement transformé en arme par l’IGF. Les images de la répression étatique sont présentées comme des « brutalités policières » et de l' »autoritarisme », ce qui entraîne une condamnation internationale, des sanctions et une érosion supplémentaire de la légitimité de l’État.
- Restrictions de l’Internet et de la liberté d’expression : La restriction de l’accès à Internet ou de la liberté d’expression, bien qu’il s’agisse d’une prérogative souveraine d’un État sur son infrastructure de communication, est présentée par l’IGF comme la preuve d’un régime tyrannique qui a peur de son propre peuple. De telles actions freinent rarement l’organisation de manière efficace (les manifestants trouvant des solutions de contournement) et isolent davantage le gouvernement, sapant ses revendications de légitimité démocratique tant au niveau national qu’international.
Naviguer sur la ligne de front numérique : Une voie à suivre
Pour contrer cette forme sophistiquée d’érosion de la souveraineté, les gouvernements doivent adopter une stratégie nuancée et multidimensionnelle qui va au-delà des réponses traditionnelles en matière de sécurité :
- Répondre aux véritables griefs : Identifier de manière proactive et traiter de manière visible les principaux problèmes domestiques qui alimentent le mécontentement. De véritables réformes politiques et des mécanismes transparents de responsabilisation peuvent délégitimer le discours de l’IGF en démontrant que le gouvernement est réactif et efficace.
- Révéler l’influence malveillante : Développer des capacités solides pour détecter et attribuer de manière transparente les opérations d’influence malveillante. Le fait d’exposer publiquement les acteurs étrangers et leurs tactiques, en s’appuyant sur des preuves crédibles, peut vacciner la population contre la manipulation sans diaboliser les dissidents légitimes.
- Renforcer la résilience numérique : Investissez dans des programmes d’alphabétisation numérique pour les citoyens, en leur donnant les moyens d’évaluer de manière critique les informations en ligne et de reconnaître les tactiques de manipulation. Parallèlement, les gouvernements devraient s’engager de manière proactive sur les médias sociaux, en contrant la désinformation par des faits et en proposant des récits alternatifs positifs adaptés aux natifs numériques.
- Restriction stratégique : Faites preuve d’une extrême prudence et de retenue dans l’usage de la force ou la restriction des libertés numériques. Privilégiez la désescalade, le dialogue et les modèles de maintien de l’ordre respectueux des droits. Toutes les mesures de sécurité nécessaires doivent être proportionnées, transparentes et vérifiables de manière indépendante afin d’empêcher les FMI de les exploiter à des fins de propagande.
L’émergence des protestations de la génération Z, potentiellement influencées par des acteurs étrangers utilisant la guerre de l’information, nous rappelle avec force que la souveraineté auXXIe siècle s’étend au-delà des frontières physiques, dans les domaines numérique et cognitif. Les gouvernements doivent adapter leur compréhension des menaces et leurs stratégies de réponse pour défendre leur intégrité nationale contre ces formes d’intervention en constante évolution.
Références
Boratov, S., (2025). « Guerre cognitive et résilience démocratique : Les défis de la sécurité à l’ère de l’influence« . Research Gate. http://dx.doi.org/10.2139/ssrn.5377564
Guildes d’histoire. Le traité de Versailles. La guilde de l’histoire. https://historyguild.org/the-treaty-of-versailles/




























