La présence de la Russie en Afrique a pris une nouvelle forme. Pendant des années, le groupe Wagner, une société militaire privée autrefois dirigée par Yevgeny Prigozhin, a été le principal instrument de sécurité du Kremlin sur le continent. Wagner s’est taillé une influence dans les États fragiles en fournissant une protection du régime, une formation militaire et un soutien sur le champ de bataille, souvent en échange de droits miniers lucratifs et d’une influence politique.
Cependant, tout a changé en août 2023 avec la mort de Prigozhin. Le Kremlin a agi rapidement en démantelant l’empire semi-autonome de Wagner et en le reconstituant sous le nom d’African Corps, une entité qui relève du ministère russe de la défense et qui est désormais entièrement contrôlée par l’État russe. Cette décision marque un tournant clair dans la stratégie à long terme de Moscou en Afrique et officialise l’empreinte militaire de la Russie sur le continent.
Bref historique de l’empreinte de Wagner en Afrique
Le parcours africain du groupe Wagner a commencé au Soudan en 2017, où il a obtenu des concessions d’exploitation aurifère tout en formant des forces de sécurité (Sukhankin, 2019). En 2018, Wagner s’est étendu à la République centrafricaine (RCA), offrant une protection personnelle au président Touadéra et s’engageant dans des combats contre les factions rebelles, tout en contrôlant des mines de diamants (Stronski, 2020). Sa portée s’est rapidement étendue à la Libye et au Mozambique, ainsi qu’à la région du Sahel, en particulier au Mali et au Burkina Faso, où la Russie s’est positionnée comme une alternative aux partenaires occidentaux traditionnels en matière de sécurité dans un contexte de menaces djihadistes croissantes (Council on Foreign Relations, 2023 ; DIIS, 2025).
Les objectifs stratégiques de Wagner en Afrique comprenaient l’établissement d’un ancrage militaire en Afrique du Nord pour menacer l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et prendre le contrôle du trafic maritime méditerranéen, renforcer la stature mondiale de la Russie en se positionnant comme un acteur clé malgré son isolement international et soutenir des régimes autoritaires pour affaiblir la démocratie et gagner en influence (CISA, 2024).
Cependant, le statut semi-privé de Wagner avait un prix. Le groupe opérait avec une responsabilité floue et un commandement incohérent, et était fréquemment impliqué dans des violations des droits de l’homme, comme le tristement célèbre massacre de 2022 Moura au Mali (Nations Unies, 2022).
Pays | Année d’entrée | Principaux rôles | Statut |
Soudan | 2017 | Formation à la sécurité, mines d’or | En cours (Corps africain) |
RCA | 2018 | Protection du régime, lutte contre les rebelles, extraction de diamants et d’or | En cours |
Libye | 2019 | Soutien militaire à Haftar, sécurité pétrolière | En cours |
Mozambique | 2019 | La contre-insurrection à Cabo Delgado | Échec/retrait |
Mali | 2021 | Lutte contre le terrorisme, protection du régime | En cours |
Burkina Faso | 2022 | Soutien de la junte, présence de la sécurité | Élargissement |
Madagascar | 2018 | Ingérence électorale | Activité passée |
Guinée | 2018 | Exploitation minière, conseil politique | Limitée |
Niger/Tchad | 2023-2024 | Influencer les opérations | L’émergence |
La transition vers l’African Corp: Quoi de neuf ?
Le passage à l’African Corps n’était pas un simple changement de marque cosmétique. Elle reflète une réorganisation fondamentale des opérations africaines de la Russie selon trois axes principaux.
- Intégration de l’État : Le déni plausible qu’offrait la structure obscure de Wagner a disparu. Le Corps africain relève désormais directement du ministère russe de la Défense, sous l’égide de l’état-major général, ce qui garantit un contrôle plus strict et un alignement sur la politique étrangère plus large de Moscou (Kirchgaessner et al., 2023).
- Continuité stratégique avec une nouvelle direction : La contrepartie reste la même : le soutien à la sécurité pour l’accès aux ressources et le soutien politique. Mais les contrats et les bénéfices sont désormais gérés par l’État et alimentent directement les coffres du Kremlin.
- Repositionnement diplomatique : La Russie présente désormais son engagement comme un partenariat officiel d’État à État, se distançant ainsi de l’étiquette de mercenaire de Wagner. Cette évolution est d’autant plus opportune que les forces militaires occidentales se retirent du Sahel, ce qui permet à la Russie de se présenter comme un allié stable et à long terme pour les régimes sceptiques quant aux motivations de l’Occident (Al Jazeera, 2023).
L’importance du Corps africain
- Une responsabilité accrue
Avec le contrôle direct de l’État, tout abus ou atrocité commis impliquera le gouvernement russe, ce qui réduira la capacité du Kremlin à nier sa responsabilité (Nations unies, 2022).
- Dynamique des pouvoirs multipolaires
Le Corps africain incarne le rôle de la Russie en tant qu’acteur clé de l’ordre mondial multipolaire émergent, comblant les vides laissés par le désengagement de l’Occident et affirmant son influence sur le continent.
- Exportation du modèle de gouvernance russe
Au-delà du soutien militaire, le Corps africain porte en lui des éléments du style politique russe : contrôle centralisé, répression de la dissidence et réseaux de mécénat liés aux ressources. Comme les dirigeants africains adoptent ces stratégies pour se maintenir au pouvoir, l’African Corps peut indirectement promouvoir des pratiques de gouvernance autoritaires sur le continent.
Conclusion
Le remplacement de Wagner par l’Africa Corps pourrait consolider le rôle de la Russie en tant que protecteur militaire à long terme des régimes autoritaires en Afrique subsaharienne, en particulier au Sahel. L’African Corps ouvre un nouveau chapitre dans les ambitions africaines de Moscou. Pour les dirigeants locaux, il offre une aide immédiate en matière de sécurité et un poids diplomatique. Mais qu’est-ce que cela pourrait signifier, en particulier pour l’Afrique elle-même ? Nombreux sont ceux qui craignent que cela n’engendre une présence militaire plus profondément ancrée, n’accroisse la répression dans les zones de conflit et n’oriente les pays hôtes vers une architecture militaire à la russe. Plus inquiétant encore est le fait que cela pourrait saper la démocratie et la liberté d’expression ainsi que la perte stratégique d’autonomie en matière de contrôle des ressources et peut-être de politique étrangère, officialisant et étendant ainsi la présence de la Russie dans les pays d’accueil.
Pour de nombreux observateurs, cela soulève toutefois une question cruciale : la présence plus disciplinée et contrôlée par l’État de la Russie favorisera-t-elle la stabilité à long terme ou ne fera-t-elle qu’asseoir un régime autoritaire et une dépendance extérieure sous une autre forme ? Cela reste à voir et le temps nous le dira.
Références
Al Jazeera. (2023, 22 janvier). Le Burkina Faso confirme la fin de la présence militaire française. Al Jazeera.
Lettre d’information CISA. (2024, 22 août). Wagner en Afrique. https://cisanewsletter.com/index.php/the-wagner-group-and-africa/
International Crisis Group. (2020). Le groupe Wagner de la Russie en Libye : Remplir un vide ou alimenter le conflit ? Rapport ICG Afrique n° 257.
Kirchgaessner, S., Harding, L. et Roth, A. (2023, 24 août). Quelle est la prochaine étape pour Wagner après la mort de Prigozhin ? The Guardian.
Sukhankin, S. (2019). Le groupe Wagner de la Russie en Afrique : influence, concessions commerciales et empreinte sécuritaire. Fondation Jamestown.
Nations Unies. (2022). Rapport du Secrétaire général sur la situation au Mali (S/2022/446). Conseil de sécurité des Nations unies.