Introduction
Dans le paysage changeant de l’influence mondiale, l’Afrique est devenue un théâtre stratégique où les grandes puissances – de la Chine et du Japon à la Russie, aux États-Unis et aux États du Golfe – se disputent l’influence économique, politique et sécuritaire. Dans le cadre de forums très médiatisés tels que le Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC), la Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (TICAD), le sommet Russie-Afrique, les sommets États-Unis-Afrique et les rencontres arabo-africaines, ces acteurs favorisent des partenariats à multiples facettes qui vont bien au-delà des paradigmes traditionnels de l’aide. C’est ce que l’on appelle la diplomatie des sommets, une situation dans laquelle des réunions officielles sont organisées entre des chefs d’État ou de gouvernement dans le but, soi-disant, de promouvoir des intérêts mutuels.
Ces rencontres s’articulent souvent autour des thèmes du commerce, de l’investissement, du développement et de la consolidation de la paix. Cependant, sous les apparences d’un « partenariat » se cache une concurrence féroce entre les pays pour obtenir des positions stratégiques, des ressources naturelles et des alliances politiques sur un continent riche en minerais, en marchés et en main-d’œuvre.
Il s’agit presque d’une deuxième ruée vers l’Afrique, mais cette fois-ci sans armes et sans que l’Afrique soit traitée comme une colonie, comme ce fut le cas à l’époque coloniale. La première ruée vers l’Afrique a eu lieu à la fin du XIXe siècle, notamment après la conférence de Berlin de 1884-1885, au cours de laquelle les puissances européennes ont officiellement partagé le continent sans représentation africaine. Entre les années 1880 et le début de la Première Guerre mondiale, la quasi-totalité du continent africain est passée sous contrôle européen, seuls le Liberia et l’Éthiopie conservant leur indépendance (Pakenham, 1991). Ce processus a été marqué par des campagnes militaires agressives, des traités coercitifs et l’exploitation systématique des ressources et de la main-d’œuvre africaines au profit des puissances coloniales (Herbst, 2000).
En revanche, l’engagement actuel envers l’Afrique est moins axé sur la conquête et le contrôle territorial que sur l’influence économique, l’accès aux ressources naturelles, le commerce et les partenariats stratégiques. Contrairement à la domination coloniale ouverte du passé, la concurrence mondiale actuelle sur l’Afrique implique des outils de soft power tels que l’investissement dans les infrastructures, les transferts de technologie, la coopération en matière de sécurité et les alliances diplomatiques (Alden & Large, 2011). Cette compétition moderne peut donc être considérée comme une « deuxième ruée », mais caractérisée par des négociations, des contrats et des projets de développement plutôt que par une colonisation directe.
1. Approfondissement de l’engagement de la Chine via le FOCAC
Lors du sommet de Pékin 2024 du Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC), qui s’est tenu du 4 au 6 septembre, la Chine et 53 États africains ont adopté la déclaration de Pékin, réitérant leur engagement à construire une « communauté sino-africaine de tous les temps avec un avenir commun » (ministère chinois des affaires étrangères, 2024focacsummit.mfa.gov.cn). Le président Xi Jinping a annoncé dix priorités de coopération couvrant la libéralisation du commerce, la coopération de la chaîne industrielle, la connectivité des infrastructures, la santé, l’agriculture, les échanges entre les peuples, le développement vert et la sécurité (sc.china-embassy.gov.cn, focac.org, ministère chinois des affaires étrangères).
Les principales initiatives sont les suivantes :
– Traitement tarifaire zéro pour les pays africains les moins développés dans toutes les lignes tarifaires (sc.china-embassy.gov.cn).
– Projets d’infrastructure – 30 projets de connectivité dans le cadre de Belt and Road, zones commerciales, centres numériques (sc.china-embassy.gov.cn, ministère chinois des Affaires étrangères).
– Développement vert et sécurité – 30 projets d’énergie propre, coopération dans le domaine des satellites, technologie nucléaire, formation de 6 000 militaires et de 1 000 membres des forces de l’ordre, exercices conjoints, lutte contre les mines (ministère chinois des affaires étrangères, focac.org).
La Chine présente le FOCAC comme une vitrine de la coopération Sud-Sud fondée sur la non-ingérence et le respect mutuel, les dirigeants africains affirmant des modèles de gouvernance partagée, la modernisation industrielle et le soutien au Global South (ministère chinois des affaires étrangères, sc.china-embassy.gov.cn).
2. La stratégie remodelée du Japon à la TICAD 9
Lors de la TICAD 9 (Tokyo, 20-22 août 2025), le Japon a annoncé une transition des approches centrées sur l’aide vers un développement mené par le secteur privé. Le sommet a donné la priorité à la co-création, en mettant l’accent sur l’ingéniosité africaine associée à la technologie japonaise, sous le thème « Co-Create Innovative Solutions with Africa » (Co-créer des solutions innovantes avec l’Afrique) (The Economic Times).
Les principaux engagements sont les suivants :
– Un paquet de prêts de 5,5 milliards de dollars via la Banque africaine de développement pour stimuler la connectivité et la croissance industrielle (AP News).
– Lancement d’une zone économique océan Indien-Afrique, reliant les corridors commerciaux entre l’Afrique, l’Inde et le Moyen-Orient (AP News).
– Un engagement à former 30 000 professionnels de l’IA sur trois ans pour accélérer la numérisation (AP News).
– Un prêt Samurai de 25 milliards de yens (≈ 169 millions de dollars) pour les secteurs de l’assemblage de véhicules et de l’énergie au Kenya, visant à réduire les coûts d’emprunt et à remédier aux inefficacités de l’infrastructure (Reuters).
Le pivot du Japon marque une évolution stratégique vers l’accès au marché, la croissance industrielle et la connectivité triangulaire entre l’Afrique, l’Asie et l’océan Indien.
3. L’approche multidimensionnelle de la Russie via le sommet Russie-Afrique
Le sommet Russie-Afrique de 2023, qui s’est tenu à Saint-Pétersbourg, a été conçu comme une plateforme destinée à promouvoir la souveraineté, la multipolarité et le partenariat, positionnant la Russie comme une alternative stratégique non occidentale (Sommet Afrique, Wikipédia). Le sommet a débouché sur cinq déclarations majeures, dont le contrôle des armes dans l’espace, la sécurité de l’information et la lutte contre le terrorisme, ainsi que sur un plan d’action 2023-2026 et des protocoles d’accord avec les principaux blocs régionaux africains (IGAD, CEEAC) (Summit Africa, Africa Guardian).
La Russie a renforcé ses liens en matière de sécurité en signant des accords militaro-techniques avec des dizaines de pays africains et en offrant même des céréales à plusieurs nations en guise de contrepoids politique après s’être retirée de l’accord sur les céréales de la mer Noire (Reuters, Reddit). Les observateurs notent que la Russie conserve son statut de deuxième fournisseur d’armes à l’Afrique subsaharienne, malgré la baisse des investissements (Reuters, Le Monde.fr).
En outre, le nouveau nom du « Corps africain » (de Wagner) reflète la poursuite de l’action de Moscou en matière de sécurité au Sahel, en particulier au Mali, au Burkina Faso et au Niger, ce qui témoigne d’une stratégie hybride mêlant influence militaire, financière et informationnelle (Le Monde.fr).
4. Stratégie américaine : Sommets des affaires et du leadership
Le sommet commercial États-Unis-Afrique (2025, Luanda) et le précédent sommet des dirigeants États-Unis-Afrique(Washington, D.C., 13-15 décembre2022) illustrent le mélange d’engagement du secteur privé et de diplomatie de haut niveau de l’Amérique.
– Sommet des affaires : Plus de 2 800 participants de 85 pays ont conclu des accords d’une valeur de 4 milliards de dollars dans les secteurs de l’énergie, des infrastructures, du numérique et de l’agroalimentaire. Ce sommet a renforcé la volonté des États-Unis d’encourager la modernisation de l’Afrique par le biais du commerce, et pas seulement de l’aide.
– Sommet des dirigeants : Avec la représentation de 49 nations, il a mis l’accent sur la gouvernance démocratique, la paix, l’action climatique, la santé et les liens avec la diaspora, faisant de l’Afrique un partenaire géopolitique et de développement.
Ensemble, ces sommets présentent une alternative fondée sur les valeurs et le marché au modèle centré sur l’État de Pékin.
5. Les États arabes renforcent leur engagement en faveur de l’Afrique grâce à des sommets stratégiques
Les sommets arabo-africains, tels que le sommet arabo-africain qui s’est tenu à Riyad (Arabie saoudite) en novembre 2023 et le 27e sommet arabo-africain sur l’investissement et la coopération internationale qui s’est déroulé à Assouan en novembre 2024, témoignent de l’approche renouvelée du monde arabe à l’égard de l’Afrique : un partenariat égalitaire ancré dans une culture, un commerce, une sécurité et des infrastructures communs.
L’Arabie saoudite, par l’intermédiaire du sommet saoudo-africain (2023), s’est engagée :
– Jusqu’à 25 milliards de dollars d’investissements futurs, dont une initiative du roi Salman d’un milliard de dollars, 10 milliards de dollars pour les exportations et 5 milliards de dollars pour le financement du développement d’ici à 2030.
– Soutien à l’allègement de la dette africaine, notamment 533 millions de dollars d’aide fiscale.
– Extension de la portée diplomatique : projets d’ouverture d’ambassades dans une quarantaine de pays africains.
– Coopération en matière de sécurité au Sahel et dans la mer Rouge, en s’alignant sur des initiatives régionales telles que la coalition militaire islamique de lutte contre le terrorisme.
– Plaidoyer pour une adhésion de l’UA africaine au G20, accomplie en 2023 (Le Monde.fr).
Le Qatar, par l’intermédiaire du Qatar Africa Business Forum, tire parti de la situation :
– La richesse souveraine via l’Autorité d’investissement du Qatar (QIA) pour investir dans le capital humain, l’innovation, les médias et l’agriculture.
– Une orientation « soft power » axée sur la diplomatie culturelle, l’esprit d’entreprise et l’investissement durable, se démarquant ainsi des modèles extractifs.
Les ambitions arabes reflètent un désir stratégique de tirer parti de la proximité géographique, des affinités religieuses et culturelles et des capitaux pour devenir des partenaires indispensables en Afrique, en rivalisant avec les puissances mondiales sur un front unique et porteur de valeur.
Que signifient ces sommets ?
À travers une mosaïque de sommets et de forums – chacun reflétant des philosophies géopolitiques distinctes – les puissances mondiales remodèlent les partenariats de l’Afrique. La Chine met l’accent sur les infrastructures et la modernisation ; le Japon se tourne vers la co-innovation et la connectivité ; la Russie mélange sécurité et rhétorique multipolaire ; les États-Unis associent affaires et valeurs démocratiques ; et les États arabes exploitent les affinités culturelles et la diplomatie financière.
Pour les pays africains, l’opportunité réside dans l’équilibre de ces partenariats vers l’industrialisation, le commerce à valeur ajoutée et le développement durable – plutôt que de devenir uniquement des zones d’extraction de ressources.
Conclusion
Le défi ultime reste de transformer les percées diplomatiques en une transformation équitable et à long terme. L’Afrique peut tirer parti de manière stratégique des nombreux sommets et forums en donnant la priorité à son propre programme de développement et en veillant à ce que l’engagement extérieur s’aligne sur les cadres continentaux tels que l’Agenda 2063 de l’Union africaine et la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA) (UA, 2015). En négociant en tant que bloc plutôt qu’en tant qu’États fragmentés, l’Afrique peut renforcer son pouvoir de négociation, exiger des transferts de technologie et obtenir des conditions plus équitables en matière de commerce et d’investissement (Cheru, 2016).
En outre, la promotion de la concurrence entre les partenaires extérieurs – tout en maintenant la transparence et la responsabilité – offre à l’Afrique la possibilité de diversifier les sources de capitaux, d’infrastructures et de coopération en matière de sécurité (Taylor, 2020). En fin de compte, la capacité du continent à transformer ces sommets en gains socio-économiques tangibles dépend d’une gouvernance solide, de l’intégration régionale et de l’affirmation stratégique de l’agence africaine. En déterminant les détails des discussions lors des sommets, l’Afrique peut s’assurer que les questions d’importance collective ne sont pas seulement déposées mais discutées. À défaut, ces sommets aboutiraient à la marginalisation totale de l’Afrique dans l’ordre mondial émergent.
Références
Alden, C. et Large, D. (2011). China’s exceptionalism and the challenges of delivering difference in Africa. Journal of Contemporary China, 20(68), 21-38. https://doi.org/10.1080/10670564.2011.520844
Union africaine (UA). (2015). L’Agenda 2063 : L’Afrique que nous voulons. Addis-Abeba : Commission de l’Union africaine.
AP News. (2025, août). Japan pledges billions in loans and AI training at TICAD 9. https://apnews.com
Cheru, F. (2016). Puissances émergentes du Sud et nouvelles formes de coopération Sud-Sud : L’engagement stratégique de l’Éthiopie avec la Chine et l’Inde. Third World Quarterly, 37(4), 592-610. https://doi.org/10.1080/01436597.2015.1116368
Ministère chinois des affaires étrangères. (2024). Déclaration de Pékin du Forum sur la coopération sino-africaine. https://focacsummit.mfa.gov.cn
Herbst, J. (2000). États et pouvoir en Afrique : Comparative lessons in authority and control. Princeton University Press.
Le Monde.fr. (2023-2024). L’engagement de la Russie et des Etats arabes en Afrique. https://lemonde.fr
Pakenham, T. (1991). The scramble for Africa. Londres : Weidenfeld & Nicolson.
Reuters. (2023-2025). Rapports sur les relations Russie-Afrique, Japon-Afrique et États-Unis-Afrique. https://www.reuters.com
sc.china-embassy.gov.cn. (2024). Mise à jour de la coopération Chine-Afrique. Ambassade de Chine en Afrique du Sud.
Sommet de l’Afrique. (2023). Sommet Russie-Afrique : Déclarations de Saint-Pétersbourg. https://summitafrica.ru
Taylor, I. (2020). L’Afrique et l’économie mondiale : La montée des puissances émergentes. Routledge.
The Economic Times. (2025, août). TICAD 9 : Japan’s Africa pivot. https://economictimes.indiatimes.com Wikipedia. (2023). Sommet Russie-Afrique. https://en.wikipedia.org/wiki/Russia-Africa_Summit