La prolifération des armes légères et de petit calibre (ALPC) en Afrique de l’Ouest contribue largement à l’aggravation de l’insécurité dans la région. Cette dynamique alimente et soutient les insurrections, les conflits civils et la criminalité organisée. L’Afrique de l’Ouest, en particulier, souffre de la porosité de ses frontières, de la faiblesse de ses institutions étatiques et d’environnements post-conflit qui créent des conditions propices au trafic d’armes. L’instabilité de la région est à la fois une cause et une conséquence de la prolifération des armes, produisant un cercle vicieux difficile à contenir.
La chute du régime de Kadhafi en Libye en 2011 a marqué un tournant dans les flux d’armes à travers le Sahel et l’Afrique de l’Ouest. Au cours des quatre décennies de règne de Mouammar Kadhafi, la Libye est devenue l’un des États les plus lourdement armés d’Afrique. Après son renversement en 2011, le pillage des stocks d’armes a entraîné une dissémination des armes à l’intérieur du pays. En particulier, les armes légères et de petit calibre (ALPC) ont proliféré vers les zones de conflit d’Afrique de l’Ouest et les groupes terroristes. Outre les armes pillées dans les stocks de Kadhafi, d’autres livraisons d’armes sont entrées en Libye, équipant les deux principales factions du conflit en cours, le gouvernement d’entente nationale (GNA) reconnu par les Nations unies et l’armée nationale libyenne (LNA). Le soutien simultané de ces deux factions – et de plusieurs factions plus petites et alliées – reflète le statu quo compliqué et internationalisé du conflit (Schwarz, 2020).

Des armes provenant des stocks libyens, notamment des fusils d’assaut, des canons antiaériens et des explosifs, ont afflué dans les États voisins. Ces armes sont parvenues à des groupes d’insurgés et de terroristes tels qu’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), l’État islamique dans le Grand Sahara (ISGS) et Boko Haram, renforçant considérablement leurs capacités opérationnelles (ONUDC, 2021). Les données empiriques de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI) montrent que nombre de ces armes sont acheminées via le Niger et le Mali, en exploitant des itinéraires commerciaux mal surveillés et des fonctionnaires frontaliers corrompus (SIPRI, 2020).
Au Burkina Faso, l’expansion de la violence djihadiste est fortement liée aux flux d’armes illicites. Les attaques contre les avant-postes militaires et les populations civiles sont souvent menées à l’aide d’armes sophistiquées, dont une grande partie provient de réseaux de trafiquants régionaux. L’armement des forces de défense volontaires par le gouvernement, bien qu’il s’agisse d’une mesure anti-insurrectionnelle nécessaire, a contribué à la poursuite de la prolifération. De même, au Mali, divers acteurs armés, notamment des séparatistes, des djihadistes et des milices ethniques, ont profité de l’accès aux armes illicites pour affirmer leur contrôle sur le territoire et défier l’État (Thurston, 2020).
L’expérience du Nigeria permet de mieux comprendre l’impact du trafic d’armes sur la sécurité régionale. Au-delà du nord-est, où Boko Haram opère, les régions du centre-nord et du nord-ouest ont connu des niveaux croissants de violence communautaire et de banditisme criminel. Selon Edeko (2011), la facilité d’accès aux armes à feu a intensifié les conflits entre éleveurs et agriculteurs et transformé les différends locaux en affrontements mortels. Les armes sont passées en contrebande à travers les frontières poreuses avec le Tchad, le Niger et le Cameroun, ou détournées des stocks de sécurité mal gardés. Cette situation a sapé la stabilité interne et contribué aux problèmes plus généraux de gouvernance du Nigeria (Onuoha, 2013).
Les implications du trafic d’armes vont au-delà de la violence immédiate. Les flux d’armes illicites sapent les efforts de désarmement et de consolidation de la paix, affaiblissent la légitimité des forces de sécurité de l’État et accroissent la militarisation des espaces civils (Muggah, 2006). Les groupes d’autodéfense communautaires, souvent constitués en réponse à la défaillance de l’État, sont devenus à la fois un symptôme et une source d’insécurité. Dans de nombreux cas, ces groupes opèrent sans contrôle formel, ce qui conduit à des cycles de violence de vengeance et à une déstabilisation accrue (Florquin & King, 2018).
Les efforts régionaux visant à freiner la prolifération des armes comprennent la Convention de la CEDEAO sur les armes légères et de petit calibre, adoptée en 2006. Cette convention donne mandat aux États membres pour contrôler la production, le transfert et la possession d’armes. Toutefois, sa mise en œuvre a été entravée par des capacités institutionnelles limitées, une application incohérente et l’instabilité politique (Aning, 2005). Malgré le soutien des donateurs internationaux et des programmes d’assistance technique, la conformité nationale reste inégale en Afrique de l’Ouest. En outre, la coordination entre les agences de sécurité frontalière est souvent faible, les mécanismes de partage de renseignements étant soit sous-développés, soit mal financés (UNREC, 2016).
Pour limiter la prolifération des armes et l’instabilité qui en résulte, une approche globale et coopérative est nécessaire. Il s’agit notamment d’investir dans des technologies avancées de surveillance des frontières, d’améliorer le marquage, le traçage et l’enregistrement des armes, et de renforcer les systèmes régionaux d’échange de renseignements. Les acteurs internationaux peuvent soutenir ces efforts en alignant l’aide sur les objectifs de désarmement et en fournissant un financement durable pour le renforcement des capacités.
En raison des défis énumérés ci-dessus, le problème du trafic d’armes nécessite une approche régionale à multiples facettes. La CEDEAO doit être impliquée et une approche régionale nécessiterait d’intenses discussions diplomatiques pour impliquer les pays de l’AES où les insurgés sont les plus actifs. La fabrication locale d’armes légères et de petit calibre doit être discutée en même temps que la mise en place d’autres activités génératrices de revenus.
En fin de compte, la lutte contre le trafic d’armes en Afrique de l’Ouest doit faire partie d’une stratégie plus large qui s’attaque aux causes profondes des conflits, telles que la pauvreté, la marginalisation et la faible gouvernance (Karp, 2014).
Références
Aning, K. (2005). The anatomy of Ghana’s secret arms industry (L’anatomie de l’industrie secrète de l’armement du Ghana). African Security Review, 14(4), 115-126.
Edeko, S. E. (2011). La prolifération des armes légères et de petit calibre en Afrique : A case study of the Niger Delta in Nigeria. Sacha Journal of Environmental Studies, 1(2), 55-80.
Florquin, N. et King, B. (2018). Du légal au létal : les armes à feu converties en Europe. Small Arms Survey.
Karp, A. (2014). Mesurer l’impact des armes à feu sur la violence. Dans Small Arms Survey 2014 : Women and Guns (pp. 9-39). Cambridge University Press.
Muggah, R. (2006). Pas de solution miracle : Une perspective critique sur le désarmement, la démobilisation et la réintégration (DDR) et la réduction des armes dans les contextes post-conflit. The Round Table, 94(379), 239-252.
Onuoha, F. C. (2013). L’État et la gestion de la violence religieuse au Nigeria : Le cas de l’insurrection de Boko Haram. Revue africaine de sécurité, 22(3), 45-52.
SIPRI. (2020). Flux d’armes vers les zones de conflit : Lessons from Libya. Institut international de recherche sur la paix de Stockholm.
Small Arms Survey. (2018). Estimation du nombre d’armes à feu détenues par des civils dans le monde. Genève : Institut universitaire de hautes études internationales et du développement.
Schwarz, M. (2020). Des transferts légaux aux transferts illégaux : Implications régionales des flux d’armes vers la Libye.
Thurston, A. (2020). Jihadists of North Africa and the Sahel : Local politics and rebel groups (Djihadistes d’Afrique du Nord et du Sahel : politiques locales et groupes rebelles). Cambridge University Press.
UNODC. (2021). Trafic d’armes à feu au Sahel. Office des Nations unies contre la drogue et le crime. UNREC. (2016). Évaluation de la mise en œuvre de la Convention de la CEDEAO sur les armes légères et de petit calibre. Centre régional des Nations unies pour la paix et le désarmement en Afrique.