L’exploitation minière illégale, connue localement au Ghana sous le nom de galamsey, a été abordée pendant des années comme une simple question de pauvreté et de chômage, un problème que l’on pensait pouvoir résoudre par des programmes de moyens de subsistance alternatifs et une application plus stricte de la loi (Abdulai et al., 2025 ; Eduful et al., 2020). Cependant, cette approche simplifie à l’extrême un problème profondément enraciné et multidimensionnel. En réalité, la galamsey n’est pas simplement une activité minière illégale menée par des individus désespérés qui cherchent à lutter contre la pauvreté et les problèmes locaux ; il s’agit d’un système sociopolitique et économique complexe, soutenu par un réseau d’acteurs, d’incitations et d’accords informels qui évoluent de manière dynamique au fil du temps (Asori et al., 2023 ; Teschner, 2012). Pour comprendre et traiter efficacement l’exploitation minière illégale au Ghana, il est nécessaire d’aller au-delà des solutions linéaires et d’adopter plutôt un cadre fondé sur la théorie de la complexité et l’économie politique. Cette double perspective nous permet de reconnaître la galamsey non pas comme un problème technique de chômage, mais comme un symptôme de défaillances systémiques plus larges, de faiblesses institutionnelles et de la rationalité économique qui anime à la fois les mineurs pauvres et les élites puissantes.
La réponse générale à la galamsey a souvent été axée sur la fourniture de moyens de subsistance alternatifs, en partant du principe que les mineurs s’engagent dans l’exploitation minière illégale simplement parce qu’ils n’ont pas d’autres options (voir Azumah, 2020 ; Mabe et al., 2021 ; Mensah, 2023). Toutefois, ce raisonnement ne tient pas compte de l’ampleur de la récompense économique qu’offre l’exploitation minière illégale. Une enquête de terrain menée par un analyste de la CISA dans la région ouest-nord du Ghana a révélé que les mineurs peuvent gagner entre 40000 et 70000 GHS par mois, un revenu qui dépasse de loin ce que la plupart des emplois formels ou des alternatives agricoles peuvent offrir. Suggérer que ces personnes échangent ce revenu contre la fabrication de savon, la confection de vêtements, entre autres, dont les marchés sont incertains et les rendements faibles, n’est pas seulement naïf, mais aussi économiquement irréaliste. En outre, ce raisonnement repose sur une hypothèse erronée concernant l’action individuelle. De nombreux mineurs n’agissent pas seuls, mais font partie de réseaux de patronage complexes impliquant des financiers, des fournisseurs d’équipement, des propriétaires fonciers et des sponsors politiques (Boafo et al., 2019 ; Bebbington et al., 2018).Ces acteurs fournissent souvent le capital et la couverture politique nécessaires pour que les opérations minières prospèrent, ce qui rend l’activité beaucoup plus organisée et protégée qu’il n’y paraît à première vue. Par conséquent, le fait de considérer la galamsey comme une simple affaire de pauvres ne tient pas compte de l’écosystème économique et politique plus large qui la soutient. C’est là que la théorie de la complexité devient un outil essentiel pour comprendre le phénomène de la galamsey.
La théorie de la complexité nous encourage à considérer l’exploitation minière illégale comme un système dynamique et adaptatif composé d’acteurs interconnectés, de boucles de rétroaction et de comportements émergents (Anderson, 1999 ; Turner & Baker, 2019).Le problème de l’exploitation minière illégale ne peut pas être réduit à une simple logique de cause à effet. Par exemple, lorsque le gouvernement interdit les excavatrices ou déploie des forces opérationnelles pour détruire les sites miniers, le résultat n’est pas toujours la conformité mais l’adaptation : les mineurs entrent dans la clandestinité, changent d’emplacement ou soudoient les fonctionnaires locaux pour poursuivre leurs activités. Ces conséquences involontaires sont typiques des systèmes non linéaires, où de petites interventions peuvent produire des effets d’entraînement importants ou simplement échouer en raison de la capacité du système à s’auto-corriger. En outre, le travail de terrain de l’analyste de CISA et le rapport complémentaire révèlent que la galamsey est soutenue par des boucles de rétroaction qui renforcent sa persistance, telles que la hausse des prix de l’or qui augmente la demande, les cycles politiques qui encouragent une application laxiste avant les élections, ou la dépendance de la communauté à l’égard des revenus miniers qui décourage la dénonciation (voir Lawal et al., 2025 ; Gyesaw, 2025 ; Yeboah, 2023). Dans ce contexte, les mineurs, les financiers et même les régulateurs sont tous des agents adaptatifs qui ajustent constamment leur comportement en réponse à l’évolution des circonstances, des réglementations et des incitations. Le système évolue et mute, rendant les solutions statiques obsolètes presque aussitôt qu’elles sont mises en œuvre.
En outre, l’exploitation minière illégale doit être comprise comme faisant partie de l’économie politique du Ghana. Elle n’est pas simplement le résultat d’une application insuffisante ou d’un manque d’alternatives économiques, mais un résultat rationnel de la manière dont le pouvoir politique et économique est distribué et exercé. Les hommes politiques, en particulier pendant les périodes électorales, ferment souvent les yeux sur la galamsey ou en tirent directement profit grâce à des dons de campagne et au soutien de courtiers locaux. Certains députés et fonctionnaires de district sont connus pour avoir des liens étroits avec les financiers de la galamsey, ce qui les rend complices de la perpétuation du système même qu’ils sont censés démanteler. Le travail sur le terrain a également révélé que les autorités traditionnelles louent parfois officieusement des terres communales aux mineurs en échange de paiements ou de « contributions au développement ». Les agences de sécurité et les assemblées de district, censées faire respecter la loi, sont souvent compromises par des pots-de-vin ou des pressions politiques. Dans un tel contexte, la galamsey n’est pas une défaillance du système, elle en fait partie. Il s’agit d’une structure de gouvernance informelle dans laquelle l’accès aux ressources naturelles n’est pas seulement régi par le droit national, mais aussi par les réseaux sociaux, la loyauté politique et l’influence économique.
Face à cette réalité, l’appel classique à proposer des moyens de subsistance alternatifs est loin d’être à la hauteur du changement structurel nécessaire. Au lieu de proposer des substituts économiques simplistes aux mineurs, nous devons analyser l’écosystème complet de l’exploitation minière illégale et intervenir à de multiples niveaux. Cela signifie qu’il faut développer ce que l’on peut appeler un « modèle d’économie politique de la galamsey » ancré dans la complexité. Un tel modèle commence par une cartographie des parties prenantes, identifiant les bénéficiaires et les perdants, ainsi que la manière dont les incitations sont réparties dans le système.
Plutôt que de s’appuyer sur des interventions étatiques descendantes, nous avons besoin de modèles de gouvernance adaptatifs qui rassemblent les mineurs, les chefs, les fonctionnaires locaux et les membres de la communauté pour co-créer des règles, contrôler les activités et résoudre les conflits, un peu comme le recommande Elinor Ostrom. Cette approche participative reconnaît que l’application des règles du haut vers le bas ne fonctionnera pas dans les régions où l’État est absent ou suscite la méfiance. Au contraire, la corégulation, la transparence et la responsabilité communautaire deviennent des outils essentiels (Herzberg, 2020 ; Fields, 1992).
Pour modifier davantage la structure des incitations, les réformes doivent rendre l’exploitation minière légale à petite échelle plus accessible, plus rentable, plus imposable et moins bureaucratique. De nombreux mineurs recourent à l’illégalité non pas parce qu’ils le souhaitent, mais parce que l’obtention de licences est coûteuse, longue et entachée de corruption. Rationaliser le processus légal d’exploitation minière, fournir un soutien technique et faciliter l’accès aux marchés et aux capitaux pourraient offrir une voie plus réaliste vers la formalisation. Dans le même temps, l’application de la loi doit aller au-delà du ciblage des petits exploitants miniers et commencer à s’attaquer aux financiers, aux importateurs d’équipements et aux acteurs politiques qui opèrent dans l’ombre. La transparence dans le financement politique, les concessions minières et l’attribution des terres est essentielle pour démanteler la mainmise des élites sur le secteur minier.
En outre, les interventions doivent être flexibles et expérimentales. Tout comme la galamsey évolue, les réponses doivent également évoluer. Des programmes pilotes dans des communautés sélectionnées pourraient tester des modèles de licences communautaires, des accords de partage des revenus ou des systèmes de surveillance technologique utilisant le GPS et les drones. Au lieu de s’engager dans une grande solution nationale, les décideurs politiques devraient traiter les interventions comme des expériences, en tirant les leçons de ce qui fonctionne et en n’appliquant à plus grande échelle que les stratégies qui ont fait la preuve de leur efficacité. Cela nécessite à la fois une volonté politique et une humilité institutionnelle : reconnaître que les problèmes complexes ne peuvent être résolus par des plans rigides, mais par un engagement, un retour d’information et une adaptation continus.
En conclusion, l’exploitation minière illégale au Ghana n’est pas seulement un problème environnemental ou économique, c’est un système complexe, adaptatif et politiquement enraciné. Tant que les interventions resteront enfermées dans une mentalité de causalité linéaire, avec l’hypothèse que la pauvreté provoque l’exploitation minière et que l’exploitation minière crée des emplois, l’approche pour résoudre le problème est vouée à l’échec. Ce qu’il faut, c’est une nouvelle approche fondée sur les réalités de la complexité et de l’économie politique. Cette approche doit être adaptative, inclusive et dynamique, reconnaissant que la solution au problème de la galamsey ne peut être figée dans un plan, mais doit évoluer en même temps que le système même qu’elle cherche à transformer.
Références
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