Introduction
Dans le monde d’aujourd’hui, où le terrorisme dépasse les frontières et où les menaces surgissent souvent sans avertissement, la relation entre les médias et l’appareil de sécurité de l’État est à la fois critique et complexe. Au cœur de cette dynamique se trouve une question difficile : quand et comment doit-on rapporter des informations sensibles ? Dans le contexte de la lutte contre le terrorisme, ce dilemme est encore plus prononcé, en particulier dans les démocraties comme le Ghana, où la liberté des médias et la sécurité nationale doivent coexister.
La relation entre l’État et les médias – en particulier dans les sociétés démocratiques – a toujours été caractérisée par un équilibre délicat. D’une part, l’État a le mandat légitime d’assurer la sécurité nationale et de protéger le public. D’autre part, les médias jouent un rôle crucial de chien de garde, en demandant des comptes au pouvoir et en informant les citoyens. Cet équilibre devient de plus en plus tendu dans le contexte du terrorisme, où les enjeux sont élevés et où les conséquences de fuites d’informations ou de reportages erronés peuvent être désastreuses.
Cet article explore l’équilibre délicat entre la nécessité d’une diffusion rapide et transparente de l’information et les impératifs de la sécurité de l’État. En utilisant le Ghana comme étude de cas, nous examinons comment le discours politique polarisé, les pratiques médiatiques et les protocoles de sécurité s’entrecroisent de manière à renforcer ou à saper les efforts de lutte contre le terrorisme.
Lutte contre le terrorisme
Le contre-terrorisme, au sens large, désigne les politiques, les stratégies et les pratiques adoptées par les États et les acteurs internationaux pour détecter et prévenir le terrorisme et y répondre. Selon Wilkinson (2011), la lutte contre le terrorisme englobe une série d’activités telles que la collecte de renseignements, l’application de la loi, les opérations militaires et les réformes juridiques.
Schmid (2011) fournit une base académique solide pour comprendre le contre-terrorisme, en le définissant comme un ensemble de mesures à la fois réactives et proactives. Ses travaux soulignent qu’un contre-terrorisme efficace ne consiste pas seulement à éliminer les terroristes, mais aussi à s’attaquer à l’écosystème plus large dans lequel le terrorisme prospère, y compris les griefs politiques, sociaux et économiques qui peuvent favoriser la radicalisation.
Plus important encore, les efforts de lutte contre le terrorisme doivent être alignés sur les normes juridiques et les droits de l’homme, sous peine de saper les valeurs démocratiques mêmes qu’ils cherchent à protéger.
La littérature identifie de multiples dimensions du contre-terrorisme : préventif (par exemple, les opérations de renseignement), défensif (par exemple, la sécurité des aéroports), réactif (par exemple, la gestion des crises) et à long terme (par exemple, les programmes de déradicalisation). L’efficacité de toute stratégie antiterroriste dépend souvent de la coordination parfaite entre les différentes branches de l’État et de sa capacité à maintenir la confiance du public par le biais d’une communication stratégique (Bakker, 2006).
Rôle de l’État et de son appareil de sécurité
L’État, par le biais de son appareil de sécurité – qui comprend les agences de renseignement, les organes chargés de l’application de la loi, l’armée, le contrôle des frontières et les mécanismes judiciaires – est chargé d’assurer la protection de ses citoyens, de ses institutions et de sa souveraineté. Dans la lutte contre le terrorisme, ce rôle est à la fois tactique et stratégique. Les institutions de sécurité telles que la police, l’armée et les services de renseignement collectent et analysent des informations, surveillent les menaces potentielles et neutralisent les dangers imminents.
Toutefois, comme l’affirme Amy Zegart (2007), la structure même de ces institutions – en particulier dans les contextes démocratiques – peut être à la fois une force et une faiblesse. Les cloisonnements bureaucratiques, les guerres de territoire et les contraintes législatives empêchent souvent d’agir en temps utile.
En conclusion, l’efficacité de l’appareil de sécurité est étroitement liée à la coopération du public et à la capacité de l’État à communiquer les menaces sans provoquer de panique. Il lui incombe également de respecter les principes démocratiques, notamment l’État de droit, les droits de l’homme et la liberté de la presse. Cela crée une tension : alors que certaines informations doivent être retenues pour protéger les opérations, la transparence est essentielle pour maintenir la crédibilité et la confiance du public.
Le journalisme : Formes traditionnelles et non traditionnelles
Le journalisme est depuis longtemps considéré comme le « quatrième pouvoir » dans les sociétés démocratiques, jouant un rôle essentiel dans l’information du public, le contrôle du pouvoir et l’élaboration du discours public. Traditionnellement, le journalisme est guidé par des principes fondamentaux : l’exactitude, l’indépendance, l’impartialité, l’humanité et la responsabilité (Réseau pour un journalisme éthique). Les salles de rédaction suivent des protocoles éditoriaux, des mécanismes de vérification des faits et des cadres juridiques tels que les lois sur la diffamation.
Selon Kovach et Rosenstiel (2007), l’objectif premier du journalisme est de fournir aux citoyens des informations précises et pertinentes afin qu’ils puissent prendre des décisions en connaissance de cause.
Avec l’avènement de la technologie numérique, le journalisme non traditionnel a fait son apparition. Il s’agit notamment du journalisme citoyen, des blogs, des podcasts indépendants et de la diffusion de contenu via les plateformes de médias sociaux. Désormais, toute personne disposant d’un smartphone et d’un accès à l’internet peut rendre compte d’événements en temps réel, en contournant les structures traditionnelles de contrôle. Si ces plateformes ont démocratisé l’information, elles posent également des problèmes de vérification, de responsabilité éditoriale et de sécurité de l’information.
La littérature académique met en garde contre le risque de désinformation et de sensationnalisme, en particulier dans les contextes de crise (Allan, 2013). Cette évolution a brouillé les frontières entre le journalisme professionnel et le commentaire public, ce qui rend la relation entre les médias et la sécurité encore plus complexe en matière de sécurité nationale.
Quand la liberté de la presse s’oppose à la sécurité nationale
La liberté de la presse est inscrite dans la constitution ghanéenne et reconnue comme un pilier de la gouvernance démocratique. Cependant, l’exercice de cette liberté devient controversé en temps de crise. Les agences de sécurité nationale cherchent souvent à contrôler la narration pour éviter la panique publique, préserver le secret opérationnel ou protéger les intérêts nationaux. Ce contrôle peut toutefois être perçu comme une censure par les médias et la société civile.
Les médias, pour leur part, peuvent publier des articles qui révèlent les lacunes de l’État ou remettent en question la légitimité des opérations de sécurité. Ces actions, bien que cruciales pour la transparence, peuvent entrer en conflit avec les objectifs immédiats de la sécurité nationale.
Cette tension n’est pas propre au Ghana. Dans le monde entier, le débat se poursuit sur la question de savoir quelle quantité d’informations est trop importante lors d’une crise sécuritaire. Le principal défi consiste à trouver un équilibre entre le droit du public à savoir et le devoir de protection de l’État.
La polarisation du paysage politique ghanéen et son impact sur la communication en matière de sécurité nationale
Bien que le Ghana soit largement considéré comme un phare de la démocratie en Afrique de l’Ouest, son paysage politique n’est pas exempt de défis. Une observation plus approfondie de la structure démocratique du pays – en particulier au sein du Parlement et dans la sphère de la communication publique – révèle un système de parti duopolistique dominé par le National Democratic Congress (NDC) et le New Patriotic Party (NPP). Ces deux partis forment alternativement le gouvernement et l’opposition, et leur rivalité imprègne presque toutes les facettes du discours public.
En théorie, une démocratie multipartite devrait encourager le pluralisme, les débats politiques et un large consensus sur les questions d’intérêt national. Cependant, dans la pratique, le duopole politique ghanéen a cultivé une culture de l’antagonisme bipartisan qui l’emporte souvent sur le dialogue objectif. Même sur les questions de sécurité nationale – où l’unité et la cohérence devraient être primordiales – les responsables de la communication et les porte-parole de ces deux partis émettent régulièrement des déclarations contradictoires, souvent motivées par l’opportunisme politique plutôt que par l’intégrité des faits ou la prudence stratégique.
Cette polarisation affecte considérablement la manière dont le public traite les informations relatives à la sécurité. Par exemple, lorsque l’appareil de sécurité de l’État émet une alerte terroriste ou annonce de nouvelles mesures de sécurité, la communication est rapidement interprétée à travers des lentilles partisanes. Les partis d’opposition peuvent accuser le gouvernement d’exagérer ou d’utiliser la peur pour détourner l’attention des échecs nationaux, tandis que le parti au pouvoir peut rejeter les points de vue opposés en les qualifiant d’irresponsables ou même d’antipatriotiques.
Les médias, qui ont pour mission de servir l’intérêt public, sont souvent pris entre deux feux. Les organes de presse alignés sur l’un ou l’autre parti amplifient les interprétations partisanes, semant ainsi le doute, la confusion ou la panique au sein de la population. Cette désunion n’affaiblit pas seulement la confiance du public dans les communications en matière de sécurité, mais peut également compromettre le respect des directives nationales essentielles en temps de crise.
Cette dynamique est particulièrement dangereuse dans un contexte où les groupes terroristes prospèrent en exploitant les fractures de la société. La polarisation constitue un terrain fertile pour la désinformation, accroît la suspicion entre les citoyens et l’État et nuit à l’effort coordonné nécessaire pour détecter, dissuader et répondre aux menaces terroristes.
Recommandations : Renforcer la coordination entre les médias et la sécurité de l’État dans le contexte de menaces terroristes accrues au Ghana
1. Établir un cadre national pour la coordination entre les médias et la sécurité
Le gouvernement doit élaborer un cadre politique national qui définisse clairement les protocoles d’engagement des médias pendant les opérations de sécurité. Ce cadre devrait être élaboré en collaboration avec l’Association des journalistes du Ghana (GJA), des représentants du secteur de la sécurité, des organisations de la société civile et des experts juridiques, afin de garantir qu’il reflète les valeurs démocratiques et les réalités opérationnelles.
2. Créer des groupes de travail conjoints sur la communication
En période de menace élevée ou d’opérations en cours, une équipe de communication conjointe composée de représentants du Secrétariat à la sécurité nationale, du ministère de l’Information et des médias accrédités devrait être constituée. Cet organe faciliterait le partage d’informations en temps réel, empêcherait la diffusion de fausses informations et publierait des déclarations unifiées à l’intention du public.
3. Tenir des réunions d’information régulières à l’intention des médias
L’appareil de sécurité doit s’engager de manière proactive auprès des médias par le biais de réunions d’information périodiques sur l’évaluation générale des menaces et sur les lignes directrices relatives à une information responsable en cas de crise. La transparence permet d’instaurer la confiance et une communication préventive peut réduire de manière significative la couverture spéculative ou sensationnelle qui peut mettre en danger les opérations.
4. Élaborer des lignes directrices pour le reportage de crise à l’intention des journalistes
En partenariat avec les instituts de formation au journalisme, élaborer et diffuser des lignes directrices pour le reportage sur le terrorisme et les questions de sécurité nationale. Ces lignes directrices devraient couvrir les dilemmes éthiques, les normes de vérification, l’utilisation d’images sensibles et les risques d’aider par inadvertance la propagande terroriste.
5. Promouvoir la sensibilisation des journalistes et des agents de sécurité aux questions juridiques et éthiques
Des ateliers et des formations devraient être organisés régulièrement pour approfondir la compréhension des limites juridiques et des responsabilités des journalistes et des acteurs de l’État. Les journalistes doivent comprendre ce qui constitue une information sensible, tandis que les agents de sécurité doivent se voir rappeler l’importance de la liberté de la presse et de l’engagement légal avec les médias.
6. Surveiller et contrer la désinformation et les récits extrémistes en ligne
Investir dans des outils de surveillance numérique et des partenariats public-privé pour détecter et contrer les récits extrémistes, en particulier sur les médias sociaux. Les journalistes peuvent être soutenus pour jouer un rôle proactif dans le démenti des informations erronées et de la désinformation qui peuvent inciter à la peur ou polariser les communautés.
7. Promouvoir une charte de communication bipartisane sur la sécurité nationale
Le Parlement, sous la direction du président de la Chambre, devrait réunir les leaders de la majorité et de la minorité pour élaborer une charte de communication bipartisane sur la sécurité nationale. Cette charte devrait engager les deux partis à présenter un front uni en matière de communication publique pendant les périodes d’alerte nationale. Même si des divergences politiques peuvent persister, certaines lignes rouges – comme éviter les messages contradictoires sur les menaces terroristes – doivent être respectées dans l’intérêt national.
8. Sensibiliser les communicateurs politiques aux risques des récits partisans sur la sécurité
Par le biais de la Commission nationale pour l’éducation civique (NCCE) ou d’une initiative parlementaire bipartisane, des séances d’information et des formations régulières devraient être organisées pour les communicateurs des partis sur la manière d’aborder de manière responsable les informations sensibles relatives à la sécurité nationale. Il est essentiel de comprendre les conséquences de la politisation des questions de sécurité pour maintenir la confiance du public et la stabilité nationale.
Conclusion
L’interaction entre les médias, les acteurs politiques et l’appareil de sécurité de l’État est une caractéristique essentielle de la résilience démocratique. Alors que le Ghana est confronté au double défi de la montée de l’insécurité et de l’aggravation de la polarisation politique, des mesures délibérées doivent être prises pour protéger les valeurs démocratiques sans compromettre la sécurité nationale.
Les efforts de lutte contre le terrorisme se développent dans un environnement de confiance, de cohérence et de communication stratégique. À cette fin, les médias doivent rendre compte de la situation de manière éthique et factuelle, les agences de sécurité doivent agir avec transparence et professionnalisme et les dirigeants politiques doivent s’élever au-dessus des instincts partisans lorsque la sécurité nationale est en jeu.
Ce n’est que grâce à cet engagement commun que la question « signaler ou ne pas signaler » peut trouver une réponse judicieuse, dans le meilleur intérêt de la liberté et de la sécurité.
Références:
Schmid, A. P. (2011). The Definition of Terrorism. In The Routledge Handbook of Terrorism Research. Routledge.
Bakker, E. (2006). Les terroristes djihadistes en Europe : leurs caractéristiques et les circonstances dans lesquelles ils ont rejoint le djihad. Institut Clingendael.
Wilkinson, P. (2011). Terrorisme contre démocratie : La réponse de l’État libéral. Routledge.
Allan, S. (2013). Le témoignage des citoyens : Revisioning Journalism in Times of Crisis. Polity Press.
Kovach, B. et Rosenstiel, T. (2007). Les éléments du journalisme. Three Rivers Press.
Zegart, A. B. (2007). Spying Blind : La CIA, le FBI et les origines du 11 septembre. Princeton University Press
Réseau pour un journalisme éthique. Éthique 101 : les cinq valeurs fondamentales du journalisme. https://ethicaljournalismnetwork.org/5-core-values-of-journalism
Le Monde (2025). Au Burkina Faso, trois journalistes arrêtés réapparaissent réquisitionnés au front. https://www.jeuneafrique.com/1675431/politique/au-burkina-faso-trois-journalistes-arretes-reapparaissent-requisitionnes-au-front/