Introduction
L’Afrique continue d’être confrontée à une myriade de défis en matière de gouvernance de la sécurité. Cette évolution a en partie contribué à la crise de développement du continent (Raga, Lemma & Keane, 2023 ; Adedoyin, 2014 ; Bøås, 2019). Malgré les efforts concertés de certains pays africains à cet égard, il est décourageant de constater que, même au XXIe siècle, les modestes progrès réalisés au fil des ans pour améliorer la gouvernance de la sécurité en Afrique n’ont guère été maintenus. Le réseau de sécurité du continent est resté controversé pour diverses raisons, ce qui a conduit à des systèmes de sécurité régionaux et nationaux poreux et faibles. La gouvernance de la sécurité en Afrique reste une question cruciale en raison des carnages, des brutalités, des pogroms et des actes de génocide généralisés qui découlent des guerres civiles persistantes, des affrontements communautaires et des conflits religieux (Nnoli, 2006).
Entre les années 1980 et 2000, l’Afrique a enregistré une violence sans précédent, notamment des exécutions extrajudiciaires, une oppression et une répression politiques, des massacres ethniques et d’autres formes de violence (Nwizu & Alozie, 2018).
L’insécurité croissante au Sahel et dans les régions avoisinantes constitue une menace sérieuse non seulement pour les gouvernements locaux, mais aussi pour la stabilité des États voisins et du continent africain dans son ensemble. La contagion sécuritaire, exacerbée par des structures étatiques peu solides, des frontières fragiles et des conditions socio-économiques difficiles, est un problème omniprésent dans toute l’Afrique (Nwizu & Alozie, 2018 ; Nnoli, 2006). De nombreux cas de conflits et de menaces pour la sécurité se propageant d’une nation à des États voisins ont déstabilisé des régions entières. Par exemple, l’insurrection de Boko Haram au Nigéria a eu un impact significatif sur le Tchad, le Niger et le Cameroun (Awosusi, 2017). De même, l’instabilité résultant des conflits au Sahel – en particulier au Mali et au Burkina Faso – s’est propagée à d’autres parties de l’Afrique de l’Ouest (Yabi, 2024). Les groupes terroristes, les mercenaires étrangers et les conflits régionaux débordent des frontières nationales, exacerbant l’instabilité et affaiblissant davantage des États déjà fragiles (Andrews & Obi, 2024 ; Acemoglu, Malekian, & Ozdaglar, 2016).
Il existe globalement deux écoles de pensée pour lutter contre la contagion sécuritaire, en particulier celle provoquée par le terrorisme et les menaces transnationales. La première se concentre sur les interventions violentes – frappes militaires, opérations antiterroristes et recours à la force pour neutraliser les menaces immédiates. La seconde implique des approches non violentes à orientation systématique, qui mettent l’accent sur la diplomatie, la réforme de la gouvernance et la lutte contre les causes profondes de l’insécurité, telles que la pauvreté et l’inégalité. Si la première offre une solution fonctionnelle à court terme, elle crée souvent des dysfonctionnements à long terme en déstabilisant les communautés et en perpétuant les cycles de violence.
Ce document postule que si les réponses violentes peuvent être nécessaires, elles doivent être abordées avec prudence en raison de leur capacité à perturber le tissu social et politique des régions touchées. En utilisant le fonctionnalisme comme cadre théorique, cet article examine comment les interventions violentes peuvent être initialement fonctionnelles pour répondre aux menaces immédiates, mais se révèlent souvent dysfonctionnelles en raison de l’instabilité à long terme. L’article fait référence au film Eye in the Sky (2015), dans lequel une mission militaire se transforme en un dilemme moral aux conséquences inattendues, pour souligner la complexité et les dangers d’un recours exclusif à la force. Il préconise une approche multilatérale axée sur la diplomatie, la coopération régionale et le développement durable pour s’attaquer aux causes profondes de l’insécurité au Sahel. Il soutient qu’à travers une analyse fonctionnelle, les systèmes sociaux tels que les gouvernements, les institutions internationales et les organisations régionales doivent collaborer pour parvenir à une paix et une sécurité durables dans la région.
Cadre théorique : Le fonctionnalisme structurel et son application à la sécurité au Sahel
Le fonctionnalisme structurel, une théorie sociologique, examine comment divers aspects de la société fonctionnent ensemble pour maintenir la stabilité et le contrôle social (Smith, 2014 ; Pope, 1975). Il cherche à comprendre le rôle des institutions, des systèmes et des normes dans le fonctionnement d’un système social plus large (Ormerod, 2019 ; Kronenfeld, 2005).
Du point de vue du fonctionnalisme structurel, les interventions violentes peuvent servir des objectifs de sécurité immédiats mais perturbent souvent l’équilibre délicat des structures sociales, entraînant des conséquences négatives à long terme (Merton, 1976). Si la violence peut temporairement remédier à la présence de terroristes ou d’insurgés, elle cause souvent des dommages involontaires aux populations civiles, sape la gouvernance et entraîne une plus grande instabilité (Wahab, 2024 ; Choudhury & Fenwick, 2011). Ce dysfonctionnement se produit lorsque l’intervention militaire renforce les causes profondes de l’insécurité en aggravant la méfiance, en déstabilisant les gouvernements et en encourageant le ressentiment et la résistance parmi les populations locales.
Le fonctionnalisme structurel encourage une compréhension plus large de la sécurité – non seulement comme la défaite immédiate des acteurs violents, mais aussi comme la restauration et le maintien de l’ordre social. Pour ce faire, il faut aborder des questions sous-jacentes telles que la pauvreté, la gouvernance et la coopération régionale.
Le film : L’œil dans le ciel
Le film Eye in the Sky met en lumière les complexités de la guerre moderne, où les avancées technologiques, telles que les frappes de drones, ont conduit à une escalade rapide et à des conséquences imprévues. Il constitue un rappel poignant des résultats imprévisibles des solutions violentes, en particulier lorsque des vies innocentes sont en jeu et que les tensions géopolitiques sont fortes.
Les dangers des solutions violentes et la nécessité d’une coopération multilatérale
Le film souligne les risques des opérations militaires qui s’intensifient sans tenir compte des conséquences plus larges. De même, au Sahel, les interventions violentes peuvent temporairement neutraliser les menaces mais conduisent souvent à des dysfonctionnements involontaires et à long terme. Les réponses militaires – qu’elles soient le fait de forces locales ou de mercenaires étrangers – nuisent souvent aux civils, alimentent le ressentiment et affaiblissent la stabilité régionale (Seneviratne, Abbey, & Onishi, 2023 ; Macharia, 2016 ; Sauvet et al., 2009).
La violence apporte un semblant d’ordre temporaire, mais ne s’attaque pas aux moteurs structurels du conflit, tels que la pauvreté, le manque de gouvernance et l’inégalité. Elle exacerbe l’insécurité en alimentant les cycles de vengeance et en sapant les efforts de réconciliation, créant ainsi des cicatrices durables sur les systèmes sociaux régionaux.
La nécessité d’une approche multilatérale et fonctionnelle
Les frontières poreuses du Sahel, notamment entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger, facilitent la propagation des activités terroristes. L’intensification de l’action militaire dans un pays pousse souvent les groupes militants vers les territoires voisins, propageant ainsi l’insécurité.
Plutôt que d’intensifier la violence, les gouvernements d’Afrique de l’Ouest devraient privilégier les approches multilatérales qui favorisent la stabilité à long terme. Des organisations régionales actives, telles que la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), l’Union africaine et les Nations unies, peuvent servir de médiateurs et faciliter les négociations entre les parties en conflit. Ces organisations jouent un rôle crucial dans le maintien de l’ordre social et de la stabilité en assurant l’harmonie entre les systèmes sociaux de la région.
Les efforts multilatéraux axés sur la diplomatie, le développement et la gouvernance peuvent s’attaquer à la fois aux symptômes et aux causes profondes de l’insécurité. Ces approches renforcent les systèmes sociaux régionaux et fournissent un cadre durable pour une paix durable.
Conclusion
Le film Eye in the Sky rappelle de manière convaincante les risques des solutions militaires à des problèmes complexes. Au Sahel, les interventions violentes peuvent sembler fonctionnelles à court terme, mais elles conduisent souvent à des dysfonctionnements et à une instabilité plus importants à long terme.
La communauté internationale doit éviter les réponses simplistes et violentes et adopter une coopération multilatérale qui respecte la souveraineté, favorise le dialogue diplomatique et s’attaque aux causes profondes de l’instabilité. La collaboration, le multilatéralisme et la reconnaissance des limites de la violence sont essentiels pour briser le cycle de la contagion sécuritaire et construire un avenir pacifique pour le Sahel et l’Afrique dans son ensemble.
Référence
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