Historique : La lutte contre le terrorisme au Mali
Le Mali est aux prises avec le terrorisme et l’insurrection dans les régions septentrionales du pays depuis une dizaine d’années. Les causes profondes de l’insurrection sont les griefs historiques, les tensions ethniques et le débordement des groupes armés à la suite de la crise libyenne de 2011. En 2012, les groupes d’insurgés et de djihadistes du nord du Mali se sont unifiés, déclenchant une crise sans précédent qui s’est propagée au centre du pays. Les troubles ont entraîné l’intervention des troupes françaises soutenues par les forces tchadiennes, à la demande du gouvernement malien. Le Mali a également sollicité l’assistance d’une mission de formation de l’Union européenne pour renforcer les forces de sécurité maliennes. Un soutien supplémentaire a été apporté par les Nations unies, qui ont autorisé la mise en place d’une mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine (AFISMA). Cette mission de soutien s’est rapidement transformée en une mission dirigée par les Nations unies, visant à résoudre le conflit. Malgré ces efforts, la paix n’est toujours pas au rendez-vous.
Opérations militaires de la France : Les opérations Serval (2013 ) et Barkhane (2014) ont joué un rôle central dans le soutien aux efforts de lutte contre le terrorisme du Mali.
L’opération Serval a été lancée en réponse à la résolution 2085 du Conseil de sécurité des Nations unies, adoptée le 20 décembre 2012, ainsi qu’à une demande officielle du gouvernement intérimaire du Mali pour une assistance militaire française. Cette opération, qui visait à lutter contre les militants islamistes, s’est officiellement achevée le 31 juillet 2014. L’opération Barkhane, qui a débuté le 1er août 2014, lui a succédé avec un mandat plus large de lutte contre les combattants islamistes dans toute la région du Sahel. L’opération Barkhane visait à apporter un soutien durable aux pays du Sahel dans leur lutte contre le terrorisme, en établissant une présence militaire française plus permanente dans la région avec des bases stratégiques à Niamey, au Niger, et à N’Djamena, au Tchad.
L’opération Barkhane est l’opération militaire française la plus longue et la plus coûteuse depuis la Seconde Guerre mondiale. Elle a débuté en 2014 et a été officiellement retirée en août 2023. Au début, l’opération a été couronnée de succès et a permis d’étendre les bases permanentes à d’autres États du Sahel : Niger et Tchad. Malgré les premiers résultats obtenus en matière de renforcement des forces armées maliennes et d’utilisation de technologies aériennes et terrestres de pointe, l’opération Serval n’a finalement pas atteint ses objectifs. La présence continue de groupes terroristes dans la région et les pertes humaines considérables, avec des milliers de victimes civiles et militaires maliennes et plus de 2,5 millions de personnes déplacées, soulignent le succès limité de l’opération.
Plusieurs autres opérations (la force conjointe du G5 Sahel) ont soutenu l’État malien dans sa lutte contre le terrorisme. Toutefois, ce soutien important n’a pas permis de rétablir la stabilité au Mali, ni d’empêcher la menace terroriste de s’étendre au centre du Mali et à l’ensemble de la région. La situation au Mali a entraîné des déplacements massifs de population vers les pays voisins, notamment la Mauritanie, avec des conséquences économiques, sociales et humanitaires.
Lutte contre le terrorisme en Mauritanie
Avant 2011, la Mauritanie a subi dix-sept attaques terroristes, dont six ont été perpétrées à Nouakchott et revendiquées par le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) et Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Depuis, le pays n’a pas connu d’attentat terroriste.
La Mauritanie a déployé des efforts considérables pour lutter contre le terrorisme et ses menaces. La phase initiale de sa stratégie s’est concentrée sur le renforcement de la présence de l’État en fournissant de l’aide et en garantissant des services sociaux de base afin de décourager les gens de rejoindre les groupes armés. La deuxième phase a consisté à renforcer les mesures de sécurité pour neutraliser la menace djihadiste. Il s’agissait notamment de créer des unités nomades de méharistes (cavalerie chamelière). La garde nationale méhariste patrouille dans les zones reculées à la frontière du Mali pour assurer la surveillance et lutter contre les cellules terroristes actives. Les Méharistes sont également responsables de la militarisation de la frontière avec le Mali et de la surveillance des routes par le biais d’une surveillance aérienne et de postes de sécurité fixes.
La troisième phase a adopté une approche théologique, établissant un dialogue politico-théologique entre théologiens et prisonniers. Cette stratégie globale a permis de démanteler plusieurs cellules terroristes et, par conséquent, la Mauritanie n’a connu aucune attaque terroriste depuis 2011.
Les effets des mesures antiterroristes du Mali sur le sol mauritanien
La frontière entre la Mauritanie et le Mali s’étend sur plus de 2 000 km. Les mesures antiterroristes prises par le Mali ont entraîné d’importants dommages transfrontaliers le long des frontières de la Mauritanie.
1. Déplacements de populations et flux de réfugiés
Le nord du Mali avait déjà connu un afflux important de personnes déplacées à l’intérieur du pays en raison des menaces et des attaques du JNIM et de l’ISGS. Selon les chiffres d’octobre 2023, il y a 391 961 personnes déplacées au Mali et 104 324 réfugiés en Mauritanie.
Les opérations de lutte contre le terrorisme, en particulier celles qui font appel à la force militaire, entraînent souvent le déplacement de populations locales. Des civils fuyant les violences dans le nord et le centre du Mali sont entrés en Mauritanie. Cet afflux de réfugiés met à rude épreuve les ressources et les infrastructures de la Mauritanie, ce qui entraîne des problèmes humanitaires.
L’établissement de camps de réfugiés près de la frontière a entraîné une augmentation des tensions. Le camp de réfugiés de Mbera se trouve au sud-est de la Mauritanie, à seulement 50 kilomètres de la frontière avec le Mali. Selon les données du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) d’octobre 2023, la Mauritanie accueille 112 021 réfugiés, dont 98,5 % de Maliens (108 095). Parmi ces réfugiés, 51% étaient des femmes et 54% des enfants (âgés de 0 à 17 ans). 86 586 personnes ont été enregistrées dans le camp de Mbera, 1 313 l’ont été en dehors du camp et 10 553 étaient en attente d’enregistrement. Au total, 1 268 personnes ont été enregistrées à Néma (sud-est de la Mauritanie) et 5 732 près de Néma. Cela fait de Mbera l’un des plus grands camps de réfugiés d’Afrique de l’Ouest et le deuxième en termes de nombre de réfugiés maliens qu’il abrite.
En 2012, lorsque la guerre a éclaté au Mali, des milliers de personnes ont fui vers la Mauritanie voisine à la recherche d’une sécurité que leur pays ne pouvait leur offrir. Dix ans plus tard, les réfugiés continuent d’arriver au camp. Bien que la guerre ait officiellement pris fin il y a plusieurs années, la poursuite des activités terroristes dans la région oblige chaque année des milliers de personnes à fuir vers les pays voisins pour y vivre en paix. Ces camps nécessitent des ressources importantes et des mesures de sécurité, ce qui provoque parfois des frictions avec les communautés locales et les autorités mauritaniennes.
2. Mouvements transfrontaliers des groupes terroristes
Lorsque les forces maliennes et leurs partenaires internationaux s’attaquent aux groupes terroristes, ces militants se déplacent souvent pour éviter d’être capturés en traversant la Mauritanie voisine. Ce mouvement propage la menace terroriste au-delà des frontières et conduit au recrutement et à la radicalisation des populations locales en Mauritanie, ce qui déstabilise et complique encore la sécurité régionale.
Un avis aux voyageurs émis par le Bureau américain des affaires consulaires en juillet 2023 indique que le gouvernement mauritanien interdit certaines zones aux étrangers et à la plupart des Mauritaniens. Ces « zones de non circulation » sont extrêmement dangereuses en raison de leur proximité avec le Mali, où des groupes armés engagés dans une insurrection active mènent des attaques transfrontalières en Mauritanie.
3. Tensions diplomatiques
Les opérations transfrontalières menées par les forces maliennes et leurs alliés à la poursuite des insurgés ont parfois débouché sur des opérations qui ont pénétré par inadvertance sur le territoire mauritanien. Par exemple, dans le cadre de l’opération Barkhane menée par la France, les forces maliennes et alliées ont parfois pénétré sur le territoire mauritanien, soit pour poursuivre des terroristes, soit pour des raisons logistiques. Ces incursions sécuritaires et militaires peuvent porter atteinte à la souveraineté de la Mauritanie et entraîner des retombées diplomatiques.
Des groupes djihadistes comme AQMI et l’État islamique dans le Grand Sahara (ISGS) se déplacent également fréquemment à travers la frontière entre le Mali et la Mauritanie, ce qui donne lieu à des poursuites et à des escarmouches transfrontalières. Des rapports suggèrent que des militants fuyant la pression militaire au Mali ont parfois utilisé la Mauritanie comme refuge temporaire ou voie de transit. Par conséquent, la Mauritanie doit constamment adapter ses mesures de sécurité pour gérer ces menaces. Cela implique souvent une militarisation accrue des frontières, ce qui peut entraîner des affrontements accidentels avec les forces militaires maliennes qui pénètrent par inadvertance sur le territoire mauritanien. La militarisation des frontières a plusieurs conséquences pour les communautés locales situées le long des frontières et provoque des crises humanitaires.
Pour gérer ces problèmes, les gouvernements malien et mauritanien ont renforcé leur coopération, notamment en organisant des patrouilles conjointes et en échangeant des renseignements. Toutefois, l’efficacité de ces accords est souvent mise à l’épreuve par la nature imprévisible des opérations de lutte contre le terrorisme.
CONCLUSION
La nature complexe des efforts du Mali en matière de lutte contre le terrorisme a grandement affecté la Mauritanie, entraînant une multitude de défis humanitaires, sécuritaires et diplomatiques. Les stratégies proactives de la Mauritanie, notamment son approche globale de la lutte contre le terrorisme et sa coopération avec le Mali, ont été couronnées de succès. La création d’unités de méharistes nomades (gardes nationaux méharis) a non seulement renforcé la sécurité, mais a également contribué au démantèlement de plusieurs cellules terroristes le long de la frontière.
Toutefois, le soutien international, la coopération régionale et les solutions innovantes restent nécessaires pour s’attaquer aux causes profondes du terrorisme dans la région. Le renforcement des liens diplomatiques par la collaboration est essentiel pour atténuer la menace et promouvoir la stabilité dans la région du Sahel.
Source : Analyste CISA
RÉFÉRENCES
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